PESTICIDES TOXIQUES MÊME EN FAIBLE QUANTITÉ

Publié le par Résistance verte

 

Les fongicides SDHI sont toxiques pour l’humain et la biosphère, même en très faibles quantités. Les autorisations de mise sur le marché de ces pesticides ne doivent pas être aux mains des industriels, expliquent des scientifiques dans cette tribune.
Paule Bénit, ingénieure de recherche à l’Inserm, et Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS, sont spécialistes des maladies mitochondriales.


Dans les pays dits développés, les usages de pesticides sont censés être précédés de recommandations établies par les autorités sanitaires, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) au niveau européen et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en France, après les autorisations de mise sur le marché, les fameuses AMM. Si étonnant que cela puisse paraître, ces AMM sont établies pour l’essentiel sur la base de données produites par les industriels.

À partir de ces études aux résultats en général non publiés (et souvent accessibles seulement en partie, à la différence des travaux scientifiques), une dose journalière autorisée (la DJA, exprimée en mg/kg/jour) est calculée, supposée garantir une absence de risque pour la santé tout au long d’une vie humaine [1].

Cette situation est extrêmement problématique, pour trois raisons.
    •    Parce que, s’il est possible de démontrer la toxicité d’un pesticide en laboratoire ou en extérieur, il est en réalité quasi impossible de garantir son innocuité, même testé seul, même à petite dose, pour tous les organismes vivants qui y seront exposés et en toute situation.
    •    Parce que, à côté de l’exemple des néonicotinoïdes, le cas d’école des pesticides SDHI [2] nous montre qu’il existe des mécanismes cellulaires qui expliquent très bien pourquoi la présence de pesticides même à très petites doses, inférieures aux normes réglementaires européennes, peut être toxique sur le long terme [3].
    •    Parce que, dans la réalité, nous n’avons jamais affaire à un seul pesticide mais, de façon simultanée, à des dizaines, voire à des centaines, et cela dans des conditions extrêmement variables qui ne peuvent être simulées en laboratoire.

Par ailleurs, seule est considérée la toxicité directe pour l’Homme. En adoptant cette vision ethnocentrée, on fait semblant d’ignorer que la santé de la biosphère, c’est aussi celle de l’humanité. Les éventuels effets sur la biodiversité, qui ne sont qu’exceptionnellement évoqués dans ces études industrielles, ne sont toujours vus que comme des effets secondaires de peu d’importance.

LES PESTICIDES RESTENT TOXIQUES, MÊME EN FAIBLES QUANTITÉS

L’échec de cette procédure, non scientifique mais « réglementaire », adoptée par nos agences de « sécurité », est désormais établi avec la destruction de la biodiversité constatée par les scientifiques, la croissance des maladies reconnues comme professionnelles chez les agriculteurs, les milliers de publications scientifiques rapportant la toxicité démontrée de très nombreux pesticides, même à faibles doses, dans une grande variété de situations sur un grand nombre d’organismes vivants. Cela ne l’empêche pas d’être encore en vigueur de nos jours.

Pourtant, à l’inverse, une attitude scientifique, reconnaissant les limites de ce que la science peut montrer, conduit, à partir des résultats des laboratoires comme de ceux du terrain, à conclure que, malgré toutes les DJA et tous les règlements, les pesticides restent toxiques. Même en petites quantités.

Il a été montré, par exemple, que des cellules humaines en culture mises en présence de très faibles quantités de SDHI meurent en quelques jours. Les mécanismes d’action des SDHI permettent d’affirmer que des doses même bien inférieures à celles actuellement autorisées seront toxiques sur le long terme pour les organismes vivants qui y seront exposés. Ces éléments accessibles depuis des années dans la littérature scientifique mondiale ne sont pas pris en compte par les agences de sécurité, qu’elles soient européennes ou françaises.

