L’HEURE N’EST PAS AUX DÉROGATIONS !

Publié le par Résistance verte

Vous vous  en souvenez  certainement : l’EPR devait  coûter  autour  de 3 milliards d’euros,  être construit en 5 ans et constituer une référence  sociale pour les travailleurs, un modèle de maîtrise technique et le must de la sûreté nucléaire.

Autant de promesses non tenues : l’addition dépasse désormais les 10 milliards d’€ (et ce n’est pas terminé) ; le délai maximum de 10 ans a été dépassée en avril dernier ; le droit du travail a fait place à la dissimulation des accidents, à l’exploitation de quelques 500 travailleurs polo- nais et roumains par des patrons voyous, via une société écran chypriote ; en guise d’excellence technique, nous avons eu les fissures du radier, les « piliers de béton percés comme du gruyère », les multiples défauts de soudure… Quant à la sûreté nucléaire, citons, parmi les exemples les plus inquiétants, la découverte, par l’autorité  de  sûreté  nucléaire  britannique, de défauts majeurs dans le système de contrôle-commande de l’EPR. C’était en 2009, le chantier était déjà bien avancé et il fallait revoir une pièce maîtresse, rien de moins que le cerveau de l’EPR !

L’apothéose, toutefois, concerne les défauts de fabrication des calottes de la cuve du réacteur et l’incroyable saga des échanges entre AREVA, EDF et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Le contrôleur se révèle impuissant, pour ne pas dire complice ; AREVA incapable de garantir la qualité de ses fabrications, voire même d’éviter les falsifications ; EDF totalement irresponsable, jouant la montre et la poli- tique du fait accompli. Les enjeux sont tels que des moyens considérables ont été mis en œuvre pour justifier que l’acier de la cuve résisterait, malgré son faible niveau de résilience. Épaulée par les experts de l’IRSN, l’ASN a fini par déclarer la cuve apte au service.
L’État a apporté, lui aussi, sa contribution en changeant très opportunément les règles du jeu. Le code de l’environnement stipule en effet qu’il est interdit de mettre en service un équipement qui ne satisfait pas  aux  règles  essentielles  de  sûreté. Une possibilité de dérogation était prévue mais, sans texte d’application, elle restait théorique. Ce n’est plus le cas depuis l’arrêté du 30 décembre 2015 qui définit les modalités de délivrance des dérogations. Les «responsables» ont ainsi retiré une grosse  épine  du  pied  des  exploitants… et placé une belle épée de Damoclès au- dessus de nos têtes.
Au final, tous les principes censés assurer notre protection semblent foulés aux pieds : principe de la responsabilité de l’exploitant, principe de prévention, principe de défense en profondeur… Nous imaginions des règles strictes, des pratiques exemplaires, des contrôles exigeants, nous découvrons que le service qualité de Creusot Forge était placé sous la responsabilité hiérarchique du départe- ment en charge de la production ! Chacun sait pourtant qu’il est impératif que les personnes en charge de la qualité soient soustraites  aux  pressions  !  Qui  aurait pu imaginer que les services d’inspection d’AREVA laissent passer un tel dysfonctionnement ? Qu’EDF n’y trouve rien à re- dire ? Que l’ASN ne le dénonce pas dans ses inspections ?

Et que dire du principe fondamental sur lequel repose tout le système de radio- protection, celui de la justification : une activité  nucléaire  ne  devrait  être  autorisée que si les avantages qu’elle procure l’emportent sur les risques qu’elle génère. Au fil des ans et des décennies, toutes les justifications des promoteurs de l’industrie nucléaire ont volé en éclat : l’accident était impossible, la protection assurée, les déchets gérables… Confrontées à la masse des gravats et des métaux contaminés générées par le démantèlement, les autorités ont même ressorti les projets de recyclage dans le domaine public ! La rentabilité était acquise… et il faut aujourd’hui renflouer à coup de milliards des industriels au bord du gouffre. EDF et AREVA, entreprises quasi publiques, devaient défendre bec et ongles l’intérêt général… et l’on découvre des falsifications et des dossiers plus que douteux. Après le scandale URAMIN, voici l’étrange rachat de Creusot Forge par AREVA en 2006 : 170 M€ alors que l’installation valait moins d’1 M€ deux ans plus tôt et que son état était jugé alarmant !
Les responsables s’accordaient déjà sur le fait qu’un accident nucléaire peut survenir en France mais il s’avère que la probabilité d’occurrence est très supérieure à leurs calculs : des défauts qui concernent des composants nucléaires critiques ne sont pas détectés, les causes des défaillances ne sont toujours pas identifiées et on ne sait pas encore si l’on pourra y remédier !
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les conséquences d’un accident nucléaire majeur sont tellement catastrophiques qu’aucun assureur ne les couvre : le nucléaire est placé sous le régime d’une responsabilité civile spécifique qui limite à presque rien les montants disponibles pour l’indemnisation des victimes. Au temps pour le principe pollueur-payeur !

