CONTRÔLES DISCRIMINATOIRES DES CAF
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Contrôles abusifs des allocataires, suspension des versements, harcèlement des plus précaires… La CAF oublie ses missions initiales de protection et de soutien pour devenir un outil de police numérique. Une tribune du collectif « Changer de cap ».
La numérisation à marche forcée des services publics contribue à faire des Caisses d’allocations familiales (CAF) un instrument de la mise en place d’une société de surveillance et de pénalisation des plus pauvres. Alors que la protection sociale est un droit universel depuis le Conseil national de la Résistance, les CAF développent une politique de plus en plus dure de contrôle des personnes en situation de précarité.
TOUS FICHÉS…
Plus de 1 000 données par personne sont collectées pour 13 millions de foyers (1), grâce à l’interconnexion de dizaines de fichiers administratifs (impôts, éducation, police, justice…) Les contrôleurs ont en outre le pouvoir de consulter nos comptes bancaires, nos factures de téléphone et d’énergie… Toutes ces données sont traitées à notre insu.
Chaque allocataire fait l’objet d’un profilage établi par un logiciel, mais selon des variables définies par des décisions humaines. Des algorithmes déterminent des « scores de risque » de fraude, qui débouchent sur un véritable harcèlement des personnes en difficulté. Sont qualifiés de « risque » les variations de revenus, les situations familiales atypiques, la naissance hors de France… Il en résulte un ciblage des contrôles sur les personnes précaires, handicapées ou vulnérables.
Plus de 32 millions de contrôles automatisés ont été réalisés par les CAF en 2020. Les témoignages collectés confirment la concentration de ces contrôles sur les femmes seules avec enfants, les chômeurs, des personnes handicapées, d’origine étrangère…
DES CONTRÔLES INDIGNES ET ILLÉGAUX
Les méthodes de contrôle sont tout aussi inacceptables. La plupart de ces contrôles sont déclenchés automatiquement, sans en informer les allocataires et parfois sans notification, ce qui est contraire à la loi. Juridiquement la fraude doit être intentionnelle, mais ici les incompréhensions, les difficultés face au numérique, les erreurs, y compris celles des CAF, sont assimilées à de la fraude (2).
Les procès-verbaux sont remplacés au mieux par des notifications sommaires, qui ne précisent ni les modalités de calcul de l’indu, ni les délais de réponse, ni les voies de recours. Dans de nombreux cas, les allocations sont suspendues pendant toute la durée du contrôle, sans respect du reste à vivre légalement imposé à tous les créanciers. Les contrôleurs sont pourtant dotés de larges pouvoirs juridiques et d’investigation, mais le calcul de leur prime d’intéressement dépend du montant des indus frauduleux détectés.
Ces dérives sont amplifiées par la désorganisation des CAF, suite à la numérisation et aux réductions d’effectifs. Les allocataires connaissent de nombreux retards, des erreurs, des versements à tort, des absences de réponses, l’impossibilité de trouver un interlocuteur. On imagine le mal-être et la dégradation des conditions de travail des agents soucieux de défendre un service public humain.
Les conséquences de telles orientations sont dévastatrices sur le plan social. La Fondation Abbé Pierre montre comment des familles ont été expulsées suite à des recouvrements qui ne tenaient pas compte du reste à vivre (3). Rappelons que 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, que 12 % des Français souffrent de difficultés psychiques. L’action présente de la CAF y contribue, comme le montrent les témoignages recueillis.
UNE POLICE ET UNE JUSTICE PARALLÈLES
Ainsi, à la faveur de la numérisation, une police et une justice numérique parallèles se mettent en place, insensibles à des situations humaines parfois dramatiques. Ces pratiques ne respectent pas les principes fondamentaux du droit, et sont entachées d’illégalité (4). Elles découlent de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022 de la CNAF qui assimile les CAF à des entreprises et considère les prestations sociales comme des coûts à réduire. Tout en pratiquant en permanence le double langage, le pouvoir politique considère toujours « qu’on met un pognon de dingue dans des minima sociaux » (5).
