DES HUMAINS CONTRE DES MACHINES
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Face au rouleau-compresseur de la 5G et de son monde, des citoyen·nes se battent avec des bouts de ficelle, de la débrouillardise et de l’amitié pour tenter d’informer la population sur la réalité de ce grand programme industriel. Exemple dans les Hauts-de-France, avec des opposant·es qui s’organisent.
La France déploiera-t-elle la 5G sans discussion ni débat comme l’annonce le président Macron ? Des citoyen·nes ne l’entendent pas ainsi. Ils souhaitent organiser la réflexion, informer la population du modèle de société qui accompagne la 5G, et poser les questions sanitaires et environnementales qui vont avec. Bref, faire vivre, un minimum, le débat démocratique. J’ai ainsi été convié par divers collectifs d’opposant·es à sillonner les Hauts-de-France durant quatre jours, afin de participer à quatre réunions publiques. Mais visiblement, le simple fait de discuter de la 5G pose problème. Pour la première réunion que nous avons tenue le 8 octobre à Amiens, il a fallu faire appel aux copains du journal Fakir pour obtenir une salle. Le lendemain, à Leforest, le maire, ni vraiment pour ni vraiment contre la 5G, a accepté d’ouvrir une salle de la mairie pour que chacun·e puisse venir s’informer : c’est triste à dire, mais ce souci démocratique élémentaire semble plutôt rare. Ainsi, à Lille – dont la maire s’est pourtant prononcée en faveur d’un moratoire –, la municipalité n’a pas donné suite aux demandes des organisateurs, issus de plusieurs associations et collectifs (1). C’est donc la Maison régionale de l’environnement et des solidarités qui nous a accueillis dans le chef-lieu du Nord.
Le 11 octobre, enfin, la réunion publique sur la 5G devait avoir lieu à Condé, près de Valenciennes. Elle se tiendra finalement à Bellaing, petit village de 1200 âmes situé dans le même secteur. Pourquoi ce changement de dernière minute ? « La mairie de Condé nous avait au départ promis une salle pour 250 personnes. Puis la jauge est passée à 67. Ensuite on était limités à 30, et finalement à zéro ! », déplore Pierre Rose, du collectif Accad (Anti-compteurs communicants Artois Douaisis). Le Covid est parfois pratique pour les maires qui ne souhaitent pas se mouiller. « Le Covid aime le numérique », a d’ailleurs affirmé Emmanuel Macron (2). Et visiblement, l’inverse est aussi vrai.
UN CŒUR DE RÉSEAU BIEN HUMAIN
Si les quatre rendez-vous ont pu se tenir, même en des lieux différents de ceux initialement prévus, c’est donc grâce à l’obstination et la débrouillardise des organisateur·rices. Parmi eux, Pierre Rose est l’équivalent de ce que les informaticiens nomment un « cœur de réseau ». Sauf que celui-ci est bien humain : où que l’on soit, il a toujours une solution, toujours des copains et des copines militant·es pour nous héberger, toujours une lutte collective à raconter. Ce n’est pas possible de débattre de la 5G à Condé ? En trois coups de fil et grâce à une amie, une nouvelle commune nous a ouvert ses bras, et surtout sa salle polyvalente.
« J’étais professeur en mécanique, m’explique Pierre, tout en conduisant sa voiture pour passer d’une réunion à l’autre. J’ai pris ma retraite à 60 ans, j’avais déjà eu une belle vie, et j’ai décidé que j’allais consacrer les 40 années qui me restaient à les emmerder. » « Les », ce sont les industriels et les « responsables » politiques qui ne tiennent compte ni de l’écologie ni de l’humain pour mener leurs projets, avec l’argent pour unique horizon. Outre la 5G, l’un de ses combats actuels porte par exemple sur l’édification d’une ligne à très haute tension entre Lille et Arras. Des pylônes de 70 mètres de haut ont déjà été plantés, pour un coût de 280 millions d’euros. « Cette ligne doit transporter l’électricité de l’EPR de Flamanville, dont on ne sait même pas s’il fonctionnera un jour ! » Un investissement monstre doublé d’une atteinte certaine au paysage, le tout pour relier une centrale nucléaire qui ne fonctionne pas à… rien ! Il s’agace, et en oublie de regarder son compteur. Clac ! Pour quelques km/h en trop, il se fait flasher… Foutus radars ! Les robots n’ont pas de cœur. « Je suis bon pour 1 point en moins sur mon permis et 95 euros d’amende », calcule Pierre sans se démonter.