Nous, humains, comme la plus grande partie de la biosphère, n’avons plus jamais affaire à un seul pesticide dans la nature mais, de façon simultanée, à de petites quantités de dizaines, voire de centaines d’entre eux, et cela dans des conditions extrêmement variables. L’action d’un seul de ces pesticides en petite quantité passera « sous les radars » des expériences réglementaires. Et vu leur nombre, ces associations de pesticides ne peuvent être simulées en laboratoire. Il faut être irresponsable pour assurer qu’il n’y a là pas de problème.

PESTICIDES MÉLANGÉS, EFFET DÉMULTIPLIÉ

Par exemple, l’utilisation d’oxygène dans les mitochondries des cellules repose sur une chaîne respiratoire composée de quatre complexes qui se trouvent être ciblés par différents pesticides. Alors que le complexe II (appelé aussi SDH) est ciblé par les SDHI, le complexe I l’est, lui, par la roténone, longtemps vendue comme insecticide en France, le paraquat et, de façon secondaire, par de nombreux pesticides, dont des triazoles, vendus eux comme fongicides. Le complexe III est, lui, ciblé entre autres par les strobilurines, vendus comme fongicides et certains SDHI. Le complexe IV sera lui sensible au cyanure (encore utilisé aux États-Unis pour tuer les loups), mais également par le SH2, libéré lors de la décomposition des algues vertes, dont la prolifération est largement due aux nitrates rejetés par l’agriculture et des effluents d’élevage.

Le fonctionnement de cette chaîne respiratoire est sous la surveillance étroite de substances et d’enzymes dites antioxydantes. De ce point de vue, nombreux sont les pesticides qui vont diminuer les capacités des cellules à fabriquer ces substances et enzymes antioxydantes, induire un stress oxydant susceptible de causer la mort des cellules. Des noms ? Des bien connus, comme le glyphosate, et de nombreux herbicides, de nombreux néonicotinoïdes, dont les tueurs d’abeilles comme l’imidaclopride.
Mélanger le tout, c’est mettre les allumettes (SDHI, strobilurines, chlordécone [4], etc.) et cacher les extincteurs (glyphosate, néonicotinoïdes, etc.).

Cet exemple illustre comment le mélange de différents pesticides pourra avoir un effet démultiplié et entraîner la mort accrue des cellules. C’est pourquoi la toxicité d’un pesticide isolé ne saurait être étudiée de façon sérieuse. On peut raisonnablement s’interroger, au vu du nombre de pesticides qui se trouvent maintenant partout, sur la faisabilité et la signification des études de toxicologie qui portent sur un nombre forcément limité de pesticides. Sans parler du coût de telles études ! Mieux vaut-il sans doute investir dans les moyens de se passer des pesticides tels qu’actuellement utilisés.

Alors rien à voir, pas d’alerte, passez votre chemin, comme ose le prétendre l’Anses, notre agence de sécurité ? Quelle irresponsabilité ! Cela fait plus de quatre ans que le mécanisme d’action étant parfaitement démontré, nous avons signalé la toxicité des SDHI pour une multitude d’organismes et leur danger pour l’Homme : ne passons plus notre chemin !

Les conditions d’autorisation et d’utilisation des pesticides devraient être revues de fond en comble pour intégrer au plus vite les connaissances scientifiques. Les autorisations d’utilisation ne devraient être véritablement qu’exceptionnelles et accordées au cas par cas, que par des agences éloignées des intérêts financiers, et des acteurs ayant promu cet usage irresponsable des pesticides.