TRANSPARENCE, LÉGALITÉ, SOLIDARITÉ
On ne peut que s’inquiéter de l’intention de l’actuel président, s’il est réélu, de généraliser le versement automatique des aides sociales. S’il s’agit d’étendre ce type de pratiques, ce projet de maltraitance institutionnelle est inacceptable et monstrueux.
C’est pourquoi nous demandons le démantèlement des pratiques illégales qui se sont développées, l’instauration de sanctions contre ceux qui les ordonnent délibérément et un retour aux missions fondatrices de la Sécurité sociale et des services publics, dans une logique de confiance et de solidarité.
Toute la transparence doit être faite sur la récolte et le traitement des données personnelles des allocataires par la CAF, ainsi que sur le rôle des logiciels et des algorithmes dans la prise de décision.
Il est indispensable de remettre les humains au cœur du service public, tout particulièrement dans les CAF, et de faire du numérique un outil pour rendre effectif l’accès de chacun à ses droits sociaux, tout en respectant son intimité.
Vous pouvez vous joindre à cet appel.
https://changerdecap.net/petition-caf/
Voir les témoignages et le dossier complet
https://changerdecap.net/caf-controle-social/
(1) Vincent Dubois, Contrôler les assistés, Raisons d’agir, 2020, p. 257.
https://basta.media/Controles-allocations-familiales-CAF-RSA-fraudes-aux-prestations-sociales-entretien-controler-les-assistes
(2) Comme le soulignait le Défenseur des Droits dès 20217 : lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les usagers ?
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rapportfraudessociales-v6-06.09.17_0.pdf
(3) Fondation Abbé Pierre, 2020, Prestations sociales de la CAF et logement. Enquête sur les freins rencontrés 2020.
https://www.precarite-energie.org/wp-content/uploads/2020/11/enquete-prestations-sociales-logement-septembre-2020.pdf
(4) Cabinet DBKM. Incompatibilité des mesures nationales de lutte contre la fraude aux prestations sociales avec le Pacte des droits civils et politiques. Rapport au comité des droits de l’homme des Nations unies.
https://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CCPR/Shared Documents/FRA/INT_CCPR_ICS_FRA_44914_F.pdf
(5) Emmanuel Macron, 12 juin 2018 : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir ».
https://www.youtube.com/watch?v=rKkUkUFbqmE
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DANGERS DE LA PSEUDO INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
L'abusivement nommée "intelligence artificielle" nous est imposée depuis plusieurs années (et cela pourrait s'amplifier avec la 5G qui, avec la technologie du Edge computing, la disséminerait dans des micro data centers locaux). Elle sert notamment à réorganiser l'action publique, le plus souvent au détriment des pauvres (nous, qui ne sommes rien, dixit Macron, en relevont !).
Ainsi, Pôle emploi, CAF... se dotent d'algorithmes complexes, particulièrement discriminants car déployés avec la volonté de réduire drastiquement nos droits. Nous relayons l'action du Collectif "Changer de cap" (https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=1108) qui, justement, demande le démantèlement du système d'IA qui piste et discrimine les allocataires CAF. Nous les invitons pour un débat à Saint-Etienne le 8 juin, avec le co-auteur du livre "La Privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public".
Vous pouvez vous joindre à cet appel.
https://changerdecap.net/petition-caf/
A ce jour, l'intelligence artificielle se déploie sans aucun contrôle car elle n'est encadrée par aucune loi. D'où l'importance d'un projet de loi européen négocié depuis plus d'un an et qui pourrait être arrêté dès juin. Le gouvernement français, actuellement président du conseil européen (pas le seul Macron, et pas pour des "mérites exceptionnels", c'est une présidence tournante, en juillet ce seront les Tchèques) pousse pour aller le plus vite possible, et insiste particulièrement sur des dispositions répressives qui seraient classées comme "exception", donc sans aucun contrôle...
Un gros travail est mené par un ensemble de collectifs européens (123 signataires, dont pour la France seulement la LDH et GHETT’UP, la Quadrature du net est adhérente de l'EDRI, qui coordonne le tout). Ils obtiennent des possibilités de contrôle, des interdictions ... résumées dans l'article en lien "Le projet de loi européenne sur l’Intelligence Artificielle menace nos droits fondamentaux" https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=1120
Denis, pour Halte au contrôle numérique