JE SUIS UN ARBRE, POÈME
Je suis un arbre
Je suis là, attaché à des racines
Là où la terre me fut hospitalière
Là, cramponné à des racines oubliées
Invisibles, robustes et radicales
Je pousse en liberté
Ma liberté est un rêve
Il est d’aller aux étoiles
Aller seul ou en compagnie
Seul au milieu d’un champ
Je suis un arbre
Je suis une ombre
Le soleil épouse ma ramure
Le vent de bise me caresse
Rêve de caresse et bise de rêve ?
Parfois un vent mauvais se lève
Violent et capricieux
Résister coûte que coûte
Pour quelques rêves encore
Pour l’amour de la terre aux racines
Les mauvais vents sont si durs
Je suis un arbre
Je suis une ombre
Là-bas, des camarades font bloc
A l’orée, les plus robustes
Affrontent les caprices
S’appuyant sur leurs suivants
C’est une habitude pour eux
L’habitude est un abri
L’abri est un repos
Ah, rejoindre un abri ?
Mes racines s’y refusent.
Je suis un arbre
Je suis une ombre
Sous mes ailes
On se rassemble, on pépie
On s’ébat, on s’endort
On se raconte, on s’écoute
On palabre, on s’entend
J’entends ce chant cordial
Il se loge sous ma peau
Saison après saison
Je suis un arbre
Je suis une ombre
Transplanté, émondé, taillé
Etêté, couturé de cicatrices
Point de registre de naissance
Et encore moins de préfecture,
Je n’ai plus d’âge
Une peau ni lisse ni dorée
Plutôt grise et ridée
Les plaies ajoutent aux rides
Mes feuilles se font rares
Je suis un arbre
Je fais de l’ombre
On va m’abattre
Oublier mes racines
Je suis en deuil d’histoires
Je suis un cri de rage
Je vais dire mon âge
Et dire le chant cordial
Vous le lirez dans mes anneaux
J’étais un arbre
J’ai fait de l’ombre
Je suis bois de feu
Au jeu d’ombre et de lumière
On m’entoure et se réchauffe
Je chauffe le fer pour mieux le battre
Je suis bois d’oeuvre
Sculpté par la main de l’artiste
Haché menu puis comprimé en panneau
Qu’est donc un bois sans ombre ?
J’étais un arbre
Je suis bois
Je ne fais plus d’ombre,
Je suis utile !
Mais je ne suis à personne
Et mon ombre était pour tous !
(PP)