SABOTAGES DES ANTENNES 5G
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C’est un mouvement qui avance en souterrain, loin des projecteurs, une révolte profonde qui se répand en France. Depuis deux ans, les actes de sabotage contre les infrastructures de télécommunication et contre le déploiement de la 5G se sont multipliés. Des antennes-relais sont incendiées, des câbles de fibre optique sectionnés, des pylônes déboulonnés. Dans la nuit, des personnes brûlent des engins de chantier, s’attaquent avec des disqueuses aux relais téléphoniques ou détruisent à coup de masse des armoires électriques. Rien qu’au mois de novembre dernier, trois antennes sont parties en fumée à Saint-Héand dans le département de la Loire. Quelques jours auparavant, à Toulouse, quatre camionnettes d’une entreprise d’installation de fibre optique étaient enflammées. Dans le Gard, entre Salindres et Barjac, des milliers de personnes ont été privées d’internet après que des câbles aient été coupés à la hache.
Prise isolément, chacune de ces affaires pourrait s’apparenter à un simple fait divers. Mises bout à bout, elles tissent, au contraire, la toile d’un récit commun. Ces actions apparaissent dans leurs revendications comme autant de refus de vivre dans une société hyperconnectée, autant de résistances frontales à la numérisation du monde.
https://reporterre.net/La-numerisation-du-quotidien-une-violence-inouie-et-ordinaire
Des centaines de sabotages ont été réalisés ces dernières années. Depuis plusieurs mois, Reporterre les répertorie un à un, au gré de leur apparition dans des articles de la presse quotidienne régionale ou sur des sites de revendications et d’informations anarchistes comme Attaque ou Sansnom. Entre janvier 2020 et décembre 2021, nous en avons compté, sourcé et analysé 140 sur tout le territoire. Ils sont probablement plus nombreux. En mai 2021, un rapport interne du ministère de l’Intérieur recensait déjà 174 actes de sabotage en un an. Ce document, dont France Inter a pu se procurer une copie, n’a pas été rendu public. Malgré nos demandes, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité nous le communiquer.
https://attaque.noblogs.org/
https://sansnom.noblogs.org/
De leur côté, les opérateurs de Télécom tiennent aussi le compte. « Chez Orange, environ une antenne par semaine est la cible de vandalisme », confiait en septembre à La Tribune Cyril Luneau, le directeur des relations avec les collectivités locales. Au total, en deux ans, Orange aurait subi 130 attaques dont 61 sur des sites de téléphonie mobile.
Il est difficile d’avoir une vision exhaustive du nombre global de sabotages. Les opérateurs comme les autorités restent frileuses quant à leur communication. « Il s’agit même plutôt de ne pas trop ébruiter ces éléments afin d’éviter de donner des idées à certaines personnes », nous explique par courriel Ariel Turpin, le délégué général de l’Avicca (l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel). Leur crainte est fondée : dans un sondage IFOP, publié en septembre 2020, pas moins de 20 % des personnes interrogées se disaient favorables à la destruction des antennes-relais 5G.
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/09/117_591_Rapport_Ifop_Lemon_2020.09.16.pdf
Depuis vingt ans et les fauchages d’OGM (organismes génétiquement modifiés), la France n’avait pas connu une campagne de sabotage aussi massive. Les professionnels de la téléphonie sont plus qu’inquiets. Ils évoquent, dans la presse, un « fléau contre des chantiers vitaux de la nation ». Le patron d’Orange Stéphane Richard invite même à « purger » le débat pour éviter un « Afghanistan de la téléphonie mobile, où il faudra se battre pylône par pylône, commune par commune pour essayer de mettre la 5G ». Vincent Cuvillier, le président de l’Ofitem (Association française des opérateurs d’infrastructure de téléphonie mobile) n’hésite pas à parler de « terrorisme numérique ». La surenchère est de mise. Dans Le Figaro, une journaliste décrit les saboteurs comme « une pseudo-armée secrète levée contre la 5G avec de possibles connexions à l’étranger ».
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200 000 € LE PYLÔNE
Les dégâts occasionnés ont effectivement de quoi leur faire peur. D’après les calculs de Reporterre, le préjudice total de ces sabotages dépasse les dizaines de millions d’euros. « Un pylône d’antenne-relais coûte environ 200 000 euros, confirme à Reporterre Michel Combot de la Fédération française des Télécoms. S’il est détruit, il faut ajouter le coût de l’enlèvement. Pour les transformateurs et les équipements électriques, cela va dépendre du degré de dégradation, ce n’est pas la même chose si c’est une armoire électrique qui est incendiée ou juste un câble qui est coupé. » Dans certains cas, les dégâts peuvent atteindre plusieurs millions d’euros. C’est le cas notamment, à Grenoble en janvier 2020, lorsqu’un site d’Enedis avait été incendié avec une dizaine de véhicules ou encore, en mai 2020, lorsque deux antennes dans le Jura avaient été brûlées. Le site n’avait pas pu être remis en service.
