SITUATION RADIOLOGIQUE EN UKRAINE

Publié le par Résistance verte

 

Ce qui se passe en Ukraine, au-delà des horreurs hélas habituelles de la guerre, est sans précédent et confronte pour la première fois des installations nucléaires à haut risque à des opérations militaires. Les attaques ont d’abord concerné le site nucléaire de Tchernobyl (24/02), des sites d’entreposages de déchets radioactifs ont ensuite été affectés, et la centrale nucléaire de Zaporijjia est passée sous contrôle russe dans la nuit du 3 au 4 mars. D’autres sites pourraient être concernés, à commencer par les centrales de Rovno (4 réacteurs : 2 de 380 MWe, 2 de 950 MWe), Khmelnitski (2 réacteurs de 950 MWe) et Konstantinovka ou Sud-Ukraine (3 réacteurs de 950 MWe).
 
A Zaporijjia, qui constitue avec 6 réacteurs nucléaires de 950 MWe la plus puissante centrale nucléaire d’Europe, le pire a été évité : le bâtiment qui a été frappé par un projectile (probablement tiré par un char) serait situé à environ 500 mètres du réacteur nucléaire le plus proche. Il s’agit d’un bâtiment non nucléaire, dédié à la formation du personnel. L’incendie est resté localisé et a été éteint par les pompiers locaux affectés à la centrale.
 
Sur la base des informations communiquées par l’organisme d’inspection ukrainien de la sûreté nucléaire (SNIUR), l’AIEA assurerait ce matin que les systèmes de surveillance des niveaux de radiations sont pleinement fonctionnels. Le suivi effectué par le service balises du laboratoire de la CRIIRAD montre cependant que les résultats ne sont plus disponibles sur les sites officiels. Le constat est le même pour le site nucléaire de Tchernobyl. Dès lors, puisque l’AIEA indique qu’elle dispose de ces informations, il est de sa responsabilité d’assurer leur publication et de pallier les défauts de transmission des équipements ukrainiens. Il importe de pouvoir informer au plus vite les populations d’une éventuelle augmentation de la radioactivité afin qu’ils prennent toutes les mesures de protection possibles.
 
Dans le communiqué du 3 mars, la CRIIRAD commentait les déclarations de l’AIEA sur les principales fonctions de sûreté qui doivent être absolument préservées, en précisant qu’il s’agissait malheureusement de vœux pieux. L’actualité nous a donné raison. Dans ses dernières déclarations, l’AIEA constate que la première de ces exigences, « l'intégrité physique de la centrale a été compromise avec ce qui s'est passé la nuit dernière », ajoutant : « Nous avons bien sûr de la chance qu'il n'y ait pas eu d'émission de radiations et que l'intégrité des réacteurs en eux-mêmes n'ait pas été compromise, mais oui, l’intégrité de la centrale au sens large » a bien été affectée.
 
L’Ukraine dépend très fortement du nucléaire qui lui fournit environ 50 % de son électricité (53% en 2018 : 79,5 TWh sur 150 TWh). Elle disposait de 15 réacteurs nucléaires, pour une puissance totale de 13 107 MWe (et 2 réacteurs de 1035 MWe sont en construction sur le site de la centrale de Khmelnitsk). En situation normale, les 6 réacteurs de la seule centrale de Zaporijjia fournissent environ 20% de la consommation de l’Ukraine. Actuellement, seul le réacteur n°4 est encore en fonctionnement, à puissance réduite (environ 60%). Au-delà des énormes risques radiologiques, la prise de contrôle des réacteurs nucléaires est évidemment un élément stratégique du point de vue énergétique ; des systèmes décentralisés reposant sur des énergies renouvelables limitent évidemment strictement les niveaux de risques et la vulnérabilité.
 
La situation est évidemment très préoccupante mais l’heure n’est pas à la panique. A ce stade, d’après les informations disponibles, aucun dysfonctionnement grave n’a été identifié sur les installations nucléaires ukrainiennes.
 
La CRIIRAD va poursuivre sa veille tout au long de ce week-end. Le service d’astreinte des balises maintiendra une vigilance renforcée sur tous les réseaux de mesure européens de la radioactivité et sur les conditions météorologiques générales, de façon à informer dans les meilleurs délais et anticiper tout risque pour la France. Toutes les balises de son propre réseau de contrôle sont par ailleurs opérationnelles . Si besoin, le laboratoire publiera de nouvelles informations sur le site de son réseau de balises : http://balises.criirad.org/
 
PS.
La CRIIRAD renvoie les personnes qui se posent des questions sur les comprimés d’iode stable (leur utilité, leurs limites, etc.) au dossier en ligne sur son site Internet.
Par ailleurs, plusieurs témoignages font état de l’impossibilité de se procurer des comprimés d’iode dans des pharmacies françaises. La CRIIRAD est intervenue à de nombreuses reprises pour obtenir des garanties mais la position des autorités a fluctué dans le temps. Elle rappelle qu’elle recommande depuis longtemps à tous les foyers de disposer d’un stock personnel, en particulier lorsque des enfants sont présents et pour les femmes enceintes. Elle reviendra sur cette question ultérieurement.

