DU TRITIUM DANS L’EAU POTABLE
La CRIIRAD a réalisé une synthèse des résultats des analyses réglementaires des eaux potables en France. Du tritium, un atome radioactif rejeté par l’industrie nucléaire, a été détecté dans l’eau potable de près de 2 000 communes. On retrouve du tritium dans l’eau de 15 communes de la Loire, la plupart faisant partie de Saint-Étienne métropole.
Un atome radioactif présent dans l’environnement
Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène. On trouve du tritium naturel dans l’atmosphère lors d’interactions du rayonnement cosmique avec les noyaux d’azote et d’oxygène. Ses propriétés chimiques étant celles de l’hydrogène, il est extrêmement mobile dans l’environnement. On le retrouve sous différentes formes : gazeuse, intégré à des molécules d’eau ou lié à la matière organique. Lors de sa désintégration il émet un rayonnement bêta et se transforme en hélium.
Sa période radioactive, durée au bout de laquelle sa radioactivité a diminué de moitié, est de 12,3 ans.
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Toutefois, de 1945 à 1963, les essais nucléaires aériens ont relâché des quantités considérables de tritium dans l’environnement ainsi que d’autres substances radioactives.
À ces deux composantes qui forment un « bruit de fond » omniprésent se rajoutent les rejets actuels des installations nucléaires en fonctionnement.
https://www.criirad.org/tritium_en-savoir-plus/
Une grosse quantité de tritium rejeté par les centrales nucléaire
La plus grosse quantité de tritium est produite dans les réacteurs nucléaires par fission ternaire de l’uranium, mais elle reste contenue dans les barres de combustible er représentant au final moins de 0,01 % du tritium rejeté par les centrales nucléaires (1)
Les composants de l’eau du circuit primaire constituent l’autre source de production du tritium. Le tritium s’y forme par activation du bore 10 utilisé comme modérateur de la réaction nucléaire (86 % de la production de tritium dans le circuit primaire), et par activation du lithium 6 (14% de la production de tritium dans le circuit primaire), du lithium 7 ainsi que du deutérium.
C’est ce tritium, produit par activation dans le circuit primaire qui se retrouve principalement dans les effluents et donc dans l’environnement.
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Le tritium représente plus de 99% de la radioactivité rejetée par voie liquide et il est un des principaux constituants des rejets radioactifs à l’atmosphère (avec les gaz rares et le carbone) (2).
Les rejets de tritium des installations nucléaires de base sont encadrés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Les prescriptions comprennent des limites annuelles de rejets, fixées pour l’ensemble des réacteurs de la centrale,, mais également des taux de dilution avant rejet, des débits d’activité au point de rejet, ainsi que des concentrations maximales dans l’environnement en aval du site.
Si le cours d’eau est utilisé pour l’approvisionnement en eau potable, le tritium va nécessairement se retrouver dans l’eau de boisson des communes concernées.
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https://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/Livre_blanc_ASN_et_EDFTritium_CHAP_2-1.pdf
Du tritium dans l’eau potable
Depuis 2005, le contrôle du tritium dans les eaux potables est obligatoire. Les résultats des analyses réglementaires des eaux potables sont bien mis à disposition du public, mais soit sur le site Orobnat très fastidieux à consulter, soit, sur data.gouv.fr, sous forme de bases de données brutes ne pouvant être consultées telles quelles.
La CRIIRAD a donc extrait de ces bases et compilé l’ensemble des données relatives aux mesures de tritium effectuées entre janvier 2016 et février 2023 et les a mis à la disposition du public, sous forme de fichiers globaux et de cartes interactives.
La CRIIRAD a révélé que du tritium avait été détecté dans l’eau potable 2 000 communes, représentant près de 15 millions d’habitant·es.
Celui-ci a été principalement détecté dans des communes situées le long ou à proximité de cours d’eau dans lesquels une ou plusieurs centrales nucléaires, situées en amont, rejette des effluents radioactifs. On en retrouve dans plusieurs communes d’Île de France (dont Paris), mais aussi dans de nombreuses communes du Val de Loire (Nantes, Angers, Tours, Orléans…) et en vallée du Rhône (Lyon, Bollène).
Le tritium a également été détecté dans 77 communes de Côte d’Or où se trouve le centre CEA de Valduc, où sont fabriquées les armes thermonucléaires. Il s’agit du site qui, de loin, rejette le plus de tritium en France par voie atmosphérique (60% de la totalité).
https://www.criirad.org/tritium-dans-leau-potable-la-criirad-publie-les-donnees/
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La CRIIRAD publie deux cartes interactives pour les communes dans lesquelles du tritium a été détecté :
- La première regroupe l’ensemble des communes concernées, ce qui permet de disposer d’une vue d’ensemble.