https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2020/01/13/seyssinet-pariset-en-isere-un-garage-d-enedis-et-11-vehicules-detruits-par-un-incendie-suspect
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/enquete-ouverte-apres-un-incendie-volontaire-au-mcdonald-s-de-champagnole-dans-le-jura-1588855339
De manière générale, les opérateurs rechignent à dévoiler le montant réel de la facture. Vincent Cuvillier s’avère tout de même un peu plus prolixe. « Si vous prenez en moyenne 200 000 euros par site et que vous multipliez par les 174 actes de dégradation [du rapport du ministère de l’Intérieur], on ne contestera pas le chiffre », déclare-t-il à Reporterre. Soit 34,8 millions d’euros.
DES MILLIONS DE PERSONNES TOUCHÉES
Au-delà de ces coûts, les conséquences de ces actes sont également importantes. En septembre dernier, une partie du Tarn a été coupée des réseaux après l’incendie de plusieurs antennes-relais. 52 000 abonnés de Bouygues et de SFR ont été privés de service téléphonique pendant plusieurs jours. En janvier 2021, l’incendie d’un émetteur près de Limoges par un mystérieux « comité pour l’abolition de la 5G et de son monde » avait privé 1,5 million de personnes de télévision et de radio. Un mois auparavant, à proximité de Marseille, un autre incendie avait empêché 3,5 millions de personnes d’accéder à la télévision. Les sabotages touchent aussi de grandes entreprises. A Saint-Héand, dans la Loire, c’est une usine Thales qui n’a pas pu fonctionner correctement pendant plusieurs jours après l’incendie d’une antenne-relais.
https://reporterre.net/L-incendie-d-une-antenne-pres-de-Limoges-revendique-par-un-collectif-anti-5G
Notre chroniqueuse Corinne Morel Darleux, a raconté dans Reporterre comment une série de sabotages coordonnés a paralysé la vallée de la Drôme où elle habite. Le réseau téléphonique ne fonctionnait plus, les distributeurs de billets et les paiements par carte bleue non plus. Cette panne gigantesque est « matière à réflexion », écrivait-elle. « Pendant un instant, les rouages du numérique qui régissent nos vies ont été grippés. Le buraliste se désolait de ne plus pouvoir vendre de jeux à gratter. Les fumeurs cherchaient nerveusement des pièces dans le fond de leur poche pour s’acheter un paquet. Des restaurateurs, déjà fermés pour cause de Covid, ne recevaient plus les commandes à livrer. Les commerçants sur le marché écrivaient des reconnaissances de dette sur des bouts de papier. On naviguait entre exaspération et joyeux bazar. Il a suffi d’un incendie pour bloquer une grande partie de l’activité. »
https://reporterre.net/Je-ne-veux-pas-d-une-vie-entierement-numerique
Depuis plusieurs années, les saboteurs ont identifié les antennes-relais comme étant les nœuds névralgiques par lesquels transitent les flux économiques et se développe le technocapitalisme. Des bulletins anarchistes parlent de « cordon ombilical », d’autres sites de « talons d’Achille ».
https://avisdetempetes.noblogs.org/
https://nantes.maville.com/actu/actudet_-les-armoires-talon-d-achille-du-reseau-internet-_52716-3815250_actu.Htm
« Une manière de desserrer l’emprise de l’État, de casser la surveillance et de bloquer les flux économiques »
Les premières attaques de grande envergure ont commencé dès 2017, avec une série de sabotages en Auvergne-Rhône-Alpes, revendiquées par un groupe défini comme « libertaire » par la presse. Le mouvement s’est poursuivi en 2019 avec de nombreux sabotages menés par des Gilets Jaunes, notamment en Alsace et dans la Nièvre. « La question de la fibre et des antennes-relais était déjà pas mal discutée dans les assemblées de Gilets Jaunes », confie à Reporterre un ancien membre du mouvement. « Beaucoup de tutoriels circulaient sur les réseaux sociaux et dans les manifs pour expliquer comment détruire des radars, saboter des compteurs Linky ou des antennes. À l’époque, c’était déjà vu comme une manière de desserrer l’emprise de l’État, de casser la surveillance et de bloquer les flux économiques », raconte-t-il.
