LA MACHINE À DISSOUDRE
Le collectif Halte au contrôle numérique a participé, avec le Couac (journal alternatif stéphanois) à un débat sur Radio Dio (89.5FM ou https://radiodio.org/) le dimanche 13 février 2022, pour manifester notre soutien au site Nantes révoltée, menacé de dissolution par Darmanin, ministre de l’Intérieur.
Au delà de cette dissolution, c’est bien l’ensemble des lois liberticides prises par ce gouvernement depuis 5 ans que nous entendons contester. Beaucoup s’appuient sur la technologie numérique, et visent à contrôler nos vies, nos actions collectives.
Pour nous, il est urgent d’engager des débats démocratiques pour décider d’un autre choix de société, solidaire, protecteur, pour le vivant et la planète.
L'émission complète.
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(Extrait de l'émission)
Chasse à l’islamo-gauchisme et dissolution d’observatoires indépendants :
vers un contrôle de la recherche et de l’éducation ?
Il n’y a pas que les médias alternatifs, les militants ou les associations religieuses qui aient été attaquées par ces offensives réactionnaires. Le monde de l’enseignement a lui aussi été touché. Le gouvernement, non content de s’attaquer aux musulmans s’en est aussi pris aux universitaires et plus particulièrement aux sociologues. En 2020, ceux-ci se sont retrouvés accusés du jour au lendemain de complicités avec de soi-disant « ennemis de l’intérieur », sous le néologisme incompréhensible d’« islamogauchisme ». Un « slogan politique qui ne correspond à aucune réalité scientifique » comme l’a souligné le CNRS « et qu’il conviendrait de laisser sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisée » comme l’ont fait remarquer à leur tour les présidents d’universités. Il s’agit d’un amalgame, d’un mot fourre-tout qui mêle la gauche, les musulmans et l’islamisme, soit des individus et des groupes différents. Il ne correspond à aucune réalité, mais l’objectif n’est pas de décrire la réalité : il s’agit de jouer sur les images pour agir sur les imaginaires.
Les sciences sociales, et plus particulièrement la sociologie, se sont faites attaquer par Blanquer et Vidal à cause de travaux sur l’intersectionalité et le post-colonialisme. Des travaux qui s’intéressent aux inégalités, aux discriminations, mais aussi à l’évolution des sociétés notamment dans les DOM TOM. « L’intersectionnalité » plus précisément est un concept sociologique utilisé pour « mesurer l’impact de discriminations multiples - de sexe, de classe, de race surtout, mais aussi de handicap ou d’orientation sexuelle - qui se croisent, parfois se renforcent, mais pas toujours. » Si ces travaux peuvent être effectué par des chercheurs situés à gauche politiquement, cela ne les rend pas moins scientifique. En sciences sociales, comme dans les autres sciences, c’est l’évaluation par les paires qui donne validité aux travaux scientifiques et en l’occurence ces travaux sont validés par le CNRS. Par ailleurs on ne voit guère ici le lien avec le terrorisme. Cependant, il y a bien un semblant de lien entre toutes ces attaques. Les travaux de ces chercheurs peuvent servir à des organisations politiques situées à gauche pour dénoncer la persistance du racisme. Or, le gouvernement ne veut plus entendre parler de ce mot, qui pourrait par ailleurs remettre en cause sa politique xénophobe actuelle. Normal qu’il s’en prenne donc aux sciences sociales qui l’étudie.
Il semblerait que le simple fait de considérer les inégalités et les discriminations comme sujet d’étude, soit considéré comme une menace par le gouvernement. À ce sujet, la dissolution et le remaniement d’un certain nombre d’observatoires et de conseils indépendants dans la recherche et l’éducation est assez inquiétant.
Les observatoires sont des organismes qui reçoivent des subventions publiques (grâce à des aides de l’État et des collectivités territoriales) mais qui avaient une relative indépendance qui leur permettait de garder une certaine neutralité dans leur rapport. Neutralité qui a été bien mise à mal par les chambardements administratifs du gouvernement.
En 2020 celui-ci a purement et simplement supprimé l’Observatoire de la laïcité, pour le remplacer par un comité interministériel de la laïcité « placée sous la présidence du premier ministre ». Une « reprise en main étatique de la question de la laïcité » comme l’a souligné Philippe Portier, spécialiste de la laïcité à l’École pratique des hautes études et qui supprime totalement les dimensions d’observation et d’analyse de l’observatoire, pour ne laisser qu’une gestion purement administrative. Peu goûteux de cette laïcité « offensive », Jean Louis Bianco, l’ancien président de l’observatoire, a décidé de créer sa propre Vigie de la laïcité, afin de garder un bastion de résistance.