- La seconde pointe les communes dans lesquelles au moins deux résultats dépassent la limite de détection, et où la valeur maximale atteint ou dépasse 10 Bq/l. Elle montre le lien entre rejets liquides en eaux douces des centrales électronucléaires et présence de tritium dans l’eau potable. L’ampleur du phénomène est en cohérence avec les débits des cours d’eau et les rejets déclarés. La carte fait également apparaître le cas de la Côte d’Or, où se trouve le centre CEA de Valduc.
Un risque cancérigène
Les rayonnements ionisants émis par le tritium sont dangereux : ils peuvent créer, lorsqu’ils traversent la matière vivante, des lésions dans les cellules. Lorsque l’ADN endommagé par un rayonnement ionisant ne se répare pas correctement, cela entraîne une mutation génétique. Certaines mutations peuvent être à l’origine de leucémies ou de cancers solides chez les personnes exposées, et/ou d’anomalies génétiques dans leur descendance.
Une très forte dose, ou une exposition continue à de faibles doses augmentent le risque d’apparition de ces lésions.
L’OMS estime que la quantité de tritium dans l’eau est dangereuse à partir de 10 000 Bq/l.
Toutefois la CRIIRAD est très critique vis à vis de ce seuil.
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Déjà, l’OMS a arrondit le seuil dans ses calculs (en corrigeant l’approximation due à la règle d’arrondi et l’erreur de la valeur du coefficient de risque nominal, on obtient une valeur-guide d’environ 2 500 Bq/l au lieu de 10 000). Ensuite, cette norme oublie les plus vulnérables car les limites de l’OMS sont définies pour des consommateurs adultes. Or dans le cas du tritium, le groupe d’âge le plus radiosensible est celui du nourrisson. Pour une même quantité de tritium incorporée, il recevrait d’après les modèles officiels une dose 3,65 fois supérieure à celle d’un adulte.
De plus, ce seuil a une part d’arbitraire. Avec ce seuil, l’OMS a établi qu’une personne buvant chaque jour une eau contenant 10 000 becquerels de tritium par litre ne devrait pas recevoir une dose de rayonnement supérieure à 100 μSv/an. Ce qui équivaut tout de même à un risque de 5,5 cancers supplémentaires par an pour un million de personnes exposées.
Mais la valeur utilisée par l’OMS correspond au « détriment cancérigène », et non à « l’incidence des cancers », ce qui divise par 3 l’impact sanitaire réel. Le détriment cancérigène est un indicateur qui repose sur l’incidence mais la pondère en fonction de la létalité des cancers, du nombre d’années de vies perdues, de la perte de la qualité de vie pour les cancers non mortels. La CRIIRAD, en se basant sur les valeurs fixées par la CIPR estime qu’une dose efficace de 100 µSv/an correspond en réalité à un excès de cancers d’environ 17 (et non 5,5) par million de personnes exposées.
En outre, le critère de risque acceptable choisit ici par l’OMS n’est pas le même que celui utilisé pour les cancérigènes chimiques, alors que les polluants radioactifs sont des produits cancérigènes (et mutagènes) avérés. Or, en en calculant, sur la base du coefficient de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique), la CRIIRAD obtient un autre niveau de risque équivalent à 1 cancer radio-induit pour 843 personnes.
Le risque que l’OMS juge tolérable pour les cancérigènes radioactifs est donc plus de 100 fois supérieur à celui qu’elle prend en référence pour les cancérigènes chimiques !
De plus, il se pourrait que le niveau de risque cancérogène via l’exposition à de faibles doses et à de faibles débuts de doses puissent être bientôt remis en question par de nouvelles études épidémiologiques...
Pour toutes ces raisons la CRIIRAD demande l’abandon de toute référence aux valeurs guides définies par l’OMS pour le tritium, et de façon générale pour tous les radionucléides artificiels (et de tous ceux qui existent également à l’état naturel mais qui sont d’origine anthropique).
L'Institut pour la recherche sur l’énergie et l’environnement, sur la côte est des États-Unis plaide pour limiter le tritium à 15 Bq/l. Au Canada, autre pays nucléaire, l’agence de protection de l’eau potable de l’État d’Ontario, où se trouve une des plus grosses centrales atomiques du monde avec huit réacteurs, propose de limiter le tritium à 20 Bq/l.