En France, on ne compte pas moins de 50 000 antennes 4G et 18 994 antennes 5G actives. La majorité sont installées sur des terrains isolés qui se prêtent difficilement à la surveillance, et sont donc, de leur propre aveu, facilement attaquables : « Ce n’est pas réaliste aujourd’hui de dire que nous allons installer 66 000 caméras de vidéo-surveillance sur toutes les antennes. Et soyons clairs : quelqu’un qui veut entrer et détruire un site isolé pourra le faire », dit Vincent Cuvillier. Et les modes d’emplois se multiplient sur les sites spécialisés, à base de chiffons, de bidons de kérosène, d’allume-feu et de briquets.
https://www.zoneadsl.com/couverture-mobile/5g
https://attaque.noblogs.org/post/2020/04/30/affiche-comment-detruire-une-antenne-relais/
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UNE DYNAMIQUE STIMULÉE PAR LA PANDÉMIE
Mais c’est véritablement au cours de la pandémie de Covid-19 que ces sabotages ont pris de l’importance et commencé à inquiéter les autorités. Un article du Parisien publié en mai 2020 dévoilait une note confidentielle du Service central du renseignement territorial (SCRT) qui a comptabilité une vingtaine d’attaques au cours du mois d’avril. « L’ultragauche a l’expérience, dit un gradé de la gendarmerie au journal. Ils ne laissent pas de trace, sont difficiles à remonter, mais tout mène à eux. »
https://www.leparisien.fr/faits-divers/renouer-avec-l-action-directe-enquete-sur-ces-sabotages-attribues-a-l-ultragauche-03-05-2020-8310015.php
Plusieurs appels venus du milieu anarchiste invitent en effet à passer à l’action. « À l’heure où tout le monde ou presque vit confiné dans une bulle domotique connectée à la matrice comme un ersatz de vie, que se passerait-il si un pylône haute tension facile d’accès venait à tomber par terre ? » s’interrogent des militants.
D’autres invitaient à « renouer avec l’action directe » au vu des échecs des dernières mobilisations dans la rue, notamment, contre la 5G. Après avoir évoqué un contexte répressif inédit et une impossibilité de se faire entendre par des moyens traditionnels, plusieurs textes engagent ceux qui le veulent à créer un mouvement de « résistance concrète, et pas seulement symbolique », pour « reprendre l’avantage dans la guerre sociale actuelle », à travers des actions de sabotage et de dégradation.
https://reporterre.net/Amish-ou-pas-la-lutte-contre-la-5G-s-organise-au-niveau-national
https://www.facebook.com/cerveauxnondisponibles/photos/a.378216892277202/2810585692373631/
Le contexte politique est en effet propice au retour de l’action directe : d’un côté le gouvernement est passé en force sur la 5G, de l’autre le mouvement d’opposition citoyen patinait depuis le début de la contestation de cette technologie imposée. Les recours juridiques comme les demandes de moratoire n’ont pas obtenu la moindre inflexion dans la mise en place de la 5G.
https://reporterre.net/Plaintes-et-resistances-en-cascade-contre-les-encheres-de-la-5G
https://reporterre.net/5G-les-recours-des-associations-rejetees-par-le-Conseil-d-etat
« Les sabotages se multiplient quand les formes de négociation plus institutionnelles sont en crise »
Contacté par Reporterre, le délégué général de l’association Agir pour l’environnement Stephen Kerckhove observe : « Je n’ai aucun étonnement à voir des gens prendre leur clé à molette. À l’instant où les canaux légaux et institutionnels classiques des associations peinent à obtenir des résultats, ça se décale forcément sur du sabotage. C’est une photographie de notre incapacité collective et de l’irresponsabilité du gouvernement. Cela engendre légitimement une rage folle, je comprends que des gens puissent se mobiliser ainsi. »
Au sein du milieu écologiste, le constat est assez similaire. Le réalisateur Cyril Dion, ancien garant de la Convention citoyenne pour le climat — qui avait d’ailleurs demandé un moratoire sur la 5G — assure aussi « comprendre que des gens en arrivent à ces extrémités ». Le sabotage « peut être utilisé en dernier recours, pour créer un rapport de force, même si l’idéal est évidemment la voie démocratique. Ce qui importe, c’est d’articuler les stratégies », confiait-il naguère à Reporterre. Pour l’historien des sciences François Jarrige, cette situation n’a, en réalité, rien d’étonnant. « Les sabotages se multiplient quand les formes de négociation plus institutionnelles sont en crise », explique-t-il à Reporterre. « C’est précisément au moment où les choix techniques sont encore incertains et pas totalement enracinés dans les imaginaires et dans les institutions qu’il est possible d’agir. Il s’est passé la même chose avec les OGM, le nucléaire, mais aussi avec la voiture à ses débuts, et la mécanisation industrielle au XIXᵉ siècle. Aujourd’hui, c’est le tour des infrastructures de communication numérique. »
https://reporterre.net/Les-sabotages-contre-les-antennes-5G-se-demultiplient
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Vidéo
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LE SABOTAGE A TOUJOURS FAIT PARTIE
DES LUTTES SOCIALES ET ÉCOLOGIQUES
Reporterre a rencontré un saboteur et deux saboteuses d’antennes-relais. Elles [*] expliquent leur geste et souhaitent, à travers cet entretien, ouvrir un débat autour de cette pratique dans les luttes écologistes. Demain, la suite de notre enquête sur les destructions contre les infrastructures de télécommunication et le déploiement de la 5G.
