INTERROMPU PAR UNE GRENADE

Publié le par Résistance verte

Juste avant l'invention de la crise, il y a un demi siècle...

 

Richard Deshayes, janvier 1971

 

Il y a quelque chose de pourri dans ce pays. L’air s’y fait irrespirable. Un monde s’effondre dans la médiocrité des jours qui succèdent aux jours, des nuits qui succèdent aux nuits alors que sans notre ciel rien ne change. Beaucoup de gens résignés et soumis subissent l’effondrement de cette civilisation de fric et d’égoïsme dans la passivité et l’impuissance et nous qui sommes jeunes, devrions nous mettre à leur diapason, accepter aujourd’hui dans sa misère insupportable au nom du lendemain, d’espoirs projets dans l’avenir, au nom d’une révolution ou de changements futurs qui ne viendront jamais si maintenant nous ne nous dressons pas pour lutter.

On a toujours su plus ou moins que pour nous il n'y avait qu'une chose à faire : la Révolution. C'est abstrait mais on sait déjà ça. Ceux qui croyaient s’en tirer par eux-mêmes ou autrement ont apprit à le comprendre ou finiront par le faire. Mais ces Révolutions qu'on nous a demandé de faire étaient tellement abstraites qu’elles se plaquaient sur notre vie comme un corps étranger, un projet à part des problèmes de tous les jours, une Révolution qui avait sa place à elle, casée entre le boulot, le cinéma, la famille... et qui surtout répondait toujours au futur ou en référence au passé ou à d’autres pays, et non à des questions qui nous brûlent le cœur et le cerveau à chaque instant de notre existence.
Et quand on parle de s'y mettre sérieusement et de se révolter en allant au plus court parce que vivre est devenu quasiment impossible dans ce pays et que nous manquons d'oxygène au point d’en crever, il y a toujours pleins de révolutionnaires qui nous exhorte à y aller mou, à attendre que beaucoup de gens soient prêts à se révolter. Alors nous répondons que c'est maintenant que nous avons fait le choix d’être libres, que notre choix, notre révolte nous suffit et que nous n’allons pas attendre dix ans et nous languir jusqu’au jour miraculeux où toutes les classes sociales de ce pays diront : « la Révolution commence aujourd'hui, allons-y tous ensemble... » et s'insurgeront.

LA RÉVOLTE C'EST NOTRE FAÇON A NOUS
DE PRENDRE NOS DESTINÉES EN MAIN
ET D'AVOIR PRISE SUR NOTRE VIE

Et si nous sommes aussi impatients c'est que nous en avons marre d’être acculés à nous dire « ça ne peut pas durer comme ça », « il va se passer quelque chose... » car rien ne se passe et notre jeunesse fout le camp sans espoir de retour.
Nous sommes des centaines de milliers de jeunes mecs constamment sur la brèche qui se demandent « alors on va rester les bras croisés à attendre ? » parce que nous sommes isolés individuellement, ou en bandes dans des milieux où les gens sont trois cents fois moins pressés et impatients que nous d'en finir avec ce système inhumain. Alors on va rester les bras croisés à attendre ? Attendre quoi ?
Que la Société nous offre un débouché qui nous plaise, un type de vie où nous soyons heureux ? Qu'un parti plus révolutionnaire qu’un autre nous propose le dépliant programme du bonheur, illustré et en vingt-sept mensualités seulement ? On peut toujours attendre en se trouvant des consolations, on peut toujours marcher sur les boulevards ou au quartier quand on a du temps à tuer, on peut toujours s'offrir le cinéma, ça entre par un œil, ça sort par l'autre et ça fait toujours une heure et demie de tirée. On peut glaner dans les troquets en payant sa consommation à l'avance, essayer de revoir le mec ou la nana avec qui on sortait il y a six mois histoire de baiser un coup, on peut toujours se tenir chaud entre copains, gratter» guitare, chourer des fringues, se rouler un joint ou se saouler la gueule.

ON PEUT TOUJOURS SURVIVRE,
IL Y A 12 000 MANIÈRES DE NE PAS VIVRE

Mais survivre, c'est ça qu’on veut ? Essayer de se voiler les yeux et l'esprit pour ne pas voir qu'on va tout droit finir comme nos vieux « et ça fait des grands SLURP !.. », quitte après à jouer les désabusés de l'existence, les « le - jour - du - grand - soir - on - sera - quand - même - prêts »... plutôt crever tout de suite.