Pour la CRIIRAD la valeur- guide du tritium dans l’eau potable ne devrait pas dépasser 10 Bq/l.
En 2013, le Parlement européen avait adopté une résolution abaissant la valeur de référence du tritium à 20 Bq/l. Elle n’a pas été reprise par la Commission. Dans une partie des communes françaises, les quantités détectées sont supérieures à ces niveaux...
De nouvelles études dénoncent le tritium
De récentes publications scientifiques et travaux d’expert·es vont à l’encontre de l’idée que le tritium est inoffensif.
Après avoir analysé 250 publications scientifiques, les chercheurs Timothy Mousseau et Sarah A. Todd, de l’université de Caroline du Sud (États-Unis), concluent que « contrairement à l’idée répandue que le tritium est une source relativement anodine d’irradiation, la grande majorité des études indiquent que l’exposition, en particulier interne [c’est à-dire depuis l’intérieur du corps – ndlr] peut avoir des conséquences biologiques, en abîmant l’ADN, en causant des dégâts physiologiques et du développement, en réduisant la fertilité et la longévité, et en élevant le risque de maladies, y compris de cancers ».
Président de l’Institut pour la recherche sur l’énergie et l’environnement, sur la côte est des États-Unis, un organisme dédié à la diffusion du savoir scientifique, Arjun Makhijani pointe que le corps humain « est avant tout un système d’information, avec un ADN très finement réglé. Or, la radioprotection considère le corps humain avant tout comme un gros sac d’eau ». Le problème de cette approche est qu’elle sous-estime, selon lui, les effets des rayonnements du tritium sur les cellules de l’organisme. Et notamment, les risques de pathologies en dehors du cancer : fausses couches, malformations.
« Nous ne faisons pas de la santé environnementale mais du contrôle des effets des pollutions. Ce n’est pas la même chose : nous sommes en contact avec tous les polluants en même temps. Vous buvez du tritium en dessous de 100 Bq/l en France. Mais du mercure se trouve-t-il dans votre corps ? Des produits chimiques ? Des métaux lourds ? Le tritium traverse le placenta. Que se passe-t-il pour un fœtus s’il subit du stress oxydatif en raison de la présence de tritium pendant son premier trimestre de développement ? Nous ne savons pas. Le problème du passage des radionucléides vers le placenta et leur impact sur les trois premiers mois de la grossesse a été négligé. » Il a saisi l’Académie des sciences états-unienne sur ce sujet en 2022.
Du tritium dans la Vallée du Rhône
La vallée du Rhône compte 4 centrales électronucléaires en activité : d’amont en aval, Bugey (Ain), Saint-Alban (Isère), Cruas (Ardèche) et Tricastin (Drôme).
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Les rejets liquides de chacun de ces 4 sites sont, pour la période 2017-2021, compris entre 32 000 et 65 000 GBq/an, pour un total cumulé de 150 000 à 200 000 GBq/an. L’ILL de Grenoble, rejette également dans l’Isère 50 à 200 GBq/an de tritium, et le CEA de Marcoule, dont les rejets liquides de tritium s’élèvent de 250 à 2 500 GBq/an.
Du tritium a été détecté en Ardèche, autour d’Annonay (valeur maximale : 6 Bq/l). Dans la vallée du Rhône proprement dite, le seul secteur dans lequel la teneur en tritium dans les eaux potables atteint ou dépasse 10 Bq/l est situé à l’aval du Tricastin.
20 communes sont concernées, la principale d’entre elles étant Bollène (valeur maximale : 10 Bq/l). En revanche 20 Bq/l a été détecté dans le secteur de Nîmes.
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La vallée du Rhône semble plus épargnée que la vallée de la Loire, sans doute à cause du débit du fleuve qui est supérieur. Les activités rejetées sont du même ordre de grandeur dans le Rhône (180 000 GBq/an) que dans la Loire (220 000 GBq/an), mais débit favorise une plus grande dilution des rejets.
Ces résultats sont toutefois à prendre avec des pincettes, car les appareils utilisés pour faire les mesures n’avaient pas tous la même sensibilité.
D’après la CRIIRAD, si les mesures avaient été mesurées avec la même précision que dans le secteur d’Annonay, la carte ferait probablement apparaître des points dans l’ensemble de la vallée du Rhône.
https://www.criirad.org/tritium-zones-geographiques-les-plus-touchees/
Du tritium dans la Loire et à Saint-Étienne
Dans la Loire, 15 communes ont eu des quantités de tritium détectées dans l’eau lors des contrôles effectués de janvier 2016 à février 2023. La quantité est pour la plupart de 4Bq/l, à l’exception de Charlieu qui qui atteint les 5Bq/l.