Reporterre — Qu’est-ce qui vous a amenées à saboter des antennes-relais ?
Margot — C’est d’abord quelque chose de viscéral, une révolte profonde et instinctive. Depuis quelques années, et avec le confinement, la transition numérique s’est accélérée. Nous passons de plus en plus notre vie derrière les écrans et le monde physique nous est peu à peu confisqué. Les antennes-relais tissent la toile d’une prison de fibre et d’ondes. C’est une rupture anthropologique majeure. Il y a une forme de dégoût à voir la 5G se déployer au mépris des populations, de constater l’impact de cette transition numérique sur le territoire, sur notre quotidien et notre intimité. Le pire, c’est surtout son hypocrisie. On nous vante les joies d’une société numérique qui en réalité ne fait qu’accentuer l’exploitation, la surveillance et la catastrophe écologique.
Léon — Clairement, la transition numérique est un outil contre-insurrectionnel. C’est une manière pour les gouvernants de répondre à des révoltes qui les avaient déstabilisés dans les années 1960 et 1980. Avec le numérique, on cherche à isoler les gens les uns des autres, on crée plus de dépendance, on renforce l’hétéronomie [dépendance à l’extérieur, par opposition avec l’autonomie] pour asseoir une domination politique et économique toujours plus grande. Les capacités de contrôle, de fichage et de traçage n’ont cessé d’augmenter. En parallèle, l’espace des possibles s’est refermé. Dans les cages du numérique, un changement de société devient de plus en plus difficile et l’espoir d’une vie plus juste s’évapore.
Pascaline — On manque aussi de prises pour s’attaquer à cette mégamachine et pour desserrer son emprise. On peut toujours multiplier les microrésistances individuelles — ne pas avoir de smartphone, refuser les compteurs Linky, préférer les guichets humains aux caisses automatiques, ne pas pointer son QR code — mais cela reste malheureusement limité. Face à l’accélération du numérique, nous pensons qu’il faut accroître le rapport de force. Le sabotage d’antennes-relais est un choix stratégique. Nous ciblons ces infrastructures car non seulement elles matérialisent l’industrie numérique mais aussi parce qu’elles sont vulnérables. Il en existe des dizaines de milliers sur le territoire avec un maillage de plus en plus serré, et les autorités peinent à les surveiller. De nombreuses personnes s’opposent à leur implantation, et la population n’est pas encore habituée à cette omniprésence. L’industrie est donc sur la défensive, et paradoxalement, elle est assez fragile, malgré son matraquage publicitaire permanent.
Pourquoi avoir choisi ce mode d’action plutôt qu’un autre, avec des manifestations, des recours juridiques, etc. ?
Margot — Ces pratiques ne s’opposent pas. Nous avons fait le choix du sabotage pour des raisons d’efficacité. Le sabotage fonctionne. Il y a eu près de deux cents actions en deux ans. Pour le pouvoir, le réseau est un point faible. Il y a une brèche qui s’est ouverte et dans laquelle nous avons décidé de nous engouffrer.
Pascaline — Moi, c’est un sentiment d’urgence qui m’habite. Nous vivons une période charnière. Si nous ne faisons rien maintenant, cette industrie se sera définitivement installée. La situation aujourd’hui est assez similaire à celle des années 1970 dans la lutte antinucléaire. Le mouvement savait qu’une fois les centrales construites, ce serait beaucoup plus compliqué de s’y opposer. À l’époque, ils ont multiplié les actions, les manifestations, les occupations, les sabotages. La nuit, des incendies frappaient de manière coordonnée les chantiers. On les appelait « les nuits bleues ». Le sabotage a toujours fait partie des luttes sociales et écologiques, il a permis de remporter plusieurs victoires et de tenir dans la durée. Cela n’a pas empêché la construction de centrales mais l’histoire nous en reste chargée de pratiques de résistance.
Léon — Ce sont des raisons très pratiques qui nous ont aussi poussées au sabotage. Depuis les Gilets jaunes, l’État a resserré la vis, il est de plus en plus difficile de faire reculer le pouvoir en prenant la rue. Avec la pandémie, c’était également impossible de construire une mobilisation de masse contre la 5G, alors même que la majorité de la population y reste opposée. Il n’y a eu qu’une seule grande manifestation à Lyon contre la 5G en septembre 2020, juste entre le premier et le second confinement. Ça explique aussi pourquoi, de nombreuses personnes, comme nous, ont décidé d’amplifier les actions de sabotage.
Margot — C’est important de préciser qu’on ne fétichise pas non plus ce mode d’action. On s’inscrit dans une dynamique collective. On pense que le sabotage est complémentaire avec d’autres initiatives, parfois plus citoyennes et plus légalistes.
Il n’empêche que vos actes perturbent concrètement la vie des gens en coupant le réseau téléphonique et internet. Cela ne risque-t-il pas de braquer la population et de finalement être contre-productif ?