 

 

PLUTÔT LA VIE !

Parce qu'avec ce monde de cons qu’on nous a imposé à la naissance, on en serait presque à se demander si la joie ça existe, et l'amour, la chaleur humaine aussi. Depuis Mai on sait que oui, depuis la fête sauvage du Palais des Sports on sent que ça ne demande qu’à jaillir et à percer le blindage des interdits et même des caractères fermés par les désillusions, la solitude, le désespoir. Seulement ça on ne l'obtient pas en mendiant, ça s’achète pas, ça se revendique pas, ÇA S'ARRACHE ! Si on veut vivre et faire ce qu’il nous plaît de faire quand ça nous plaît, avoir ce qu’on désire sans attendre dix ans qu’on en ait plus envie, si on veut de la liberté et du bon temps et être libres de nos mouvements, libres dans notre façon de vivre, de nous grouper, de nous habiller, de nous comporter, si on veut être libres de faire l’amour et libres de satisfaire tous nos besoins, il n'y a qu’une chose à faire :

LE FAIRE ICI ET MAINTENANT

Pas quand on sera devenus des cadavres. Notre passion de vivre est la force la plus révolutionnaire et la plus radicale qui soit.

Parce qu’enfin, combien de temps les crevures croient-elles que leur règne va encore durer ? Combien de temps s’imaginent- elles que nous allons rester à nous sentir creux, sans énergie, sans motivations ? Combien de temps avant qu’on vous saute à la gueule, flics fascistes, éducateurs pourris, vieux ours de bourgeois ?.. Et qu'est-ce qu'on a à perdre une fois balancés les pauvres gadgets, les reflets d'existence auxquels on se raccroche pour ne pas être définitivement écœurés ? Vous nous poussez au désespoir et vous croyez que vos études à la con on va les supporter longtemps et ingurgiter ces programmes de merde qui ne nous servirons jamais à rien... Vous croyez qu’on va longtemps bosser dans vos taules pourries, supporter vos roquets et être payés avec un lance-flammes, juste de quoi se fringuer et se chercher une baise le samedi soir ? Et qu'on va continuer à saluer vos couleurs dans vos casernes ? Et qu'on va continuer à meubler vos centres de redressements et vos prisons ? Non mais bourgeois, ça ne va pas la tête ! Vous comprenez pas ? Ça ne fait rien, vous allez comprendre que décidément, ça ne peut pas continuer comme ça.

Beaucoup de jeunes, même à cinq ou à dix, n'ont pas attendu d’être des millions pour s’y mettre, ils ont commencé à se regrouper pour faire face à l'injustice de cette société à notre égard et répondre aux agressions dont nous sommes l'objet ; même à cinq ou à dix on peut donner corps à la révolte, faire reculer les flics de tous les jours, et aussi payer de moins en moins ce qu'on veut se procurer, trouver de l’amitié, briser un peu l’isolement et continuer à vivre.
Et si on additionne les groupes de cinq et de dix on voit que ça commence à faire du monde, et plus on sera nombreux, mieux ça ira et plus face à leur Société compacte ils verront surgir la nôtre qui n'est pas au sens strict « la Société des Jeunes » mais la Société des hommes libres qui est en marche et dont nous participons et où les jeunes et les enfants seront aimés et respectés, car la jeunesse comme épanouissement à la vie sera une vertu qui n’aura pas de fin.

 

 

OFFICIELLEMENT 14 000 JEUNES SE SUICIDENT CHAQUE ANNÉE, COMBIEN EN FAIT ?

Ça n’a rien de génial de dire à un moment donné qu’il serait temps que les jeunes unissent leurs révoltes individuelles ou en bandes et en groupes, unissent les résistances isolées qu'ils mènent pour ne pas se faire bouffer par le système. O.K. Tout le monde pense que ça serait bien mais que ça demanderait d'une part à être clair dans ce qu'on peut entendre par révolte de la jeunesse, et mouvement de libération des jeunes d'autre part il faudrait que ça se fasse  et la seule façon pour que ça se passe c’est de passer à l'action directe dans les plus brefs délais, parce que c’est le seul moyen pour que tout le monde voit un peu notre visage et ce que nous voulons. On a beaucoup discuté en vue de beaucoup frapper ce système de con et d’indiquer le chemin de son dépassement. Au départ on n’est que très peu à être groupés dans ce qu'on appelle le F.L.J., pas pressés d’être beaucoup tant qu'on ne serait pas sûrs de tenir quelque chose de radicalement différent : un engagement révolutionnaire qui colle avec notre vie, nos aspirations et notre identité profonde, un mouvement où on s’épanouisse et se retrouve. Si on ne ressent pas que quelque chose de profond s'est modifié à ce niveau dans les mois à venir, on pourra dire qu'on a fait quelques beaux coups de plus mais ça, ce n’est pas très intéressant, ce n’est pas très révolutionnaire même si on pille quinze magasins dans le vent et qu’on se frappe avec plein de flics avec ou sans uniforme.