« ON FAIT DE LA POLITIQUE, DE LA VRAIE »
Lorsque nous arrivons à Bellaing, vers 9 heures, Michel Blaise est déjà en train de préparer la salle. Michel Blaise, c’est le maire de la commune, depuis 25 ans. Avant lui, c’était son père, durant 42 ans. « Ici, t’es dans une monarchie ! » se marre-t-il. Mais la configuration du château royal a de quoi rassurer les démocrates : le monarque bellaingeois n’y possède même pas un bureau. « On prend toutes nos décisions de façon collective, alors, quand on a refait la mairie, j’ai dit aux architectes que je ne voyais pas l’intérêt de me faire un bureau. » À Bellaing, le dossier 5G est on ne peut plus d’actualité. L’opérateur Bouygues a décidé d’y implanter une antenne de 30 mètres de haut. La municipalité n’en veut pas : le 2 octobre, elle a voté, à l’unanimité, une délibération pour refuser l’antenne. Elle fait valoir « l’effet négatif [qu’aurait l’antenne] sur les valeurs foncières, sur la préservation de l’environnement », signale que « la commune de Bellaing est couverte par la fibre », rappelle « le principe de précaution qui doit prévaloir en matière de santé publique », et « déplore les procédés mis en place par les opérateurs sans consultation préalable des élus et des citoyens des communes impactées ».
La délibération indique aussi que le Parc naturel régional Scarpe Escaut a émis un avis défavorable quant à cette installation, et que l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine du Nord considère le projet « trop impactant ». Mais Bouygues Télécom s’en fout. L’opérateur a déjà trouvé un accord avec le propriétaire d’un terrain pour installer son antenne. « J’ai reçu le propriétaire, rapporte Michel Blaise. Lui, ce qui l’intéresse, c’est qu’il va toucher 4 500 euros par an de la part de Bouygues. Si encore c’était quelqu’un dans le besoin, je pourrais comprendre, mais ce n’est pas le cas. On est dans une société de plus en plus individualiste, c’est de plus en plus difficile de créer du collectif, de faire en sorte que les gens se parlent et ne pensent pas qu’à leurs propres intérêts. Ces rencontres servent aussi à ça. Nous, les élus, on a beau prendre des délibérations, on ne pourra pas gagner si on n’a pas les habitants avec nous. Alors on fait de la politique, de la vraie. »
« MA SITUATION EST DRAMATIQUE »
Peu avant 10 heures, ce dimanche, les habitant·es, justement, commencent à arriver. Michel Blaise se charge de l’accueil. Tout se présente bien, sauf le micro, qui refuse de fonctionner. « Pas de problème, j’en ai un », réagit Pierre Rose. Avant de quitter son domicile pour ces quatre jours de vadrouille, un copain, encore un, lui a collé un peu de matos dans le coffre, dont un micro et un ampli, qui fonctionnent. Les soixante chaises installées à un mètre de distance les unes des autres sont toutes occupées. Pas mal, pour un dimanche matin, dans un village d’un bon millier d’habitant·es. Cette occasion de parler librement de la 5G est aussi celle, pour Julie (3), d’expliquer son cas à ses co-administré·es. Cette jeune mère de famille explique son électrohypersensibilité et les conséquences sur sa vie.
« Je travaillais dans une entreprise de dépannage auto qui se trouve à la sortie du village. Mais aujourd’hui, je ne peux plus aller y travailler en raison de mon électrohypersensibilité. J’ai acheté une maison que j’ai choisie justement parce qu’elle n’était pas trop exposée aux ondes. Mais elle se trouve à proximité de l’endroit où ils veulent implanter l’antenne. S’ils mettent leur antenne, je serai obligée de la revendre, de trouver un autre endroit pour vivre, mais où ? J’ai deux enfants, est-ce que je vais devoir les changer d’école ? Tout ça pour une antenne ? J’en suis là, ma situation est dramatique. »
Après deux bonnes heures d’échanges, il faut quitter la salle. Chacun repart avec, en tête, un aperçu du monde de la 5G, ainsi que la situation de Julie, voisine plus ou moins proche. C’est certain, du collectif a émergé de cette réunion. Michel Blaise et Pierre Rose, eux, se parlent déjà comme s’ils se connaissaient depuis 50 ans, et se demandent comment ils ont fait pour ne pas se croiser plus tôt. Et dire que certains se croient obligés d’inventer la « réalité virtuelle »…
Nicolas Bérard
https://lagedefaire-lejournal.fr/des-humains-contre-des-machines/
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1 – Collectif Accad, Calgea 62 Avion, Leforest Environnement, Stop Linky Lambersart, Stop Linky-5G pays de Condé.
2 – Dans son discours « aux acteurs de la french tech », le 14 septembre.
3 – Le prénom a été modifié.