Léon — Encore plus que la 3G ou la 4G, la 5G répond d’abord à des besoins industriels. Nos actions ciblent avant tout ces intérêts. Le sabotage frappe les flux économiques. Il touche les entreprises autour des antennes, il suspend les activités logistiques et les terminaux de paiement. À l’heure du télétravail, il impose une forme de grève. Ce n’est pas forcément préjudiciable aux travailleurs même si ça les touche dans leur consommation privée. Pour nous, c’est surtout révélateur de l’imbrication entre l’économie et notre vie privée. L’économie s’est immiscée dans notre intimité et si nous voulons la toucher, nous sommes désormais obligés de passer par l’individu.
Pascaline — En soi, la perturbation n’est pas forcément un mal, elle peut créer un sursaut, des remises en question, des interrogations… À l’heure où tout le monde ou presque travaille, étudie, partage, se détend, s’instruit, s’insurge, fait du sexe face à un écran, nous ne savons absolument pas ce qu’il pourrait se passer si une panne pouvait durer.
Margot — On entend souvent que les coupures entraîneraient des problèmes dans les services d’urgence et que cela empêcherait les gens de les contacter. Pour nous, c’est un argument fallacieux monté en épingle par les autorités. En réalité, c’est très rarement le cas ou de manière très temporaire. Il y a déjà souvent des bugs. Il y a plein de moments ou le système en lui-même ne fonctionne pas. C’est en soi dystopique, ça participe à nous rendre tous fous. Là au moins, avec le sabotage, on sait d’où vient la coupure !
Pascaline — Selon nous, cela montre surtout la fragilité du système de santé. À cause de la désertification médicale, de la suppression de lits dans les hôpitaux, la population devient de plus en plus dépendante de numéros d’urgence centralisés, trop vite saturés. À un moment, il faut se poser réellement la question : qui détruit au fond le système de santé ? Des politiques néolibérales qui surfent sur le numérique ou les gestes fugitifs de certains individus ? Qui détruit le système éducatif ? Une antenne brûlée qui bloque l’intranet ou Parcoursup et ses algorithmes inhumains ? Arrêtons l’hypocrisie.
Vous dites que le sabotage fonctionne mais comment expliquer alors qu’il soit autant invisibilisé ?
Léon — Les autorités, avec les médias mainstream, font tout pour minimiser le mouvement et le placer sous silence. Ce n’est pas étonnant. Ils défendent l’ordre existant. L’action directe devient dangereuse pour le pouvoir à partir du moment où elle se propage et où elle n’est plus isolée. Dans la presse locale, les sabotages sont classés parmi les faits divers, la petite délinquance, les nuisances. Il n’y a aucune réflexion plus générale et politique.
Margot — Moi, ce qui me frappe, c’est surtout le manque d’écho au sein de la gauche culturelle, au sein du mouvement social et de tous ceux qui auraient pu être nos alliés. La pratique du sabotage peine à trouver des relais. Il manque une caisse de résonance, une forme de solidarité avec celles et ceux qui se mettent en danger, qui affrontent physiquement ce monde. Dans le mouvement social, il n’y a pas assez de débats tactiques et d’espaces de discussion autour de ce geste et des différents modes d’action. Cela fait le jeu du pouvoir. Ça ajoute une couche de plus dans la tentative d’étouffement du mouvement.
Les autorités cherchent aussi à dépolitiser vos actes et à vous faire passer pour des hurluberlus, des complotistes. Parmi les saboteurs arrêtés, on retrouve d’ailleurs des moines intégristes, des individus fragiles psychologiquement. Une personne qui a saboté des antennes-relais à Paris disait être en contact direct avec Dieu…
Pascaline — Il existe aujourd’hui une grande confusion, nous ne la nions pas. Elle est à l’image de notre société, fragilisée par le Covid-19 et des mois de confinement. Des gens pètent effectivement des câbles à force d’être isolés. Le mouvement qui sabote les antennes-relais n’a rien d’homogène et il est loin d’être chimiquement pur. On retrouve parmi les saboteurs d’anciens Gilets jaunes, des catholiques, des anarchistes, etc. C’est très large et les raisons d’agir sont multiples. Mais au-delà de ces différences, il y a aussi un sentiment partagé par tous, très palpable. Aujourd’hui, les gens se sentent menacés par la numérisation du monde et leur réaction est viscérale. Ils n’ont pas forcément les mots qu’une gauche bien propre sur elle pourrait attendre d’eux, mais ces gens s’expriment par leurs actes. Le sabotage est un langage du corps. À nous de l’entendre. À nous de le traduire.
Léon — Le complotisme a toujours été un outil rhétorique pour délégitimer un mouvement. On l’a vu avec les Gilets jaunes. Après avoir joué la carte homophobe, antisémite et raciste, le complotisme est devenu le nouveau mot-valise du pouvoir. Les autorités tentent de faire passer les saboteurs pour des loups solitaires, des personnes esseulées. En réalité, nous répondons à une démarche collective en France et en Europe. Nous inscrivons nos actes dans une série d’appels à sabotage. Plusieurs ont été publiés en 2019 et en 2020. On s’inspire mutuellement sans forcément se connaître.
