PROFUSION DE MILLIARDAIRES
Le monde n’a jamais créé autant de milliardaires. Ils sont désormais au nombre de 2189, d’après une récente étude de UBS/PwC, soit cinq fois plus qu’il y a 20 ans. On assiste même à une création accélérée de fortunes à 9-12 chiffres, qui profitent des disruptions technologiques majeures de la dernière décennie.
https://www.pwc.ch/en/publications/2020/UBS-PwC-Billionaires-Report-2020.pdf
Ces fortunes sont également propulsées par le crédit bon marché et le soutien constant des banques centrales. Ceci se vérifie aisément : le nombre de milliardaires a certes quintuplé en deux décennies, mais c’est vraiment depuis 2009, avec l’instauration d’une politique d’argent facile et de taux d’intérêt proches de zéro, que l’accélération suit le boom des valorisations boursières.
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DOPÉS PAR LE REBOND BOURSIER DU COVID
Durant la pandémie du Covid, les milliardaires ont même été la seule catégorie à s’enrichir, pour les mêmes raisons qu'évoquées plus haut : les interventions des banques centrales se sont intensifiées, profitant en premier lieu à cette catégorie socio-économique.
En seulement 4 mois, entre le 7 avril et le 31 juillet 2020, la population de milliardaires a augmenté de 131 personnes, avec le rebond des marchés, passant de 2058 à 2189 milliardaires, indique le rapport d’UBS/PwC. Ainsi, la valeur des parts actionnariales a profité de la remontée spectaculaire du marché induite par les banques centrales et leurs achats massifs de titres.
1% POSSÈDENT LA MOITIÉ DES ACTIONS
Cet essor illustre le pouvoir redistributeur des politiques monétaires à travers les achats d’obligations et d’actions, auxquels l’indice américain S&P500 doit au moins la moitié de son rebond de cette année, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). Les milliardaires étant de loin les plus investis dans les marchés, ils profitent plus que proportionnellement des assouplissements quantitatifs : d’après Goldman Sachs, le 1% des Américains les plus riches représentent plus de la moitié de la valeur des actions détenues par les ménages américains. Comme bonus additionnel pour les fortunes de la tech, c’est vers ce secteur que la plupart des fonds de placement et des institutionnels ont concentré leurs achats ces derniers mois, poussant des titres comme Tesla, Nvidia, Paypal, Amazon ou Netflix vers des capitalisations boursières record.
Cette profusion de milliardaires vient aussi accentuer le creusement des inégalités dans les grandes métropoles. Désormais, 8 milliardaires de par le monde possèdent autant d’argent que les 3,6 milliards d’individus les plus pauvres, une situation sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale.
La fortune combinée des milliardaires, qui s’élève à 10’200 milliards de dollars, les placerait, s’ils étaient un pays, au rang de troisième puissance économique mondiale, juste derrière les États-Unis et la Chine, et loin devant le Japon.
Mais au sein de cet écosystème, deux secteurs se démarquent très nettement : la tech et la santé. C’est là qu’une très grande partie de la création de richesses s’est opérée. D’après le rapport précité, 94% des milliardaires de la tech sont des innovateurs, et 71% le sont dans la santé. Au bas du classement, seuls 17% des milliardaires de l’immobilier sont innovants, et 37% le sont dans les services financiers.
Les milliardaires qui sont des innovateurs et des disrupteurs ont donc raflé la mise. Ils occupent aujourd’hui les deux côtés du spectre économique: l’investissement et l’entrepreneuriat. Cela se reflète en bourse avec la revalorisation séculaire des technologies de disruption, tirée par des Elon Musk (Tesla), Bill Gates (Microsoft), Jack Ma (Alibaba), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook), ou Larry Page et Sergei Brin (Google).
Reflet de cette tendance, l'indice Nasdaq (valeurs technologiques) a gagné 20% cette année (contre 7% pour le S&P 500 général).
C’est aussi en raison de cette prime à l’innovation que les fortunes des milliardaires de la tech ont augmenté de 43,5% depuis 2018. Celles de la santé ont décollé de 50,3%, grâce à une nouvelle phase de découverte de médicaments, aux innovations dans les diagnostics et le biomédical, mais aussi aux nouveaux traitements et équipements liés à la pandémie du Covid19. Ceux qui ont utilisé la technologie pour accélérer leurs modèles d’affaires, leurs produits et services, ont vu leurs fortunes croître. Les autres – à savoir les milliardaires traditionnels – ont vu leur fortune croître, mais de façon moins marquée. Dans les décennies précédentes, tous les milliardaires s’enrichissaient au même rythme, indépendamment de leur secteur. Désormais, la tech est devenue le « game changer ». Ces innovateurs assis sur d’importantes liquidités sont à présent les mieux placés pour investir, amorcer, incuber, façonner ce qu’on appelle la « next économie ».
A l’intérieur même de l’écosystème des milliardaires, des disparités considérables se retrouvent : le club des 50 à 100 milliards tutoie les gouvernements et les parlements, devient un acteur incontournable dans des projets philanthropiques d’envergure mondiale. Ce «club» se trouve à des années-lumière de celui des 1-10 milliards en termes de pouvoir, d’influence et de capacités d’investissement.
