CROISSANCE VERTE CONTRE NATURE

Publié le par Résistance verte

 

GREEN NEW DEAL ET CROISSANCE VERTE

Les gouvernements et les partis écologistes fustigent le réchauffement climatique. Mais les solutions proposées reposent souvent sur le progrès technologique. Ce qui pose d'autres problèmes. Il semble indispensable de sortir de l'expertise scientifique pour aborder les questions écologiques de manière globale.

Pour répondre à la crise écologique, beaucoup de solutions envisagées s’alignent sur logique marchande. Les sociétés capitalistes recherchent la maîtrise et l’instrumentalisation de toutes les formes de vie sur Terre. La nature reste considérée uniquement comme un réservoir de ressources pour les humains. Le développement du capitalisme industriel renforce ce paradigme. La croissance économique repose sur la recherche de nouvelles ressources, de nouveaux processus de production, de nouvelles technologies, de nouvelles formes d’organisation du travail et de nouvelles marchandises. Ce qui doit permettre de nouvelles sources de profit.

Le « développement durable », la « croissance verte » et désormais le « Green New Deal » sont présentés comme des solutions à la crise écologique. Mais ces perspectives se contentent de poser quelques rustines vertes sur le capitalisme industriel. Ces fausses solutions n’empêchent pas la pollution de la planète, l’extinction massive des espèces et la société de consommation. L’économiste Hélène Tordjman développe cette critique dans son livre La croissance verte contre la nature.

TECHNOSCIENCE ET AGRO-INDUSTRIE

De nouvelles technologies prétendent imposer une humanité « augmentée ». Des innovations semblent sorties de romans de science-fiction. Prothèses branchées sur le cerveau, nano-robots, implants cérébraux pour régler les émotions incarnent le projet transhumaniste. L’humain se confond avec la machine pour devenir plus performant. Ces projets sont développés pour une application militaire avant d’être commercialisés. Ces technologies renforcent la perspective d’une société eugéniste avec une humanité « augmentée » qui forme une élite privilégiée.

La bioéconomie valorise la recherche scientifique. L’innovation doit être favorisée par des partenariats public-privé. L’Etat et sa recherche se confondent avec la start-up nation du président Macron. En 2018, le Forum patronal de Davos propose de sauver la planète grâce aux progrès technologiques. Nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle, robotique, capture de l’énergie, informatique, satellites, véhicules autonomes ou drones ne cessent de se développer.

Mais la technique n’est pas neutre et contribue à façonner des manières de vivre et de penser. « Le mythe de la neutralité de la science et de la technique est un des piliers de l’idéologie du progrès qui nous imprègne si profondément et nous empêche de prendre la mesure de son ambivalence », analyse Hélène Tordjman. Les nouvelles techniques créent de nouveaux problèmes qui nécessitent de nouveaux moyens. Cette logique technicienne apparaît comme une course en avant incontrôlable.

Le biocarburant vise à limiter la pollution et la consommation de pétrole. Cependant, le développement de cette technologie comporte également des conséquences néfastes pour l’environnement. Par exemple, elle impose la déforestation pour cultiver des terres. Ensuite, des engrais, des pesticides, des cultures génétiquement modifiées sont utilisés. L’agriculture industrielle repose sur la concentration des terres qui sont accaparées par les grandes exploitations. Des déserts verts se propagent avec cette uniformisation de l’agriculture industrielle. « Si nous continuons dans cette voie, ne finiront par rester que les grandes exploitations de plus en plus techniques opérant toutes plus ou moins sur le même modèle », prévient Hélène Tordjman.

Surtout, l’agriculture perd sa vocation à nourrir les humains pour devenir une simple source de consommation énergétique. Le développement du biocarburant provoque une augmentation des prix de l’alimentation. En 2007 éclatent des émeutes de la faim qui montrent l’importance de la malnutrition. Ensuite, l’agriculture industrielle écrase la petite paysannerie qui permet de nourrir la population. L’exemple des agrocarburants montre que l’innovation scientifique et technique ne permet pas de répondre à la dégradation écologique. « Comment une approche hyperspécialisée et parcellisée des problèmes conduit à remettre en cause la possibilité même de se nourrir plutôt que de réfléchir à la démesure de la consommation énergétique », souligne Hélène Tordjman.