Comment voyez-vous l’avenir de ce mouvement ?
Margot — D’un côté, on se sent fragile face à la répression et devant les moyens policiers déployés. Une quinzaine d’enquêtes judiciaires ont été ouvertes et nous savons qu’une cellule de gendarmerie travaille spécifiquement sur ce sujet. De l’autre côté, on voit bien que le sabotage fonctionne. Nous sommes comme un grain de sable dans la machine. Depuis deux ans, les actions ne s’arrêtent pas. Une antenne-relais est détruite chaque semaine. Après, évidemment, cela reste insuffisant. Nous souhaitons continuer les actes de sabotage en espérant qu’ils puissent s’associer à un mouvement plus large.
Pascaline — Tout dépendra de la manière dont ces gestes seront réappropriés, discutés et débattus ces prochains mois. Alors que nous traversons une situation difficile, ces actes de sabotage envoient un message fort. Nous ne sommes pas acculés à la défaite.
https://reporterre.net/5G-Le-sabotage-a-toujours-fait-partie-des-luttes-sociales-et-ecologiques
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CONTRE LES SABOTEURS
L’ÉTAT SORT L’ARTILLERIE LOURDE
Prison ferme, surveillance, téléphones sur écoute... La répression s’accentue contre les saboteurs d’antennes relais. Pour les stopper, les autorités sont passées à la vitesse supérieure. Quitte à faire un parallèle avec le terrorisme et à museler le débat sur la 5G.
Des peines de prison ferme, des gardes à vue « anti-terroristes » qui peuvent durer 96 heures, la cellule de gendarmerie Oracle spécialement dédiée aux sabotages... Les centaines d’attaques contre les infrastructures de télécommunication opérées ces dernières années donnent des sueurs froides aux autorités. Elles déploient un arsenal répressif pour y faire face. Au sommet de l’État, la menace est prise très au sérieux.
Laurent Nuñez, l’ancien bras droit de Christophe Castaner, devenu coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, en a fait l’une de ses priorités. Dès janvier 2021, il dénonçait « une succession d’actions de basse intensité » et « une montée en gamme de la violence ». Contre ces sabotages, il insistait sur « l’importance d’un échange très étroit entre services de police et de gendarmerie, services de renseignement et services judiciaires ». À plusieurs reprises, les membres du gouvernement ont dénoncé ces attaques « criminelles », qui « coupent les populations de services vitaux ». « Ces actes doivent être punis sévèrement », insistait le secrétaire d’État au numérique Cédric O.
Au total, pas moins de quatorze enquêtes judiciaires ont été menées, aboutissant à une trentaine d’interpellations. Des moyens importants ont été mis en place. Dans le Nord, deux hommes de 21 et 29 ans ont été condamnés respectivement à neuf mois et un an de prison ferme pour avoir incendié une antenne-relais à Douai. À Nancy, un jeune anarchiste a également été condamné à quatre ans de prison, dont la moitié derrière les barreaux, pour l’incendie de deux antennes. Dans le Jura, deux hommes ont aussi été condamnés à trois et quatre ans de prison ferme.
Les peines sont lourdes, mais la plupart des affaires de sabotages restent encore irrésolues et leurs auteurs courent toujours. Pour y mettre un coup d’arrêt définitif, les autorités ont donc décidé de passer à la vitesse supérieure.
DES SUSPECTS SURVEILLÉS
Depuis le mois de mars, une convention nationale a été signée entre l’État, les opérateurs et les forces de l’ordre afin de lutter contre « les actes de malveillance sur les réseaux de télécommunication ». La convention prévoit d’améliorer les échanges d’informations et de faciliter le dépôt de plainte. « L’enjeu est de pouvoir travailler en amont pour prévenir les actes de vandalisme et en aval pour relever les preuves afin de pouvoir rétablir rapidement le service », explique à Reporterre Michel Combot, directeur général de la Fédération française des télécoms.
Pour l’instant, une dizaine de départements ont mis en place cette convention (Oise, Morbihan, Meuse, Hautes-Alpes, Eure, Vaucluse, Drôme, Ille-et-Vilaine, Ardèche). Concrètement, elle prévoit d’améliorer la sûreté des installations les plus sensibles en durcissant leur accessibilité et en installant par exemple des systèmes de vidéoprotection et de Lapi (lecture automatisée des plaques d’immatriculation). Des patrouilles plus fréquentes de gendarmes sont également attendues. Mais la tâche paraît démesurée au regard du nombre et de la dispersion des antennes-relais.