NOTES

[1] Cette valeur DJA est issue d’une approche empirique inventée par un toxicologue, René Truhaut, il y a soixante-dix ans. Pour déterminer une valeur de DJA, des expérimentations sur des animaux sont réalisées avec des expositions répétées ou non, sur des durées pouvant aller jusqu’à la vie entière pour des études sur des rongeurs. Il s’agit de déterminer un seuil à partir duquel des effets toxiques sont observés. Ce seuil chez l’animal est aussi appelé « dose sans effet » (DSE). Celle-ci est convertie ensuite en un équivalent chez l’homme, sur la base d’un facteur de correction qui intègre la masse corporelle (volume et poids), et qui dépend donc de l’animal choisi au départ. Pour finir, cette valeur est divisée par un facteur 10, dont on assume, sans aucune évaluation scientifique, qu’il assure une marge de sécurité pour l’homme de façon à rendre compte de différences physiologiques et processus biologiques différents entre l’animal et l’humain.
Points éminemment critiquables :
-  Le choix de l’animal : en imaginant que cette approche ait un sens, l’animal présentant la plus faible DSE devrait être considéré comme l’espèce de choix pour déterminer le risque pour l’homme. Mais toutes les espèces ne sont pas testées. Les autorités sanitaires réclament juste une étude incluant au moins un mammifère.
-  De fait cette approche ne tient pas compte du fait que les espèces y compris de mammifères sont très différentes les unes des autres en termes de physiologie. Par exemple l’homme supporte très bien le paracétamol jusqu’à 1000 mg toutes les 4 h sans problème. Une dose équivalente pour le chat (après correction pour tenir compte de la différence de poids) va se révéler fatale. Cet exemple illustre bien la diversité pouvant exister entre les espèces, et notre grande incapacité à prédire par une telle approche l’innocuité des doses pour l’homme et sans parler de la protection de la diversité du vivant.
-  Le stade du développement : actuellement il n’y a pas de test précoce débutant au stade embryon et pourtant de nombreuses publications scientifiques démontrent qu’un déséquilibre métabolique ou stress oxydant intervenant à ce moment précis peut parfaitement perturber le développement d’un organisme (2).
-  L’effet cocktail : la DJA est calculée pour une substance isolée, pure, les mélanges tels qu’ils sont commercialisés ne sont pas testés. De plus, les substances se retrouvent mélangées dans la nature aux pesticides auxquels nous sommes exposés, soit plus de 600 pesticides présents dans l’eau, l’air et les aliments. La DJA ne tient donc pas compte des effets cocktails et/ou synergiques possibles. Au vu du nombre de mélanges de substances possibles, cette détermination est bien évidemment impossible.
-  La diversité génétique entre les individus : chaque individu est différent de par son patrimoine génétique (que ce soit l’homme ou l’animal), pour l’homme, il existe ainsi une sous population de personnes qui pourra éventuellement être plus fragile. Ainsi par exemple, si l’on considère les toxiques mitochondriaux, les malades (Alzheimer, diabète, maladie métabolique de type atteinte mitochondriale) seront plus sensibles aux pesticides (3).

Références
1-Nair AB1, Jacob S2. A simple practice guide for dose conversion between animals and human. J Basic Clin Pharm. 2016. ;
2- Baran A, Köktürk M, Atamanalp M, Ceyhun SB. Determination of developmental toxicity of zebrafish exposed to propyl gallate dosed lower than ADI (Acceptable Daily Intake). Regul Toxicol Pharmacol. 2018 ;
3- Bénit P, Kahn A, Chretien D, Bortoli S, Huc L, Schiff M, Gimenez-Roqueplo AP, Favier J, Gressens P, Rak M, Rustin P. Evolutionarily conserved susceptibility of the mitochondrial respiratory chain to SDHI pesticides and its consequence on the impact of SDHIs on human cultured cells. Plos One. 2019

[2] Les substances SDHI avant même un blocage de la respiration vont provoquer, à très faibles doses, une production anormale d’espèces oxydantes susceptible d’entraîner la mort des cellules chez tous les êtres vivants . Elles sont utilisées comme fongicides en agriculture.

[3] Ces mécanismes cellulaires sont détaillés sur le site EndSDHI.com

[4] Gaume B, Dodet N, Thomé JP, Lemoine S. Expression of biotransformation and oxidative stress genes in the giant freshwater prawn Macrobrachium rosenbergii exposed to chlordecone. 2015 Environ Sci Pollut Res Int. 22:7991-8002.

https://reporterre.net/Les-pesticides-sont-toxiques-meme-en-faible-quantite

Publié dans Pollution chimique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article