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LE SABOTAGE, DE MOINS EN MOINS TABOU
De nombreuses antennes relais ont été vandalisées. Contrairement à ce qui a pu être affirmé au départ, ce n’est pas forcément le fait de «conspirationnistes», de «terroristes» ou de détraqués : certain·es assument et expliquent clairement leurs actes.
Une soixantaine d’antennes relais auraient été dégradées en France depuis le début de l’année. Dans les médias, les suspects ont très vite été assimilés à des «complotistes» adhérant aux théories selon lesquelles la 5G serait responsable de l’épidémie de Covid-19. Faut-il y voir une réalité, ou une façon de décrédibiliser un mouvement de désobéissance argumenté, et n’ayant plus que ce moyen radical pour se faire entendre ?
Suite à des incendies d’antennes en Isère, une revendication a été publiée sur internet. Loin d’un discours complotiste, le texte, signé «des chauves-souris transmettant le feu», explique notamment que les «antennes-relais figurent parmi tous les intrus qui défigurent les paysages. Elles servent à la communication de masse, bientôt jusque dans les endroits les plus reculés. Actuellement les installations de la 5G sont déployées dans ce but. Nous ne voulons pas d’un monde où la garantie de pouvoir communiquer à distance sans cesse et partout, s’échange contre le fait de pouvoir être surveillés et contrôlées constamment».
DES ACTIONS MILITANTES
À Nice, l’incendiaire d’une antenne 5G s’est fait pincer par les gendarmes immédiatement après son action. Et pour cause : ce relais, très contesté par les riverain·es, avait déjà subi plusieurs dégradations et faisait donc l’objet d’une surveillance particulière.
Titulaire d’une licence de droit et management, le jeune homme a expliqué au journal Nice Matin avoir travaillé deux ans dans la téléphonie et avoir ainsi eu «accès à de la documentation professionnelle» l’ayant alerté sur les dangers sanitaires de la 5G. Il parle ensuite, entre autres, des conséquences environnementales désastreuses du renouvellement des smartphones et des enfants exploités en République démocratique du Congo dans les mines de cobalt – minerai qui entre dans la composition des portables.
https://refuser-compteur-linky.fr/les-cobayes-de-la-5g/
«Les arguments qu’il m’a exposés sont très percutants, estime son avocat Jean-Pascal Padovani. Il assume son geste, car il ne mettait en danger ni des biens privés, ni la sécurité d’individus. Il explique qu’il n’y a que comme ça que la 5G pourrait reculer, ou du moins prêter à réflexion. Il ne se renie pas du tout. Pour moi, ce sont des actions militantes, qui ne sont pas néfastes pour le fonctionnement de la société, qui ne sont pas dangereuses pour la sécurité des gens et qui peuvent interpeller l’opinion publique.»
BIENTÔT LES FAUCHEURS D’ANTENNES ?
Élue (EELV) à la mairie de Nice, Sylvie Bonaldi n’en a pas moins ramassé une volée de bois vert après avoir affirmé qu’elle «approuvait» ce sabotage. À tel point qu’elle a dû légèrement rétropédaler : «Le terme exact qui ne m’est pas venu sur le moment est “je comprends”.»
«Quand vous faites partie de ceux qui, comme moi, pensent que la 4G est déjà dangereuse pour la santé, que la 5G va aggraver le problème, qu’on nous impose ces antennes sans réelles études environnementales et sanitaires, et sans consulter la population, oui, je comprends que le seul moyen de l’empêcher passe par ce genre d’actes. Pour moi, c’est un acte de désobéissance civile, et ça ne touche que du matériel», précise-t-elle aujourd’hui.
«L’idée du sabotage renaît, à mesure que la rage à l’égard de l’obstination destructrice du capitalisme grandit, observe le journaliste Hervé Kempf dans son dernier ouvrage. Dégonfler les pneus des SUV, obscurcir les flashcodes des trottinettes électriques, éteindre les lumières des magasins illuminés sans raison, poser des autocollants sur des caméras de surveillance, détruire des antennes 5G – les actions, disparates, se multiplient. »
Me Padovani, lui aussi, voit dans ce sabotage un acte militant : «Je vous le dis, je n’ai jamais voté à gauche. Mais regardez José Bové : ce mec-là nous a ouvert les yeux sur la malbouffe et les OGM. Ce n’est pas un voyou ! Quand les pouvoirs publics sont sourds, que vous ne pouvez rien faire, avec ce genre d’actes, vous commencez à avoir certains résultats.»
Conclusion du jeune incendiaire niçois, dans les colonnes de Nice Matin : «Je ne suis pas fier de ce geste. Mais c’est bien, même si c’est un petit pas.»
Nicolas Bérard
https://refuser-compteur-linky.fr/le-sabotage-de-moins-en-moins-tabou/