Par ailleurs, la réglementation reconnaît désormais qu’en cas d’accident, aucune protection sanitaire réelle ne sera garantie : la limite  du risque maximum admissible (1 mSv/an) sera aussitôt remplacée par de simples références,  susceptibles d’être dépassées et fixées à des niveaux très supérieurs : 100 mSv (!) pour la phase d’urgence ; jusqu’à 20 mSv/an (!) pour la phase  post-accidentelle,  qui  peut  durer des dizaines, voire des centaines d’an- nées. Les textes sont clairs : les populations devront vivre avec la radioactivité et consommer des aliments radioactifs. Des niveaux de contamination dits « acceptables » ont été définis pour l’eau et les aliments. Le dispositif n’épargne même pas les préparations pour nourrissons ! Ces limites ont été fixées à des niveaux excessivement élevés, sur la base d’éléments erronés, par des experts anonymes qui ne rendent aucun compte. La CRIIRAD l’a dénoncé, preuves à l’appui aux autorités françaises et européennes. En vain : il n’est pire sourd...

Et que dire des déclarations sur la transparence, sur la participation du public, sur l’implication des parties  prenantes que l’on nous répète ad nauseam ?
En pleine crise de la cuve de l’EPR, le ministre de l’Écologie a saisi le Haut Comité pour la transparence de l’Information (HCTISN). Son rapport salue la « communication active et rythmée de l’ASN » (sic).  Il  s’agit  de  l’information  diffusée à partir d’avril 2015 ! Il n’y a pas un mot de reproche sur le silence de ce même organisme au cours des 10 années précédentes : qui a su que le haut responsable de la sûreté nucléaire avait découvert, en janvier 2006, que la situation de la forge du Creusot était catastrophique ? Que les fabrications étaient lancées alors même que les qualifications techniques n’étaient pas acquises, et ce, en violation complète des prescriptions réglementaires ? Aucune information n’est venue alimenter le débat national sur l’EPR qui se déroulait à ce moment-là ; rien ne figure non plus dans le dossier soumis plus tard à l’en- quête publique.

L’audition organisée le 25 juin 2015 par l’Office  Parlementaire  d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) est citée comme exemple du bon fonctionnement de notre système de contrôle, pluraliste  et  transparent. Elle aurait dû, bien au contraire, conduire les organisateurs devant une commission d’enquête. En effet, toujours très soucieux de protéger l’industrie nucléaire, ils n’ont pas hésité à choisir comme un « grand témoin», le haut-commissaire  à  l’énergie  atomique. Celui-ci  a  parfaitement joué son rôle, n’hésitant pas à mettre en cause la règlementation, demandant de« faire  la  démonstration  scientifique  » que les  modifications  règlementaires augmentent « la sûreté et pas simple- ment les coûts » et que les « exigences nouvelles  sont  technologiquement  réalistes » ! Autant  d’attaques  en  règles contre l’Autorité de Sûreté Nucléaire que l’OPECST n’a pas osé porter lui-même mais qu’il s’emploie à relayer auprès du public et des parlementaires.

Et quid du droit du public de participer au processus de décision ? Quand l’enquête publique débute, plusieurs composants de la cuve étaient déjà fabriqués ! L’intégra- lité de la cuve est achevée avant même que l’ASN ne termine l’instruction de la demande d’EDF, bien avant la signature du décret autorisant la création de l’EPR ! Les processus dits « démocratiques » ne sont que des coquilles vides.

Les  différentes  instances  créées  par  la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire ne servent qu’à renforcer à peu de frais l’acceptabilité du nucléaire. Il n’y a qu’à voir comment les promoteurs  du  nucléaire  se  gargarisent de « l’implication de toutes les parties prenantes ». La CRIIRAD l’avait dénoncé à l’époque mais s’est trouvée trop isolée pour  enrayer  le  processus.  La  gravité des  récents  dysfonctionnements  aurait dû conduire à des remises en cause radicales, à des démissions fracassantes. Au lieu de quoi, les différentes structures continuent de tourner à vide et se servent mutuellement de caution.

En France, il est plus que temps de re- mettre à plat le dossier nucléaire et d’en examiner tous les composants !

Corinne Castanier

Photo d’un mur de la piscine du bâtiment où sera entreposé le combustible irradié de Flamanville. Ce cliché, comme beaucoup d’autres, a été pris en avril, après le décoffrage du béton. La ferraille à l’air, les enceintes du futur réacteur sont pleines de trous béants… (Le Canard Enchainé, mercredi  31 août 2011)

 

Publié dans Nucléaire

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