L’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales a lui aussi été supprimé pour être remplacé en 2021 par un simple Observatoire de la réponse pénale, un organisme qui ne s’intéresse qu’aux infractions commises contre les forces de l’ordre. Là on est en plein glissement réactionnaire ! On passe quand même d’un observatoire qui s’intéressait à un processus pénal dans sa globalité (même si le terme de délinquance est plus que critiquable) à un organisme qui ne s’intéresse qu’aux violences sur les forces de l’ordre ! C’est comme ça qu’on en arrive à une vision biaisée du soi-disant « ensauvagement » de la population. Rappelez-vous de Darmanin qui « invoquait le bon sens du charcutier de Tourcoing » ! À l’époque il s’était fait remettre à sa place par les statistiques qui montraient qu’au contraire, les violences n’avaient pas augmenté et étaient même plutôt en baisse. Elles montraient également que la justice était de plus en plus ferme en matière de peine de prison. Mais tout ça n’allait pas à Darmanin ! Maintenant grâce à ce nouvel observatoire il a enfin du grain à moudre. Son observatoire vient justement de sortir un rapport montrant à quel point les violences contre les forces de l’ordre avait augmenté. Une analyse sans contexte, qui ne montre pas le cadre dans lesquelles elles ont pris place et n’offre pas une comparaison assez lointaine dans le temps, mais qui a été repris tout à tour par CNews, Alliance et l’extrême droite. Comme le redoutait en 2021 le sociologue Christian Mouhanna, cet observatoire apparaît surtout comme « une nouvelle étape de la prise en main du ministère de la Justice par l’Intérieur, voire par les syndicats de policiers ».
En plus de tous ces observatoires, on peut aussi parler du démantèlement du CNESCO dans l’éducation, le Conseil national chargé de l’évaluation du système scolaire. Blanquer a tout de même fait le tour de force de démanteler cette instance chargée d’évaluer l’efficacité de ses réformes éducative, pour en faire un instrument de surveillance au service du ministère ! Il l’a supprimé et remplacé par le Conseil d’évaluation de l’École, chargé de surveiller la bonne application des programmes par les établissements scolaires. Un changement qui révèle pour le SNUipp-FSU « une volonté de contrôle et d’uniformisation des pratiques ». Une uniformisation que Blanquer a aussi essayé de faire dans les programmes scolaires. En effet souvenez-vous de ce scandale autour des programmes d’histoire ! Les enseignants s’étaient indignés de la disparition du sujet de l’immigration. Et pour cause ! Le Conseil supérieur des programmes a été noyauté par des individus partageant la volonté de M.Blanquer de revenir aux « fondamentaux » de l’histoire, autrement dit à une vision superficielle et européo-centrée. Mais quoi de plus évident venant d’un nostalgique des années 40 qui a réintroduit l’hymne national dans les lycées et s’est posé en inquisiteur de l’islamogauchisme aux côtés de madame Vidal ?
D’ailleurs en parlant d’inquisition, Blanquer a justement présidé un colloque à la Sorbonne, il y a quelques semaines, organisé par l’observatoire du décolonialisme. Un colloque portant sur la critique du « déconstructionnisme », du « wokisme » et des idées « intersectionnelles » où s’est pressé tout le beau monde de droite et d’extrême droite, d’après le retour qu’en a fait Nantes Révoltée. Les passes étaient contrôlés par des militants de l’UNI le syndicat étudiant d’extrême droite, et où Blanquer a de nouveau attaqué les universitaire « complices » selon lui du terrorisme.
Voici ce qu’en a rapporté Nantes Révoltée : « Sur le fond, au pupitre de la Sorbonne, des propos dignes d’un plateau télévisé de droite dure : on y entend parler « d’épidémie de transgenres » de « soleil noir des minorités ». Pierre-André Taguieff qualifie le « wokisme » d’ethnocide de grande ampleur ».
Cet évènement a beaucoup secoué la presse. Même le Monde, pourtant peu engagé à gauche, s’en est ému en questionnant l’apparition d’une possible « police de la pensée qui sanctionnerait toute recherche suspectée d’être contaminée par le prétendu wokisme ». Et en effet, il y a de quoi être inquiet, car tous ces petits changements mis bout à bout prennent une dimension tentaculaire. On se retrouve avec des attaques contre la liberté de la presse, la liberté de croyance, la liberté d’expression et la liberté de la recherche. Tout ce qui menace le schéma de pensée et les choix politiques du gouvernement se retrouve dénigré, menacé ou sanctionné. De la chasse aux sorcières au ministère de la vérité il n’y a qu’un pas.
Le retour de la censure sur internet,
quand la police prend le pas sur la justice
La Loi Avia, qui s’appelle en réalité « loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet », est apparue en janvier 2020. Elle s’est faite beaucoup critiquée à sa sortie, parce que d’une part elle était à l’origine de censures unilatérale ne tenant pas compte du contexte (incapacité de faire la différence entre un post ironique d’un groupe féministe sur les violences sexuelles par exemple et de vraies attaques contre la liberté de genre), mais aussi parce qu’elle ne ciblait pas seulement les apologie de crime contre l’humanité, les appels à la haine raciale, la provocation à la discrimination de genre, etc., mais aussi des cas plus flou comme « les provocations au terrorisme » et « les incitations à la haine ou à la violence » propices à toutes les dérives.
