LE POISON DE LA BANALISATION DES ÉTATS D’EXCEPTION
La prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 juillet, examinée ce 13 octobre en conseil des ministres, est une nouvelle étape de la transformation des états d’exception en «mode de gouvernement banalisé». « Sur les six dernières années, la France en aura passé la moitié en “état d’urgence” au point que nous pouvons nous demander si nous vivons perpétuellement en crise ou si ce cadre juridique est en voie de devenir un mode de gouvernement banalisé. », note le Conseil d’État.
En introduction de sa récente étude juridique annuelle consacrée aux états d’urgence, le Conseil d’État a choisi de mettre en exergue une citation qui sonne particulièrement juste en ce jour de présentation en conseil des ministres du nouveau projet de loi de prorogation jusqu’au 31 juillet 2022 de l’état d’urgence sanitaire : « Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux. »
https://www.mediapart.fr/journal/france/131021/passe-sanitaire-le-poison-de-la-banalisation-des-etats-d-exception?at_medium=custom7&at_campaign=1046
Novembre 2015, l’état d’urgence est déclaré au lendemain des attentats de Paris. Mars 2020, il est à nouveau déclenché pour faire face à la pandémie de covid-2019. Ces deux situations dramatiques de natures très différentes ont déclenché un même outil d’exception. L’utilisation de l’état d’urgence sur trois des six dernières années a conduit le Conseil d'État à s’emparer du sujet pour proposer aujourd’hui dans le cadre de la sortie de son étude annuelle 2021, une grille de lecture et d’emploi de ce régime d’exception, avec une série de propositions visant à améliorer l’action publique.
L’analyse des états d’urgence récents a permis de tirer différents enseignements sur ce régime d’exception, cerner ses limites, ses avantages et ses risques. Parmi les points principaux étudiés, l’étude revient en premier lieu sur l’opportunité de son utilisation. Destiné à répondre à un « péril imminent », l’état d’urgence est utile et efficace pour faire face à un désordre momentané, lorsqu’aucun autre outil juridique ou opérationnel n’existe. Pourtant la « crise » est aujourd’hui de plus en plus confondue avec les menaces pérennes qui fragilisent en profondeur la société et pour lesquels l’état d’urgence n’est pas une solution pertinente.
La question de son usage prolongé soulève également de nombreuses questions. Sur le long terme, son usage est délétère : il déstabilise le fonctionnement ordinaire des institutions, en bouleversant le rôle du Parlement et des institutions territoriales, banalise le risque, restreint les libertés de façon excessive et altère, à terme, la cohésion sociale.