Surtout ça risque de ne pas durer longtemps et après on se force pour faire des trucs « qui plaisent aux jeunes » mais on sent très bien que ce n’est pas ça. Le mouvement de Libération des jeunes ce n'est pas un truc pour « plaire aux jeunes », ce n’est pas un gadget qu'on lance parce qu’il y a un mouvement de libération des femmes, c’est une révolte qui existe déjà depuis longtemps en dehors de toutes les représentations politiques existantes, et c’est précisément ça qui fait sa force, qui fait qu’elle n’est pas intégrée. Ce qui fait sa faiblesse c’est qu’elle a du mal à devenir une véritable communauté révolutionnaire de la jeunesse reposant sur l’identité fondamentale de la misère de tous les jeunes, filles et garçons de ce pays. Nous sommes nombreux, très nombreux, nous sommes jeunes et nous savons nous reconnaître, il est temps que nous nous serrions les coudes pour prendre et produire tout ce dont nous avons besoin pour vivre, et pour nous défendre.

Quand on veut parler de la jeunesse, il faut faire très attention à ne pas raconter de conneries. C’est fou le nombre de conneries qu'on peut entendre à notre sujet et en général ce sont toujours les vieux qui les produisent, et les jeunes abusés par la prétendue « expérience » des vieux, qui les colportent ensuite servilement et ne font que s’auto-réprimer. Tous les vieux, tous les adultes sont pour la jeunesse, c'est bien connu même s’ils ne sont pas d’accord avec tout ce qu’il y a de plus authentiquement jeune dans notre comportement et qu'ils le répriment, même si en règle générale ils usent leur pauvre existence à façonner la génération d’après la leur, à leur image. Or il est évident que l’image qu’ils nous présentent est triste, pitoyable, grotesque et que nous n’en voulons pas. Bref, pour tout le monde, la jeunesse est un sujet qui permet de débiter toutes sorte de conneries grandiloquentes et pseudo-poétiques, bref qu'on a de la chance d'être jeunes pourvu qu'on se mette bien dans le crâne que ça ne va pas durer, mais que c'est transitoire et qu'il soit entendu que le jeune c'est celui qui est déjà assez vieux pour se préoccuper de ce qu'il fera quand il ne sera plus jeune.

Nous ne sommes pas des bons jeunes. Tout leur baratin sur la jeunesse c'est dur de s'en laver le cerveau même quand on est jeune et, ce qui va avec, méfiant, en plus ce n’est pas très intéressant de se poser la question quand jeune de savoir à quoi qu’on voit qu'on est jeune... On est jeune on l'est pas et si on se sent au départ et pendant longtemps très mal à l’aise dans sa peau et à la place qu’on occupe c'est un bon signe qui ne trompe pas. Le jeune con, le vieux déguisé en jeune c'est le mec en général content de lui-même, satisfait de ce qu'on lui fait faire prêt à jouer le jeu pourvu qu'il puisse récolter tous les satisfécits de la société, l'opinion admirative de ses voisins et de la famille, la petite tape encourageante sur la tête de la part du prof, du patron ou de I’adjudant. Il y a vraiment des jeunes qui ont été modelés par le système au point de devenir de sales petits cons, c'est une réalité que nous devons reconnaître. Il y a des Jeunes et des vieux qui ont en commun de n'être pas jeunes et d'être cons. Nous ne sommes pas pour une délimitation grossière des jeunes d'une part et des adultes d’autre part. Cette délimitation existe de fait et nous ne sommes pas contre les vieux comme ça, mais contre ce qui les a fait vieillir même si l'expérience nous montre que nous devons nous défier comme de la peste des adultes, des vieux et de leurs conseils paternalistes.