Dans cette liste on retrouve la ville de Saint-Étienne et un certain nombre de communes de la métropole dont : la Fouillouse, la Ricamarie, Saint-Priest-en-Jarez, Villars, Unieux, Sorbiers, La Talaudière, Saint-Jean Bonnefonds, Saint-Genest-Lerpt, Rive-de-Gier, Roche-la-Molière.
Les autres communes de la Loire sont : Charlieu, Saint-Michel-sur-Rhône et Vérin (à noter que 32 communes de la Loire n’ont pas été contrôlées, ou n’ont pas eu de résultats publiés).
https://www.criirad.org/wp-content/uploads/2024/11/tritium_42_loire.pdf
Les quantités de tritium sont heureusement plutôt faibles et en dessous du seuil fixé par la CRIIRAD.
Néanmoins on peut se demander pourquoi on retrouve du tritium dans le réseau d’eau de Saint-Étienne métropole alors qu’il est totalement absent dans l’eau de la plupart des communes de la Loire ?
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Par ailleurs, comme le souligne la CRIIRAD, un faible risque ne signifie pas une absence totale de danger.
D’autant que l’arrivée des EPR vont certainement conduire à une augmentation des rejets de tritium dans l’eau, tout comme à Flamanville, où les rejets moyens estimés sont prêt du double de ce que rejettent en moyenne les réacteurs actuels.
Dans notre région, l’État a lancé le projet de deux EPR2 à la centrale du Bugey dans l’Ain. Sur place, le collectif STOP EPR Bugey essaie de résister.
De plus dans les secteurs présentant en routine du tritium dans l’eau du robinet, se pose la question de la vulnérabilité des ressources en eau en cas de rejets radioactifs liquides non maîtrisés ou de catastrophe nucléaire.
En 2020, dans le cadre d’une étude sur le secteur du Tricastin, la CRIIRAD a interrogé les autorités sanitaires, sur les moyens qui seraient mis en œuvre pour garantir un approvisionnement en eau non contaminée. Une représentante de l’Agence Régionale de Santé (ARS) de la région PACA a indiqué qu’en cas de pollution dont la durée serait supérieure à une journée, « on ne saurait pas alimenter » le secteur en eau potable.
https://www.criirad.org/tu-n105-04-2025-questions-reponses-sur-le-tritium-dans-leau-potable/
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La CRIIRAD enjoint les personnes vivant dans un secteur présentant une contamination chronique à interpeller les autorités afin qu’une réflexion soit lancée sur une meilleure protection des ressources d’eau potable vis-à-vis des rejets.
Une idée serait de contacter l'ARS pour savoir s’il existe des études spécifiques de vulnérabilité des ressources en eau vis-à-vis du risque de contamination radioactive prenant en compte les rejets en cas d’accident nucléaire, et s’il est prévu que d’autres ressources prennent le relais en cas de contamination durable.
Autrement il est possible de soutenir la CRIIRAD ou de soutenir la lutte antinucléaire au Bugey en :
- Rejoignant le collectif des citoyens et/ou des associations contre les EPR2 en écrivant à cette adresse : collectifstopeprbugey@proton.me
- S'abonner à la page Facebook du collectif : « Collectif STOP EPR Bugey »
- Signer la pétition contre l’implantation des nouveaux réacteurs au Bugey
(1) Ce tritium est toutefois relargué dans les usines de retraitement de combustible usé, lors de la section et de la dissolution des barres. En France, c’est l’usine de retraitement ORANO de La Hague (Manche) qui rejette de loin les quantités les plus importantes de tritium. Les rejets annuels sont de l’ordre de 12 millions de GBq sous forme liquide en milieu marin, et 60 000 GBq par an sous forme gazeuse. L’usine de La Hague en rejette 10 fois plus que toutes les centrales : lors de la découpe des combustibles usés, des quantités colossales sont libérées (infos ici).
(2) S’agissant des rejets atmosphériques, c’est le centre CEA de Valduc (Côte d’Or), où sont fabriquées les armes thermonucléaires, qui vient en tête : environ 200 000 GBq par an soit plus de 60% de l’ensemble des rejets atmosphériques de France (le site rejette également 1 à 2 GBq/an sous forme liquide) (infos ici).