FICHAGE POLICIER RENFORCÉ
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Les Fichiers de police PASP, EASP et GIPASP permettant la collecte d'informations sensibles adoubés par le Conseil d'État
Les fichiers PASP, EASP et GIPASP nouvelles moutures ont été validés par le juge des référés du Conseil d'État par décision du 4 janvier 2021.
Les forces de l’ordre sont désormais ainsi autorisées à ficher "opinions politiques", "convictions philosophiques et religieuses " et "appartenance syndicale" !
Rappelons que ces 3 décrets du 2 décembre 2020 avaient été publiés le 4 décembre 2020 qui renforcaient le fichage en France en modifiant les catégories de données pouvant être collectées telles qu'autorisées par les articles R. 236-2, 11 et 22 du code de sécurité intérieure.
Ce fichage permet aux forces de l'ordre de surveiller toute personne considérée comme pouvant porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État. Les données intéressant la sûreté de l'État sont "celles qui révèlent des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts".
Sont concernés :
- le « fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP) » avec le Décret n° 2020-1511 du 2 décembre 2020,
- le fichier « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) » avec le Décret n° 2020-1510 du 2 décembre 2020
- le fichier « Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) » avec le Décret n° 2020-1512 du 2 décembre 2020
Le fichier GISASP permet de recueillir, de conserver et d'analyser les informations qui concernent des personnes dont l'activité individuelle ou collective indique qu'elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique. Plus spécifiquement, il vise les personnes susceptibles d'être impliquées dans des actions de violences collectives, en particulier en milieu urbain ou à l'occasion de manifestations sportives.
De manière générale, le traitement GIPASP présente de fortes similitudes avec le traitement « prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP), mis en œuvre par la direction générale de la police nationale.
Le traitement « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASP), mis en œuvre par la direction centrale de la sécurité publique et la préfecture de police, permet pour sa part de faciliter la réalisation d'enquêtes administratives au moyen du recueil et de l'exploitation d'informations nécessaires pour répondre aux demandes dévolues au renseignement territorial conformément aux dispositions des articles R. 114-2 à R. 114-5 du code de la sécurité intérieure (CSI). Ce traitement vise à assurer la fiabilité d'enquêtes effectuées par le recoupement au niveau national d'informations collectées, archivées et exploitées pour répondre aux demandes d'enquêtes administratives, dans le but de déterminer si le comportement de l'intéressé est ou non compatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.
Il sera relevé qu'il résulte de l'évolution du cadre juridique relatif à la protection des données à caractère personnel que les dispositions applicables au traitement des données figurant au sein de ce dispositif et intéressant la sûreté de l'Etat, sont exclues du champ d'application de la directive 2016/680 et relèvent spécifiquement des articles 1 à 41 et 115 à 124 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
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Peuvent donc être collectées notamment:
5° Activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État
a) Activités publiques ou au sein de groupements ou de personnes morales ;
b) Comportement et habitudes de vie ;
c) Déplacements ;
d) Activités sur les réseaux sociaux ;
e) Pratiques sportives ;
f) Pratique et comportement religieux ;
6° Facteurs de dangerosité
a) Lien avec des groupes extrémistes ;
b) Eléments ou signes de radicalisation, suivi pour radicalisation ;
c) Données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques, obtenues conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;
d) Armes et titres afférents ;
e) Détention d'animaux dangereux ;
f) Agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale ;
g) Antécédents judiciaires (nature des faits et date) ;
h) Fiches de recherche ;
i) Suites judiciaires ;
j) Mesures d'incarcération (lieu, durée et modalités) ;
k) Accès à des zones ou des informations sensibles ;
7° Facteurs de fragilité
a) Facteurs familiaux, sociaux et économiques ;
b) Régime de protection ;
c) Faits dont la personne a été victime ;
d) Comportement auto-agressif ;
e) Addictions ;..."
également "« 2°)
c) Identifiants utilisés (pseudonymes, sites ou réseaux concernés, autres identifiants techniques), à l'exclusion des mots de passe ;"
Pourront également faire l'objet d'une collecte dans le traitement « l'indication de l'enregistrement ou non de la personne dans les traitements suivants :
- le traitement d'antécédents judiciaire (TAJ) ;
- le système informatique national N-SIS II mentionné aux articles R. 231-5 et suivants du CSI ;
- le traitement « prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP) mentionné aux articles R. 236-11 et suivants du CSI ;
- le fichier des personnes recherchées (FPR) ;
- le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « FSPRT » ;
- le fichier des objets et des véhicules volés (FOVeS).
Peuvent accéder à ces données les agents des services, tout policier ou gendarme, ainsi que les procureurs ou les agents pénitentiaires.
