DICTA­TURE TECH­NO­LO­GIQUE

Publié le par Résistance verte

 

Aujourd’­hui, grâce aux industriels, la technique est toute puissante, universelle, obligatoire, inflexible, inexorable, à quelque prix que ce soit, y compris celui de la vie. (...)
La technologie triomphe toujours. Il n‘y a pas d’exemple, à ma connais­sance, d’une seule « inno­va­tion » tech­no­lo­gique qui ait dû céder aux inté­rêts natu­rels ou humains, y compris lorsque cette inno­va­tion rendait possible la destruc­tion de la la planète, comme la fission atomique. (...)

La « moder­nité » si chère aux bien-pensants est d’abord le nom de l’ex­ten­sion, de la pres­sion accrue des tech­niques. Elle s’adapte en perma­nence aux « inno­va­tions » conti­nuelles comme on court derrière l’au­to­bus de peur de manquer le prochain. Qui cesse de courir dispa­raît. Les tech­no­lo­gies « modernes », à savoir numé­riques, dites « de l’In­for­ma­tion et de la Commu­ni­ca­tion » (TIC), qui produisent des télé­phones « portables », des ordi­na­teurs, des navi­ga­teurs par satel­lite, des biens et services « imma­té­riels », qui prétendent « déma­té­ria­li­ser », abolir les distances et les trans­ports, « sauver » des arbres en remplaçant le papier par des écrans, comme si l’élec­tro­nique tombait du ciel, détruisent davan­tage encore, harcèlent les gorilles de montagne en cher­chant du cobalt sur leur terri­toire, menacent la santé publique en augmen­tant massi­ve­ment les risques de cancer, d’asthme ou de satur­nisme, affectent nos capa­ci­tés cogni­tives et notre imagi­naire en nous accou­tu­mant aux écrans et au virtuel. La fibre optique immer­gée au fond des océans déso­riente les céta­cés et les fait s’échouer sur les rivages. Chacun des utili­sa­teurs d’In­ter­net consomme chaque année 200 kilos de gaz à effet de serre et 3000 litres d’eau, pour ne s’en tenir qu’à quelques désastres ordi­naires.

Les tech­no­philes opposent aux récal­ci­trants des alter­na­tives tran­chées : le nucléaire ou la bougie, le hameçon ou la pêche élec­trique, les OGM ou la famine, la tech­no­lo­gie ou la mort. Seuls les réac­tion­naires nostal­giques de l’An­cien Régime et des perruques poudrées pour­raient s’op­po­ser à la marche triom­phale du Progrès. Voici donc revenu sous le nom de « moder­nité » le prin­cipe téléo­lo­gique du Tout est bien, Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ce qui est réel vaut forcé­ment mieux que ce qui n’existe pas. Cette logique de la fina­lité n’est pas loin du « dessein intel­li­gent ». Il suffit d’em­ployer à bon escient les instru­ments « modernes », par exemple pour « sauver la planète ».

Mais la tech­nique n’est pas neutre, comme un simple outil bien ou mal utilisé, par des gentils ou des méchants, c’est un pouvoir en soi, qui porte son idéo­lo­gie comme l’es­car­got sa coquille. Elle l’em­porte toujours. « La machine, écri­vait Marcuse[2] vers 1968, est l’ins­tru­ment poli­tique le plus effi­cace ». Et nous véri­fions, comme le remarquait Haber­mas à la même époque, que la plupart des décou­vertes tech­niques concernent « le contrôle du compor­te­ment et de modi­fi­ca­tion de la person­na­lité[3] ». De fait, la plupart des nouvelles « avan­cées tech­no­lo­giques » améliorent des moyens de contrôle et de surveillance, et la plus grande dicta­ture du monde, la Chine, « innove » constam­ment avec des systèmes de recon­nais­sance faciale, de surveillance de masse, des « points sociaux », des orga­nismes géné­tique­ment modi­fiés et des tech­niques dites « d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle » permet­tant de détec­ter des compor­te­ments suspects.

« Il ne s’agit pas de gagner la guerre, disait George Orwell, mais de la prolon­ger » (1984). Et aussi : « Le but de la guerre n’est pas de faire ou d’em­pê­cher des conquêtes de terri­toires mais de main­te­nir intacte la struc­ture de la société (p.281). » Ou encore : « En deve­nant conti­nue la guerre a cessé d’exis­ter. » Il prévoyait aussi le « déve­lop­pe­ment de la télé­vi­sion et le perfec­tion­ne­ment de la tech­nique (qu’au­rait-il dit de l’in­for­ma­tique !) comme « une possi­bi­lité d’im­po­ser non seule­ment une complète obéis­sance à la volonté de l’État, mais une complète unifor­mité sur tous les sujets »[4]. En effet, ce n’est pas seule­ment un pouvoir écono­mique et poli­tique qui s’im­pose avec la tech­nique mais aussi une idéo­lo­gie : celle du progrès continu, de la crois­sance sans limite, du génie humain, avec inter­dic­tion de critiquer « la moder­nité », puisque tout ce qui arrive devait arri­ver. Grâce à elle, certains nous promettent même l’im­mor­ta­lité ! Dieu et la moder­nité ont donc voulu le rempla­ce­ment de la forêt tropi­cale par des palmiers à huile, l’éle­vage du tigre en batte­rie, les algues vertes, la recon­nais­sance faciale, la mani­pu­la­tion géné­tique, la fonte des banquises et toutes les cala­mi­tés « modernes » qui nous accablent. Douter de « la science » c’est blas­phé­mer. (...)

En effet, on voit que tout ce qui était propre devient sale (comme l’air), que tout ce qui était gratuit devient payant (comme l’eau), que tout ce qui était natu­rel est ou sera fabriqué (comme la neige). La terre promise des hommes « modernes » est en vue : sans arbres, sans pois­sons, sans glaciers, sans animaux, sans eau douce, sans étoiles, mais avec des esca­liers roulants, des ascen­seurs, des écrans, des routes, des parcs et des ronds-points. La Troi­sième Guerre mondiale fait donc rage. Il ne suffit plus de déser­ter. Il est urgent de résis­ter, car cette guerre, il faut qu’ils la perdent.

Armand Farra­chi
La guerre mondiale contre la nature, mai 2020 (extraits)


https://www.partage-le.com/2020/05/07/la-guerre-mondiale-contre-la-nature-par-armand-farrachi/


2. Vie d’Agri­cola (p. 29)
3. La tech­nique et le science comme idéo­lo­gie, éd. essais/Galll­mard, p. 65
4. 1984, Folio, p. 292

Des milliers de serres en Andalousie

 

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