L’histoire de tous les adultes c’est ici celle de crapules agents du système en place, soit, pour l’immense majorité, celle de types qui se sont faits, pour des raisons historiques, baiser. Ils ont tous une guerre à leur actif, sont tous père de famille, dans l'ensemble ils sont opprimés dans leur boulot et chez eux. Bref, ils se font chier et l'expérience qu’ils ont de la vie et les conclusions qu'ils en tirent déterminent a priori une attitude sceptique vis-à-vis de tout bouleversement, sceptique vis-à-vis de notre volonté de tout foutre en l'air, et souvent ils sont amers, agressifs vis-à-vis de nous et désabusés. En plus, comme ils sont tous à un degré divers (père, prof) ou simplement en tant qu'adultes des éducateurs en puissance de la jeunesse, ils passent leur temps à nous réprimer ouvertement à coups de baffes, de gueulantes et de chantages, ou sournoisement. Le système qui les a maté les met en position de flics vis-à-vis de leurs enfants et ils n'ont que leur résignation à nous apprendre, leur expérience est celle d'une somme d'échecs et de renoncements. À la fois ils nous répriment et ils nous démoralisent.

 

 

Ils nous empêchent par tous les moyens de nous révolter et quand ils voient que c’est impossible alors ils ricanent en disant "mon ami, j'étais comme toi mais avec la vie j'en suis revenu" ou "vous, les jeunes vous êtes tous les même, voudriez tout avoir sans en payer le prix". Payer le prix on sait ce que ça veut dire. Tous les adultes sont des éducateurs et comme tel ils médiatisent la répression bourgeoise sur la jeunesse, sous couvert de nous transmettre ce qu'ils savent. Ils sont opprimés par le système et nous opprime pour le compte du système. Leur situation est malheureuse mais elle n'en est pas moins celle d'oppresseurs. Cette contradiction est parfois perçue par nos parents, profondément ils sentent bien que lorsque nous réclamons un bouleversement radical et tout de suite, nous avons raison, mais alors c'est leur existence manquée qu'ils lisent dans notre révolte et ils en  pleureraient tellement ça les fait chier d'en être arrivé là. Ce qu’ils ont de mieux à faire c'est de nous laisser faire ce que bon nous semble et de nous aider car nous sommes au fond leur seule planche de salut même s'ils ont dans cette révolution qui s'annonce leur rôle propre à assumer. Nos parents ont fait leur vie sur une pile de croix qu'ils ont tiré sur tout ce qu'ils avaient vraiment envie de devenir. "J'aurais voulu faire ça quand j'étais jeune... maintenant c'est trop tard. Ah ! si j'avais su... on ne m'a pas aidé. Je n'ai pas eu le choix." Toute la vie des gens ils l'éprouvent comme un renoncement fondamental vis-à-vis de ce qu'ils auraient souhaité être, et tout le monde situe en général ce renoncement à l'âge où ils sont sortis de l'école, entrés au centre d'apprentissage, rentrés du service militaire, où ils ont accepté tel type d'étude, au moment où ils se sont mariés, etc.

On peut dire que toute l'enfance et l'adolescence sont l'apprentissage du renoncement à assumer ses désirs, une sorte de train de laminage à froid et à chaud continu qui vise l'acceptation par le jeune de toutes les désillusions sur le bonheur et l'amour et ce renoncement se consomme en gros avec l'entrée dans la vie active et le mariage, c'est à dire l'installation dans une structure et emploi du temps imposés et la création d’une autre de modèle courant, le foyer. Entre l’enfant et le jeune qui se débat à cor et à cri le vieux monde met vingt ans à s'imposer de façon impitoyable, à briser les velléités de résistance ; à façonner les habitudes et les cerveaux. Quand le jeune quitte sa famille on lui laisse parfois une période de faux répit avant le service où il s’illusionne à vouloir vivre sa vie et puis après il recrée une famille et il est foutu. Après ce sera beaucoup plus dur car l’esprit et le cœur sont indélébilement marqués et le poids des regrets et des déceptions ne fera que s’accentuer.