TROP DE MILLIARDAIRES, MOINS D'AVANTAGES COMPARATIFS
Mais le club des 50 à 100 milliards n’a jamais été aussi encombré, ce qui réduit la puissance relative de chacun de ses membres : l’accès aux coulisses du pouvoir a d’autant plus d’intérêt que c’est un privilège rare, partagé par très peu d'individus. Aujourd’hui dévaluée en raison de l’inflation des milliardaires, la position de richesse seule offre moins d’intérêt. C’est pourquoi les milliardaires convoitent aujourd’hui d’autres formes de pouvoir: à travers leurs prises de position devenues régulières, ils recherchent une adhésion et une reconnaissance publique, qui va bien au-delà de leurs capacités de lobbying et de proximité du pouvoir. Leur prise de parole devient fréquente, à l’instar du soutien de Jeff Bezos au mouvement Black Lives Matter, ou de l'engagement de Bill Gates avec la philanthropie médicale.
INDISPENSABLE, LE LOBBYING S'INTENSIFIE
Le lobbying reste naturellement très présent, mais il est mené sous l’étiquette de l’entreprise par des professionnels des relations publiques. Ainsi, les “Big 5” sont désormais l’un des principaux lobbies à Washington comme à Bruxelles. “Google, Amazon, Microsoft, Facebook et Apple sont parmi les lobbies qui dépensent le plus à Bruxelles” pour influencer les lois en leur faveur, d’après un rapport récent de Corporate Observatory Europe. Les dépenses se sont élevées à 21 millions d’euros (2019) dans l’UE. A Washington, elles ont atteint 50 millions (Center for Responsive Politics, chiffres 2017).
https://corporateeurope.org/en/2020/09/big-tech-lobbying
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Le lobbying et le suivi des lois apporte une contribution très directe à la valorisation des fortunes de la tech. Sur 10 ans, Amazon, Facebook, Microsoft, Netflix, Apple et Google ont réussi à éviter des impôts équivalents à 100 milliards de dollars, selon Fair Tax Mark.
https://www.cnbc.com/2019/12/02/silicon-valley-giants-accused-of-avoiding-100-billion-in-taxes.html
Le lobbying aura aussi une fonction essentielle ces prochaines années: éviter de possibles démantèlements ou actions anticartellaires à l’encontre de ces groupes. Un danger qui les guette et qui dépendra de leurs capacités à influer sur les pouvoirs en place ces prochaines années aux États-Unis et dans l’UE.
En conclusion, les « bilionnaires economics* », comme nous pourrions les appeler, seront le moteur de transformations économiques majeures. Transformations qui seront largement réalisées par les investissements et inventions des grandes fortunes technologiques et industrielles et de leurs incubateurs. Cette forte concentration de capital aura l’avantage de stimuler des innovations de pointe dans l’intelligence artificielle, la 3D, les nanotechnologies, les biotechs et de se déployer dans la philanthropie et la recherche.
UN THÈME À LIBÉRER DE TOUS LES TABOUS
Mais la responsabilité qui accompagne un tel rôle n'en sera que plus grande, et les milliardaires sont déjà exposés, ainsi que leurs groupes, à une critique sociale croissante. La période actuelle, avec ses crispations idéologiques, complique l’étude des catégories extrêmes de la société. En particulier, les réminiscences des courants « antiriches » observés lors de la crise de 2008 fait qu’aujourd’hui, la seule évocation des « milliardaires » peut être perçue comme populiste.
Parler de cette réalité de création accélérée des richesses d’un côté, et de paupérisation accélérée de l’autre, suffit parfois à provoquer chez certains un malaise accompagné de discours confus et peu construits. D’autres, par souci de ne pas tomber dans le populisme, tombent dans le travers dogmatique inverse : ils en viennent à défendre, lors d’échanges sur les réseaux sociaux, le droit des milliardaires à s’enrichir sans limites, sans s'intéresser aux mécanismes de redistribution majeurs que sont devenues les banques centrales, ni aux nouvelles responsabilités sociales induites par le rôle et l'impact fortement accru de ces grandes fortunes.
Or ces questions doivent être adressées avec rigueur et sérieux. Les « bilionnaire economics* » sont un écosystème complexe, aux dimensions multinationales et multi-juridictionnelles, et aux activités fortement imbriquées. Une discipline à part entière qu'il s'agit d'étudier dans sa globalité pour son impact sur la société: les initiatives individuelles, celles de l’entreprise ou multinationale, celles des lobbies et think tanks impliqués, celle des fondations philanthropiques, des family offices et des flux financiers associés. Les aspects de gouvernance et de transparence deviennent en effet primordiaux dans un monde qui attache de plus en plus d’importance à la responsabilité sociale et environnementale des grandes entités.
Myret Zaki
https://www.bilan.ch/auteurs/myret-zaki
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* Un billion est égal à mille milliards.