Parmi les nouvelles données pouvant être collectées, ces services peuvent donc désormais recueillir des informations sur l’opinion des personnes surveillées, leurs pseudonymes sur les réseaux sociaux ou des données de santé.
Concernant les « identifiants utilisés sur les réseaux sociaux » ou les « activités sur les réseaux sociaux » qui peuvent faire l'objet d'une collecte, l'ensemble des réseaux sociaux est concerné dans le cadre de recherches en source ouverte, et les données sont à ce titre collectées sur des pages ou des comptes ouverts, à l'exclusion de toute interaction avec la personne concernée. Par ailleurs, les « identifiants utilisés » correspondent par exemple au pseudonyme de la personne concernée, à l'exclusion du mot de passe associé.
Le ministère a par ailleurs précisé que les informations collectées porteront principalement sur les commentaires postés sur les réseaux sociaux et les photos ou illustrations mises en ligne, ces éléments étant considérés comme pertinents dans le cadre de la prévention des atteintes à la sécurité publique ou la sûreté de l'État. A cet égard, la CNIL a rappelé que, s'agissant de la collecte de photographies, en l'absence de précisions sur ce point, tout dispositif de recherche à partir de ces éléments, devra être exclu.
La CNIL avais pris acte dans ses délibérations du 26 juin 2020 que les décrets limitent expressément à certaines catégories d'informations la collecte de données, et que par ailleurs, une recherche au sein du traitement sur la base de ces données ou de l'identité des personnes concernées n'est pas possible. Dans ce contexte, elle considère qu'il est indispensable que les critères relatifs à la nécessité de la collecte de ces catégories de données, tels que décrits par le ministère, soient strictement respectés. Dans ces conditions uniquement, la Commission estime que la collecte de ces informations est légitime, au regard des finalités du traitement, et conformément à l'article 4-3° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Elle rappelle en outre qu'elle pourra être amenée à contrôler le respect de ces modalités de mise en œuvre.
Mais qu'elle n'avait pas été la surprise de la CNIL de découvrir comme tout un chacun que les décrets ont opéré un glissement sémantique qui n'est pas anodin, puisque si la collecte de données relatives à « des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » était déjà prévue, les nouveaux décrets font désormais référence non plus aux « activités » mais aux « opinions » politiques, aux « convictions » philosophiques, religieuses et à l’« appartenance » syndicale. La CNIL ne s’était pas prononcée sur cette modification, qui ne figurait pas dans le projet qui lui avait été soumis.
Enfin, la CNIL avait formulé des observations sur le périmètre de certaines catégories de données, considéré comme trop étendu. La CNIL constate qu’elle n’a pas été suivie sur ce point, certaines d’entre elles (comme par exemple les données relatives aux « activités sur les réseaux sociaux ») étant toujours rédigées de manière très large (Publication des décrets relatifs aux fichiers PASP )
https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission
Ces fichiers ont donc un champ plus vaste que le terrorisme ou la radicalisation puisqu'ils concernaient en 2017 environ 60.000 personnes dans le PASP et 66.000 au GIPASP et inquiètent en conséquence sur les risques de fichage politique ou religieux pour des motifs d'atteinte à l'ordre public ou la sureté nationale.
Des recours avaient été initiés devant le Conseil d'État par divers syndicats comme la CGT, FO, FSU, ainsi que le SAF et le syndicat de la magistrature qui dénonçaient la grande « dangerosité » de ces fichiers et une volonté de « créer un délit d’opinion » ou une surveillance de masse.
Ces requêtes ont toutes été rejetées, le Conseil d'État considérant que les textes ne portaient cependant pas « une atteinte disproportionnée » à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale.
Il fait valoir que le recueil de ces données sensibles était déjà, par dérogation, autorisé dans le code de la sécurité intérieure, et que seules les activités « susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État » sont concernées, ce qui « interdit notamment un enregistrement de personnes sur une simple appartenance syndicale ».
La procédure au fond est toujours en cours et le Conseil d'État se prononcera dans quelques mois .
En attendant, c'est presque le retour du fichier EDVIGE de triste mémoire (retiré en 2008 par Mme Alliot-Marie alors Ministre de l'Intérieur), et une singulière extension du champ du renseignement.
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Me Thierry Vallat a été interrogé sur ces fichiers par Le Parisien le 7 décembre 2020
https://www.leparisien.fr/faits-divers/demain-tous-fiches-cinq-questions-sur-des-decrets-polemiques-07-12-2020-8412939.php
Direct sur Sud Radio le 5 janvier 2021 suite à la décision du Conseil d'Etat.
FICHAGE : VERS UN NOUVEAU DÉLIT D'OPINION
Me Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
https://youtu.be/Pa7cU432g0A