Rédaction : Corinne Castanier, CRIIRAD

 

 

Précisions sur la situation de la centrale nucléaire de Zaporijjia
et les dégâts provoqués par l’attaque russe

 
STATUT DES 6 RÉACTEURS NUCLÉAIRES
 
D’après les informations publiées le 5 mars à 8h par le SNRIU (organisme de contrôle ukrainien) :
 
    •    le réacteur n°4, dont la puissance avait été réduite de 980 MWe à 690 MWe (sans être arrêté), fonctionne de nouveau à pleine puissance,
 
    •    le réacteur n°2, qui avait été mis à l’arrêt par mesure de sécurité (comme le n°3), est à nouveau en service, à 460 MWe,
 
Les réacteurs n° 1, 3, 5 et 6 sont toujours à l’arrêt. Les combustibles nucléaires doivent être refroidis en permanence, qu’ils soient dans les cuves des réacteurs ou dans les piscines de désactivation.
 
CONSÉQUENCES DE L’ATTAQUE
 
D’après Petro Kotin, président d’Energoatom, entreprise publique qui exploite les centrales nucléaires d’Ukraine, il y a eu des bombardements et des tirs d’artillerie. Les bombardements ont commencé à 1 h 42 et ont cessé au petit matin, avec la prise de contrôle du site. Les premières informations faisaient état de 3 morts (à priori parmi le personnel de sécurité), et de 2 blessés, dont l’un était hier entre la vie et la mort.
 
D’après Energoatom, le bâtiment de formation n’est pas la seule structure affectée par les attaques russes.

Extraits d’un communiqué d’information du 4 mars :
 
    •    « Malgré la résistance désespérée de la Garde nationale, de la défense de zone et des habitants d'Energodar, un convoi de véhicules d'occupation a tiré à bout portant sur le site de la centrale, les structures adjacentes et le centre de formation, qui a fini par prendre feu.
 
    •    Un obus a touché l'unité 1 de la centrale électrique qui est actuellement en réparation, de plus, le bâtiment A du complexe de formation a été complètement détruit. (…)
 
    •    [Une mise à jour du 4 mars 15h précise également que « 2 obus d'artillerie ont touché la zone de l'installation de stockage du combustible nucléaire usé de type sec. Le degré d'endommagement des structures et des systèmes de ces installations nucléaires et leur impact sur la sécurité nécessitent des évaluations supplémentaires fondées sur les résultats des inspections complètes menées par les services spéciaux de l'Organisation exploitante »].
 
    •    À partir du 4 mars, 9h00, le personnel de la centrale a été autorisé à travailler, mais les professionnels de l'énergie nucléaire ont travaillé sur le site pendant près de 24 heures, ils sont donc physiquement et moralement épuisés. Il est nécessaire qu'une autre équipe vienne travailler. La direction de la centrale a été menacée par des armes, il y a des morts et des blessés. Le réseau d'alimentation en chaleur d'Energodar a été endommagé à plusieurs endroits, la ville reste sans chauffage.
 
    •    La principale menace provient des matières nucléaires stockées dans les six réacteurs nucléaires de la centrale et dans les piscines de refroidissement du site » (sans oublier les assemblages de combustible irradié accumulés dans l'installation d’entreposage à sec du combustible usé sur le site de la centrale).
 
    •    L’exploitant indique n’avoir « aucun contrôle sur la situation nucléaire et radiologique de la centrale » tout en indiquant que « selon les dernières données, le niveau de radiation sur le site de la centrale ZNPP se situe dans les limites normales ».
 
    •    «(…) Cependant, la situation est extrêmement menaçante et dangereuse. Les exigences en matière de sécurité nucléaire et radiologique ont été violées. Les conséquences sont difficiles à prévoir.».
 
Texte intégral en anglais
 
Dans l’interview qu’il a donné au quotidien Le Monde, le 4 mars, le président d'Energoatom indique également qu’un « tuyau spécial qui raccorde les réacteurs aux bâtiments de traitement, où l’eau radioactive est purifiée puis renvoyée aux réacteurs, a également été endommagé par ces bombardements. Il n’y a pas de fuite radioactive, mais le risque existe. ».
 
Tout en précisant que l’attaque n’avait provoqué aucun rejet de radioactivité, le directeur de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) a mis en garde : « Nous ne pouvons pas compter que cette bonne fortune continuera. Il est grand temps d'empêcher qu'un conflit armé ne mette en grand danger les installations nucléaires et potentiellement la sécurité des personnes et de l'environnement en Ukraine et ailleurs.
Il est temps de traduire nos paroles en actes ».

 

Publié dans Nucléaire

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