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LA PARTIE INVISIBLE DE L'ICEBERG FINANCIER
MARCHÉ PARRALÈLLE
Une économie liée aux finances internationales échappe aux systèmes de taxation. Son mode de fonctionnement transnational invoque des plates-formes offshore et des montages dans les paradis financiers. Un tiers des échanges d'actions passent aujourd'hui par des plates-formes opaques aux États-Unis et en Europe.
DARK POOLS
Les dark pools, ces plates-formes électroniques d'échange permettent à leurs utilisateurs d'acheter et de vendre des blocs de titres sans que le reste du marché soit mis au courant des ordres au moment où ils sont exécutés. Les opérateurs traditionnels comme le London Stock Exchange, ou Nyse Euronext ont leur « dark pool », plusieurs entreprises de marché alternatives ont le leur, à l'instar de Chi-X Delta. Il y a ensuite tous les systèmes d'internalisation des ordres hébergés par des grandes banques d'investissement ou des courtiers afin d'exploiter, à moindre coût, tous les flux d'ordres qui passent par leurs tables de négociation : on en compte plus de 200 aux États-Unis.
Les « crossing networks » sont des réseaux d'échange de titres mis en place entre institutions financières.A l'avenir, les transactions des particuliers pourraient aussi se déplacer en dehors des plates-formes traditionnelles.
MARCHÉ DE GRÉ À GRÉ
Le marché de gré à gré ou hors cote qualifie dans le monde financier — over-the-counter (OTC) en anglais — une transaction conclue directement entre le vendeur et l'acheteur. Il s'oppose à un marché organisé, dans lequel il faut verser une commission à la bourse concernée.
Un marché de gré à gré présente le double avantage d'être souple et de réduire les coûts des transactions, le cadre réglementaire est moins restrictif que dans un marché organisé.
Le fonctionnement du marché de gré à gré repose sur des accords passés directement entre les investisseurs. Ces accords échappent aux obligations standard du marché organisé. La liquidité des transactions n’est pas garantie par une chambre de compensation. Il représente plus de 40 % du marché.
PRODUITS DÉRIVÉS
Les produits dérivés sont des instruments financiers reposant sur des valeurs mobilières ou sur des indices de marché appelés “sous-jacents”. La valeur d’un produit dérivé dépend de celle de son sous-jacent au cours du temps. L’usage de ces produits permet aux investisseurs de se couvrir contre l’évolution défavorable d'un marché ou de spéculer en amplifiant la valorisation du sous-jacent grâce à l’effet de levier.
Le marché est divisé en 2 parties : d’un côté, le marché “cash” où les actifs se paient au comptant et de l’autre le marché dérivé où le règlement s’effectue à une date ultérieure (par exemple 3 mois).
Négocié sur des marchés de gré à gré ou sur des marchés organisés, un produit dérivé est un contrat liant deux parties qui s'accordent sur le prix d'un actif sous-jacent durant une période donnée. (forwards, futures, swaps, warrants et options...)
Il existe des produits dérivés représentatifs de toutes les classes d'actifs négociables au comptant : actions, taux, change, matières premières...
MARCHÉ OBLIGATAIRE
Le marché secondaire obligataire est quant à lui essentiellement un marché dominé par les transactions de gré à gré. Les intervenants, acheteurs ou vendeurs, interrogent plusieurs établissements « teneurs de marché » qui leur transmettent des prix à la vente ou à l’achat, à charge pour eux de choisir ensuite l’intermédiaire qui leur aura fait la meilleure offre.
MARCHÉ DES CHANGES
Dans le marché de gré à gré le plus important est celui des devises. Ce marché permet d'échanger une devise (unité monétaire) contre une autre. La majorité des transactions de change concernent des contrats de « forward », de « futures » ou de « swap ». Avec ces contrats, un volume défini de devises est livré à une date et à un moment précis. En 2013, 5 300 milliards de dollars s’y échangeaient chaque jour.
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Les marchés de gré à gré représentent plus de 5 fois la taille des marchés réglementés. (500 000 milliards d'Euros en 2013 selon la Banque de France). Les richesses échangés dans tous ces marchés de l'ombre illégaux représentent près de dix fois les chiffres des marchés officiels rapportés dans les médias. C'est près de 90 % des richesses qui échappe aux contrôle, disparaissant du monde visible, dit réel.
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L'INVENTION DE LA CRISE
Escroquerie sur un futur en perdition
Lukas Stella
http://inventin.lautre.net/linvecris.html#linventiondelacrise
Guerre ouverte
L’achèvement du capitalisme
Une mutation accélérée
Dettes publiques et profits privés
Les maîtres au-dessus des lois
Quand la finance condamne les politiques
Traficotages sans entraves des accapareurs
Le temps fait de l’argent, la dette de la monnaie
Instabilité de la captation des créations de richesses
La tyrannie économique
L’économie dépassée
Futur en faillite
L’escroquerie de la crise
Présages d’imposteurs
Guerre sociale et haute bourgeoisie
L’irruption des possibles
De la contagion à l’épidémie
Nous sommes le monde en devenir
Éditions L'Harmattan, 2012
ISBN : 978-2-296-56906-5