Du côté des opérateurs de téléphonie, l’inquiétude gagne. La direction d’Orange est allée jusqu’à traquer les membres d’un groupe intranet baptisé « Je suis vert », qui avaient eu des débats internes sur les avantages et les inconvénients de la 5G. Des investigations ont été menées afin de savoir si les membres de ce groupe auraient pu avoir des liens avec les saboteurs. « Ils ont malmené nos adhérents pour savoir s’ils étaient connectés à des personnes prises en flagrant délit ou soupçonnées d’avoir détruit des infrastructures 5G », assure Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC d’Orange.
Les autorités misent donc, en priorité, sur la surveillance. Une nouvelle cellule d’enquête spécialisée de la gendarmerie a été créée — la cellule Oracle —, qui vise à prévenir les dégradations contre ces infrastructures. Peu de données circulent publiquement à propos de cette cellule, de ses financements et de ses moyens humains, mais en octobre 2020, Christian Rodriguez, le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), a tout de même vanté son bilan auprès des députés. Il l’a comparé à la cellule Déméter, qui surveille les opposants à l’agriculture industrielle. Sollicitée à plusieurs reprises sur ce sujet reconnu comme « sensible », la gendarmerie n’a pas souhaité répondre à nos questions.
CAMÉRAS, TÉLÉPHONES SUR ÉCOUTE, TRACEURS GPS...
Des articles de presse relatent toutefois déjà les premiers succès de cette cellule. À plusieurs reprises, ses membres ont pu retrouver l’ADN de certains saboteurs, des gendarmes ont également mis sous écoute de nombreux suspects.
À Besançon, dans l’affaire de Boris — un jeune homme se déclarant anarchiste et ayant incendié deux antennes-relais sur le mont Poupet —, les gendarmes auraient placé des caméras de surveillance devant son domicile et des GPS sous les voitures de ses proches. Ils auraient également pris en filature plusieurs personnes au cours de l’été 2020. Une fois Boris condamné, les militaires auraient même convoqué certains de ses amis à la gendarmerie pour récupérer les balises GPS accrochées sous leur voiture. Dans une lettre, Boris est revenu en détail sur ces éléments de l’enquête et explique les raisons politiques qui l’ont mené au sabotage. Deux mois plus tard, suite à un incendie dans sa cellule, le jeune anarchiste a été gravement brûlé et placé en coma artificiel, sous soin intensif. Il vient à peine d’en sortir, en octobre.
En Haute-Vienne, suite à la dégradation de l’antenne des Cars, les autorités ont aussi mis en place des moyens très importants. Des écoutes téléphoniques ont touché de nombreuses personnes de réseaux militants sur le plateau des Millevaches. Le 15 juin 2021, quatorze personnes ont été interrogées et perquisitionnées, six d’entre elles ont été placées en garde à vue. Certaines sont poursuivies pour destruction par l’effet d’une substance d’explosive d’un engin dangereux en bande organisée, destruction qui est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et association de malfaiteurs. Les gendarmes sont remontés jusqu’à eux en écoutant les réunions d’un groupement forestier auquel les suspects participaient. Cette association rachète des parcelles de forêts pour les gérer hors des pratiques agro-industrielles. D’autres associations, comme le groupe de réflexion Gramsci à Limoges ou encore une chorale militante, ont été particulièrement surveillées.
VERS DES PEINES PLUS LOURDES ?
Pour mener les interpellations, les autorités ont mobilisé la sous-direction antiterroriste de la police nationale qui s’était déjà illustrée en Haute-Vienne lors de l’affaire Tarnac. Cette référence au terrorisme n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs mois, élus, politiques et magistrats tentent de faire le parallèle entre ces actions et « des attentats terroristes ». À chaque sabotage, le procureur de Grenoble, Éric Vaillant, tente de saisir le parquet antiterroriste de Paris. « L’article 421-1 du Code pénal qualifie de terroristes certaines infractions commises dans le but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. J’estime que cela a pu concerner les dégradations d’antennes-relais », déclare-t-il à Reporterre. Pour l’instant, le parquet antiterroriste de Paris a décliné ses demandes. Au grand regret du procureur : « Il y a une augmentation permanente du nombre de faits attribués à la mouvance d’ultra gauche, il y a un mouvement national et il y a beaucoup de faits sur le ressort de Grenoble : cela justifierait cette qualification terroriste », affirme-t-il.
À défaut, des parlementaires envisagent de durcir les peines de prison pour mettre un coup d’arrêt définitif à ces sabotages. Actuellement, la dégradation d’une infrastructure de télécommunication est sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende [1]. Des sanctions sont également prévues par le Code des postes et des communications électroniques (CPCE) : 1 500 euros pour dégradation du réseau (article 65), ainsi que deux ans de prison et 3 750 euros d’amende en cas d’interruption volontaire des communications électroniques (article 66).
Une proposition de loi du groupe Les Républicains (LR) a été déposée en juin 2020 pour introduire une circonstance aggravante au délit de vandalisme, en portant à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende les sanctions encourues. Un sénateur, Patrick Chaize (LR), est particulièrement engagé dans cette bataille. Il est aussi le président de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel). Il a déposé un amendement au texte de la loi sécuritaire du gouvernement qui a été déclaré irrecevable.