FAISONS EN SORTE DE N’AVOIR JAMAIS DE REGRETS

Beaucoup de gens ont essayé de caractériser tout ce qui va de la naissance de l'individu à sa dévitalisation consommée, et ont étudié l’enfance, la pédagogie, la famille, l'école, la formation professionnelle, l'emploi et le chômage des jeunes etc... Ce que nous devons nous mettre dans le crâne, c’est qu’il faut qu’à chacune des étapes de cette période, qu’à chacun des rouages du broyage de la créativité des jeunes individus, de la crèche à la fac ou à l’usine, nous ajustions des formes de résistance opiniâtre et collective, c’est-à-dire de destruction de ces mécanismes et que nous remplissions ce mouvement de destruction d'un projet global d'affirmation de la communauté nouvelle des jeunes et des enfants, que nous détruisions tout ce que nous pouvons détruire en mettant en avant sur tous les fronts une force de dépassement d'une radicalité inouï — la notion de dépassement montre parfaitement que nous entendons en gros tout péter pour mettre en avant quelque chose qui ne sera pas seulement en négation du système détruit, mais qui soit l'affirmation d'un mode de vie nouveau, d'une société nouvelle — Si nous ne parvenons pas dans notre mouvement à produire un projet culturel radicalement neuf et des ébauches matérielles de communauté de vie différentes, notre mouvement de critique et de destruction risque manquer de conviction et finalement de s’émousser — Dans ce cas, ce sera l'échec.

La destruction ne s’alimente pas d'elle-même mais d'un projet de vie nouveau et c'est en tant que tel uniquement que le mouvement de libération de la jeunesse peut prétendre subvertir cette société où toutes les perspectives de subsister se font sur le renoncement à vivre et à développer toutes les facultés de libre jouissance de son corps et de son intelligence, faculté de coexister harmonieusement, de se respecter, de s'aimer, de s'entraider et de se comprendre les uns les autres. Il est pénible d'imaginer ce que aurions pu être et ce que nous serions si nous n’avions pas été impitoyablement « éduqués », broyés culturellement et physiquement par la famille et l’école.
Il n’est plus temps de pleurer. Nous devons aujourd’hui nous résoudre à vraiment détruire la famille et l'école. Il y va de notre vie. Nous devons simplement connaître ce qui les fait fonctionner, leur principe de fonctionnement, pour savoir nous y prendre et les saper réellement.

Car de toutes façons le système ne nous laisse aucune chance de coexister et de nous développer librement. Il entretient contre les jeunes leurs goûts, leur culture des rapports d'agression perpétuelle auxquels nous serions bien lâches de ne pas faire face — Si un vaste mouvement communautaire de la jeunesse veut se développer dans ce pays, il devra le faire en assurant dès le départ l'auto-défense des jeunes contre les agressions ouverte dont ils sont chaque jour l'objet par les flics fascistes, les éducateurs terroristes, les parent abusifs et les lecteurs de l'Aurore, du Figaro, de Minute et autres coupeurs de cheveux —  que les vieux cons et les cons tout court se mettent dans la tête que leur civilisation est en train de crever alors que la nôtre ne fait qu’émerger — que les adultes-soumis réalisent qu'ils ne sont eux-mêmes que des ombres et qu’ils doivent cesser de nous faire vieillir — que tous les jeunes refusent tous, toute forme de renoncement vis-à-vis de ce qui leur plairait de faire ou de ne pas faire et luttent pour affirmer l’intégralité de leur jeunesse. — Nous refusons de laisser planer l’équivoque sur la nature de nos rapports avec les éducateurs du système : gentils ou pas vous êtes tous des flics, on ne vous tolère pas, on vous subit ! Aussi quand vos socles s’effondreront ne pleurez pas sur notre ingratitude. Tout renoncement auquel nous sommes acculés fixe un rapport et cet état est provisoire : je fais ce boulot mais il est clair que je n’ai pour l’instant pas le choix ils me font chier mais je reste chez mes vieux parce que je ne peux pas faire autrement, je m'incline devant ce con de prof parce qu’il est encore le plus fort dans les conditions actuelles, allez-y flics tabassez-moi, foutez-vous de ma gueule parce que vous êtes au chaud à quinze dans votre commissariat mais bientôt vous n’aurez plus le haut du pavé et même dans vos trous à rat vous ne serez plus en sécurité — crevez  salopes — dès qu'il sera en notre pouvoir de le faire vous raserez les murs comme vous les rasiez en mai 68.