Par exemple, il y a de fortes chances pour que la page Facebook Action Antifasciste NP2C se soit faite supprimer à l’époque, à cause de ses publications concernant les violences policières, car ils avaient eu énormément d’avertissements avant et que tous concernaient des violences policières.
Déjà avant la discussion de cette loi, un certain nombre de pages Facebook militantes ont commencé à connaître de plus en plus de difficultés : suppression de poste, restreint d’accès aux pages, voire suppression de la page elle-même. Des problèmes qu’elles connaissent toujours aujourd’hui. En effet Nantes révoltée se fait menacer de restriction régulièrement par Facebook et Instagram, tout comme Cerveaux Non Disponibles, qui a vu sa page Instagram se faire désactiver le 22 janvier 2022.
La loi Avia a été en partie censurée par le conseil constitutionnel en juin 2020, mais elle est revenue par la porte de l’Union Européenne. Le gouvernement français a en effet demandé à la Commission européenne de faire adopter ce que la Constitution l’empêchait d’adopter en France. Il s’est servi de l’Union Européenne pour faire passer notamment le second volet de la loi Avia qui avait été censurée par le Conseil Constitutionnel et qui abordait le volet du « terrorisme » en permettant à la police le pouvoir de censurer en une heure tout contenu qu’elle qualifierait seule – sans juge – de terroriste.
Rappelons à ce sujet qu’en droit de l’Union européenne, la notion d’infraction « terroriste » est volontairement large, couvrant les actes de piratage ou de destruction massive de biens (ou la simple menace de le faire) commis pour influencer une décision politique ou de déstabiliser des institutions. Comme l’avait souligné la Quadrature du Net qui s’est battu vaille que vaille à l’époque conter ces nouvelles réglementations : « Laisser à la police et non au juge le pouvoir de décider ce qu’est un contenu de « terroriste » pourrait mener à la censure d’opposants politiques et de mouvements sociaux. ».
Pendant trois ans donc, le gouvernement a défendu son règlement pour l’imposer partout dans l’UE et il a fini par réussir. Restait à voir comme ce règlement européen serait appliqué en France. Et bien vous savez quoi ? C’est justement en train de se discuter en ce moment même !
Mercredi 9 février, la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est réunie pour discuter de la proposition de loi concernant la diffusion de contenus caractère terroriste en ligne. La Quadrature du Net a envoyé aux membres de cette commission une lettre pour appeler au rejet de ce texte, en leur rappelant que son contenu avait déjà été jugé et refusé par le Conseil Constitutionnel le 18 juin 2020. De plus, à l’échelle européenne, 61 organisations européennes et 11 organisations françaises avaient déjà demandé le rejet de ce texte. Voté en l’état, le texte serait donc clairement contraire à la Constitution. Une analyse d’ailleurs partagée dans son rapport d’activité 2020 par la CNIL, c’est à dire l’autorité actuellement chargée de contrôler la censure administrative des sites internet et dont le pouvoir serait désormais confié à l’ARCOM.
On peut se demander si Darmanin dans sa campagne contre Nantes Révoltée compte s’appuyer sur ces nouvelles lois européennes et françaises ou s’il ne s’agit que de simple esbroufe électorale. En tout cas la menace est là, elle existe. Des exemples concrets ont en effet démontré ces dernières années les abus auxquels pouvaient aboutir cette censure illégale et non contrôlée de la part de la police, comme par exemple la censure du site Nantes Indymedia, finalement annulée par un juge administratif un an et demi après les faits. Mais avec ces nouvelles lois, on peut se demander quelle place aura encore la justice pour contrebalancer les jugements à l’emporte-pièce de la police.
Aujourd’hui on donne de plus en plus de pouvoir aux plateformes pour juger unilatéralement de faits qui aurait parfois mis plusieurs jours à être tranché dans un tribunal et on renforce également la censure administrative confiée à la police, qui s’affranchi de plus en plus du droit et de la justice. Quand on voit les déclarations du groupe Alliance qui dit que « le principal problème de la police c’est la justice » il y a de quoi s’inquiéter. Dans les deux cas, que ce soit dans celui de l’automatisation du contrôle par les plateformes ou celui des pleins pouvoirs livrés à la police, on voit le même risque se profiler pour les groupes, pages et médias militants : celui des amalgames et de la censure politique.
Voir l’article de la Quadrature du Net sur le sujet : https://www.laquadrature.net/2022/02/08/les-deputes-doivent-refuser-la-censure-sans-juge-en-une-heure/