« La faiblesse des peines encourues et de leur aménagement ne sont pas dissuasives et donc pas de nature à freiner les appels à la désobéissance civile sur les nouvelles implantations d’antennes, explique-t-il à Reporterre. Quand il y a des actes de vandalisme en dehors du droit et de la loi, il me semble normal qu’on les punisse lourdement pour dissuader. Cela me met hors de moi que le monde économique et les administrés qui n’ont rien demandé soient pris en otage par une action individuelle qui n’a pas de sens. »
LE COMPLOTISME, POUR DISCRÉDITER LES SABOTEURS
La référence à l’irrationalité de ces gestes est d’ailleurs très courante. Les médias mainstream et les autorités s’engouffrent allégrement dans la piste du complotisme pour dépolitiser les raisons qui poussent des dizaines de personnes à s’attaquer aux antennes-relais. C’est un autre aspect de la répression en cours, tout est fait pour isoler et discréditer ces luttes contre la numérisation du monde.
Certains profils de saboteurs ne leur donnent pas tout à fait tort : en septembre dernier, deux moines intégristes ont été arrêtés ; à Paris un illuminé a aussi été interpellé après avoir saboté vingt-six antennes sur les toits de la capitale. Mais ces individus ne peuvent résumer à eux seuls la dynamique en cours. De nombreux sabotages sont revendiqués et réfléchis politiquement comme en témoignent plusieurs textes ici ou là.
« Nous ne sommes ni des ignares ni des enfants à rééduquer »
Taxer de complotistes ses opposants est une manœuvre de communication qui permet « d’isoler l’ennemi en révolte et de dépolitiser sa lutte », estiment certains militants proches des saboteurs. « Nous ne sommes ni des ignares ni des enfants à rééduquer. Nous ne sommes pas des bouseux opposés aux lumières de nos chefs d’État, nous incarnons un pôle antagoniste aux intérêts marchands, que l’autre camp n’aura de cesse de vouloir discréditer », écrivent-ils.
Pour l’historien des sciences François Jarrige, l’utilisation du concept de complotisme sert « à faire disparaître une certaine parole populaire » : « Avant c’était plus simple, le pouvoir pouvait dénoncer l’ignorance crasse du peuple qui n’avait pas compris le sens du progrès. Aujourd’hui, on n’ose plus le dire aussi frontalement, on exprime cette idée de manière plus métaphorique, plus subtile », précise-t-il à Reporterre.
En creux, c’est le débat public qui est empêché, toute marque de soutien à l’action directe devant être poursuivie afin d’invisibiliser ces actes de sabotage. Plusieurs médias indépendants en ont fait les frais. Reporterre le racontait en mars avec l’affaire Ricochets. Ce média local passera le 25 janvier prochain au tribunal pour « apologie publique de crime ou délit ». Il avait publié un texte en solidarité avec les incendiaires d’un poste répartiteur d’Orange en périphérie de Crest, dans la Drôme. « Les auteurs du texte évoquaient les conséquences écologiques de l’économie numérique, raconte un administrateur du site. Ils parlaient des manières d’y faire face, dans une époque où nous sommes tous confinés et où l’État et les industriels avancent à marche forcée. À Ricochets, nous pensions que cet article ouvrait une discussion légitime. »
Une élue d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Sylvie Bonaldi, a aussi fait l’expérience de cette omerta. En septembre 2020, elle avait déclaré à la presse approuver l’incendie de l’antenne-relais 5G de Contes, à proximité de Nice. Le soir même, face à la pression, Sylvie Bonaldi avait dû revenir sur ses propos et s’était déclarée contre toute forme de violence. « C’est une forme d’autocensure, reconnaît-elle aujourd’hui à Reporterre. Je voulais éviter que la polémique enfle et me retrouver ainsi sous le coup de poursuites judiciaires. L’absence de débat instaure un régime de contrôle de la parole, c’est très difficile de sortir de la doxa. » Elle nous confie cependant continuer à approuver à 100 % ces sabotages, sans pouvoir le dire partout « sous peine d’être calomniée ».
Malgré la répression juridique, le dénigrement politique et médiatique, les sabotages se poursuivent. Sur notre carte des sabotages en France, nous en avons recensé neuf en novembre dernier. Cela n’étonne pas l’historien François Jarrige : « Les enjeux climatiques et écologiques vont aider à repolitiser ces infrastructures techniques, qui depuis deux siècles, à l’ère du capitalisme industriel, n’ont cessé d’être dépolitisées. »
https://reporterre.net/Contre-les-saboteurs-l-Etat-sort-l-artillerie-lourde
Les affaires judiciaires :
https://reporterre.net/IMG/pdf/sabotages_affaires_judiciaires_reporterre.pdf