C’est ce pouvoir que les jeunes doivent constituer, le pouvoir de la jeunesse en révolte. La jeunesse est le lieu de convergence d’un faisceau de contraintes d'une violence inouïe, pour ne pas vieillir il n'y a qu’un choix radical à faire, briser ces contraintes, balayer la violence qui s’exerce sur nous. Nous sommes devenus particulièrement violents — pas par nature — on ne nous a pas laissé le choix, il est probable que nous serions venus au monde dans un monde heureux et paisible il en irait différemment, mais ici, aujourd'hui tout concourt à nous mutiler et à nous nuire et la paix qu’on nous offre est la paix sociale du gouvernement, des partis, des syndicats, la paix des esclaves — celle-là nous n’en voulons pas — pensez à la violence qui s’exerce sur un type pendant vingt ans pour que du bébé nu et souriant au monde qui l’entoure on arrive à cet étudiant de sciences-éco. creux, blafard et cravaté ou à ce jeune prolo super crevé qui somnole dans le métro qui l'emmène travailler. La paix dans ces conditions, plutôt crever ! Adultes qui n’avez pas su gagner la paix des hommes et des femmes libres, c'est celle-là dont nous allons vous faire cadeau, c’est pour celle-là que nous allons nous battre et comme disent nos frères et nos sœurs américaines il y a deux choses dont nous sommes sûrs, la première c’est que nous allons en prendre plein la gueule, la deuxième c’est que nous allons vaincre. Notre violence c’est l’auto-défense de l’amour et de la fraternité, la passion de la vie poussée dans ses conséquences ultimes. Notre jeunesse enragée jusqu'aux dents, donne enfin à la vie et à la mort toute leur signification.

Désormais nous savons que la jeunesse est biologiquement et psychologiquement, la période d’apprentissage de la jouissance, le stade où les capacités de créativité et de plaisir sont optimums.
Désormais nous savons que la formation de l’adulte est celle de l’acceptation du déplaisir, de la non-joie et de l’ennui que la jeunesse s’identifiant 'à la vie, l’âge adulte à la non-vie et que l’éducation est ce long processus de répression, d’acceptation et de reproduction des valeurs de non- vie : la soumission, l'insatisfaction sexuelle comme norme de bonne moralité, le travail pénible et stupide, la bêtise — (éducateurs vous êtes serviles et vous êtes bêtes ! ].

La jeunesse a tous les besoins et elle doit tendre à les satisfaire dans les plus bref délais, sur tout les plans ; besoin de comprendre où va le monde et de savoir quoi faire pour le transformer ; besoin de satisfaire immédiatement tous nos besoins vitaux ; exigence immédiate de nouveaux rapport sociaux.
Nous faisons nôtre le mot d'ordre :

VIVRE SANS TEMPS MORTS, JOUIR SANS ENTRAVES

Il est clair que la seule façon de ne pas nous faire baiser, c’est de prendre nous-mêmes nos affaires en main, de délimiter nous-mêmes nos objectifs, d’en discuter, et de le faire ! — Seule l'action directe, masse ou pas, paie — il faut ique les cibles soient parlantes et il faut discuter dans le seul but de toucher des cibles et d'agir, c’est la seule rigueur que nous acceptons :

ON EN DISCUTE ET ON LE FAIT !

On peut remarquer qu’en général quand les gens font ce qu'ils ont envie de faire, rien ne fonctionne plus. Il y a plein de choses, apparemment insensés pour les vieux cons. que nous avons envie de faire et que nous sommes capables de traduire en actes immédiats.
La scission dans l’homme s'accomplit irrémédiablement dès qu’il a renoncé à sa jeunesse, c’est-à- dire à vivre, dès qu'il la fige en termes de souvenirs, de regrets, « le bon temps », « le temps des copains ». Le bon temps est celui qu'on prend maintenant et ici ! La jeunesse c’est le refus de cette scission dans l’être, c’est la rupture dans le processus dévitalisant du renoncement.
Faire l'amour est de loin une des choses les plus agréables que nous connaissions, plus on baise, mieux on se porte, et mieux on baise mieux on se supporte. Personne n’a plus rien à nous interdire et sur ce plan encore moins que pour le reste si on considère le naufrage sexuel de nos parents.
ON NOUS BRIME LE SEXE ! mais ça ne va pas durer.
BAISONS ! est donc aussi un bon mot d'ordre — y a beaucoup de choses à dire là-dessus...

Texte interrompu par une grenade
Rédigé, après discussion au F.L.J., par Richard Deshayes en janvier 1971.

 

 

 

Publié dans Histoire

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