La protection de la nature peut également révéler des conséquences écologiques désastreuses. Un romantisme niais se contente de défendre la nature plutôt que l’humanité qui l’habite. Pourtant la nature semble beaucoup plus résistante face aux catastrophes que les humains. Ensuite, la protection de la nature devient un nouveau paravent du capitalisme vert. Le think tank The Nature Conservancy se focalise sur la pollution des airs sans prendre en compte les autres problèmes écologiques. Il défend les OGM qui permettent de cultiver moins de terres et le nucléaire qui ne pollue pas. « L’idée générale est toujours la même : découpler l’activité économique de son empreinte écologique en accroissant considérablement sa productivité, grâce à l’innovation technologique », observe Hélène Tordjman. Cet optimisme technologique estime que la science peut résoudre tous les problèmes écologiques.

FACE AU CAPITALISME VERT

L’émergence d’un capitalisme financier modifie les modes d’exploitation et d’enclosure de la nature. « Des pans entiers de l’environnement sont ainsi happés par les nouvelles activités gestionnaires et productives », précise Hélène Tordjman. Un capitalisme immatériel repose sur la centralité de l’information, de la science et de la connaissance dans les processus de production et dans les objets produits. Séquences génétiques, variétés végétales, races animales, processus naturels, échantillons biologiques deviennent des marchandises fictives dérivées de la nature.

Des droits à détruire des zones humides s’échangent sur un marché, sur le modèle des droits à polluer. « C’est en cela que l’on peut parler de financiarisation de la nature, envisagée comme un portefeuille de services, par analogie avec un portefeuille financier », indique Hélène Tordjman.

Une finance verte se développe. Les marchés imposent un pouvoir disciplinaire qui impose la hausse et la baisse d’une entreprise sur le cours de la bourse. « La finance verte se développe en exploitant ce pouvoir disciplinaire. Il s’agit d’identifier les activités et firmes qui contribuent positivement à la transition écologique pour qu’elles reçoivent le maximum de financements », décrit Hélène Tordjman. Le Dow Jones Sustainable Index (DJSI) publie le nom des firmes considérées comme les plus écologistes dans 24 secteurs différents. Ce qui permet à des entreprises de se donner une image verte et participe au greenwashing. Sans pour autant apparaître comme un gage de bonne conduite sociale et environnementale.

Ensuite, des obligations vertes visent à favoriser le financement des énergies renouvelables et des produits considérés comme écologistes. Pourtant, ces obligations vertes sont définies de manière tellement vague que des projets qui n’ont rien de vert, et portés par des entreprises dont la production reste polluante, sont financés.

« La finance verte s’inscrit dans la droite ligne du phénomène analysé tout au long de ce livre : instrumentaliser les forces du capitalisme pour une croissance "verte et inclusive", c’est-à-dire pour "réparer" les dégâts de ce même capitalisme », tranche Hélène Tordjman. Mais la finance verte montre ses limites. L’investissement dans les énergies renouvelables peut se révéler très coûteux et trop peu rentable. L’instabilité des marchés financiers n’incite pas à prendre des risques dans ce sens. Surtout, la finance favorise la spéculation plutôt que le bien commun. Pour les investisseurs, les plus-values à court terme priment sur les rendements en intérêt à long terme.

Pour penser une transition écologique, c’est l’ensemble de l’agriculture qui doit être réorganisée. La satisfaction des besoins alimentaires doit devenir la priorité. Les lobbies de l’agro-industrie, avec la collusion des Etats et des firmes multinationales, empêchent cette perspective. « Il faut néanmoins commencer dès aujourd’hui à entamer la transition vers une production et une consommation de nourriture plus saine pour tous, respectueuse des grands équilibres de la biosphère, plus harmonieuses, créatrices de travail, d’emplois et de beaux paysages », propose Hélène Tordjman.

A l’échelle locale, l’agroécologie s’appuie sur l’énergie solaire, l’azote atmosphérique et les matières organiques recyclées en compost. Ensuite, le système de polyculture-élevage fournit une alimentation riche et diversifiée. A l’échelle régionale, la prise de décision doit être collective, et non réservée à une élite. L’autogestion s’oppose à la démocratie représentative. Le philosophe Cornélius Castoriadis propose « un système où ceux qui accomplissent une activité décident collectivement de ce qu’ils ont à faire et comment le faire, dans les seules limites que leur trace leur coexistence avec d’autres unités collectives », dans sa brochure « Autogestion et hiérarchie ». Ensuite, la réforme agraire doit permettre une redistribution de la terre. Des formes de propriétés collectives et de coopératives peuvent se développer.

TRANSITION OU RÉVOLUTION

Hélène Tordjman propose un livre percutant sur les impasses de la croissance verte. L’économiste s’appuie sur des exemples concrets. Son livre permet de rendre accessible des débats scientifiques et économiques souvent complexes. Il propose une véritable critique politique plutôt qu’une expertise qui s’abrite derrière la neutralité de la science. Hélène Tordjman insiste bien sur les enjeux politiques de débats considérés comme de simples discussions entre experts pour déterminer les méthodes les plus efficaces. Derrière l’apparente neutralité de la science se cachent des choix de société.

La technoscience, l’agro-industrie et la finance verte ne sont que des fausses solutions qui ne font qu’engendrer de nouveaux problèmes. Hélène Tordjman propose une vision globale de l’écologie, qui ne se réduit pas à la dénonciation du réchauffement climatique. Le nucléaire et les biocarburants ne polluent pas, mais provoquent d’autres problèmes écologiques majeurs.

Hélène Tordjman développe des réflexions originales, souvent marginalisées par les partis écologistes. Elle insiste sur la critique de la technique, dans le sillage de Jacques Ellul. Elle attaque le capitalisme vert et ses impasses. Surtout, elle se penche sur les questions agricoles qui restent souvent délaissées par une mouvance écologiste essentiellement implantée en milieu urbain. La question de la répartition des terres reste centrale, à l’échelle locale comme internationale. La réforme agraire relie les questions écologiques et les problèmes sociaux.

Hélène Tordjman se risque également à esquisser des pistes et des propositions de transition écologique. C’est évidemment la partie la plus subjective et la moins convaincante de son livre. L’économiste semble abandonner la critique radicale du capitalisme vert pour proposer un banal programme social-démocrate teinté d’un alternativisme à la mode.

La promotion de l’agriculture paysanne révèle l’ambiguïté de cette démarche. Ce terme peut renvoyer à des formes d’appropriation collective de la terre. Ce qui attaque directement le capitalisme qui repose sur la propriété privée des moyens de production. Mais l’agriculture paysanne peut aussi renvoyer à de banales techniques agricoles alternatives. Ce qui permet de développer de nouvelles pratiques à l’échelle locale, mais semble bien éloigné d’un projet de rupture avec la logique capitaliste.

Hélène Tordjman semble reprendre les écueils d’une mouvance écolo radicale ou décroissante qui, en réalité, ne propose qu’une autogestion du capital. La glorification des coopératives et des monnaies locales s’inscrit dans ce cadre étroit. Cette transition écologique ne vise pas à abolir la marchandise, mais à la rendre simplement plus acceptable. Même avec une monnaie alternative, il peut exister des inégalités de revenus et de capital. Ces expériences locales réservées à une frange relativement aisée de la population n’apparaissent pas comme une solution sérieuse.

Hélène Tordjman reprend également la tarte à la crème du municipalisme libertaire et des villes en transition, voire même du citoyennisme creux version Saillans. Ces pistes de réflexion peuvent sembler sympathiques a priori. Hélène Tordjman insiste sur l’auto-organisation et sur les décisions prises à la base, contre le monopole du pouvoir par les politiciens et les technocrates. Cependant, cette approche révèle un démocratisme qui ne s’appuie pas sur une dynamique de luttes sociales. Cette approche citoyenniste ne semble pas remettre en cause l’ensemble des institutions, des hiérarchies et des autorités. L’État n’est pas attaqué, mais doit simplement devenir plus participatif et bio-citoyen.

Ce qui révèle également les limites d’une « transition écologique ». Les mouvements sociaux doivent au contraire s’inscrire dans une perspective de rupture avec la logique marchande. La mouvance écologiste se spécialise sur certaines questions, sans envisager la transformation globale de la société. Pour résoudre les problèmes écologiques, c’est un mouvement de révolte globale qui doit surgir.

Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature.
Critique de l’écologie marchande, novembre 2021


http://www.zones-subversives.com/2021/10/green-new-deal-et-croissance-verte.html

 

 

Publié dans Environnement

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