CHANT MORTUAIRE POUR LES VILLES D'AUJOURD'HUI ET FRAGMENTS D'EXPLOSION POUR LES CITES NOUVELLES
Il y a un demi-siècle sortait à Saint-Étienne une brochure sur l'urbanisme et les loisirs.
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"La communauté apparente, que les individus avaient jusqu'alors constituée, prit toujours une existence indépendante vis-à-vis d'eux, et, en même temps, du fait qu'elle représentait l'union d'une classe face à une autre, elle représentait non seulement une communauté tout h fait illusoire pour la classe dominée, mais aussi une nouvelle chaîne. Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément à leur association, grâce à cette association, et en elle"
(Karl MARX, l'Idéologie Allemande)
HABITATION ET SOCIÉTÉ
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Lorsque l'homme est réduit à l'état de machine à produire et à consommer, la ville ne peut être rien d'autre qu'une machine à habiter.
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Toute ville est l'image de la société dans laquelle elle s'insère.
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Dans la société capitaliste ancienne, où la bourgeoisie s'enrichissait en entretenant au moindre coût un véritable "bétail" ouvrier, la ville se caractérisait par l'opposition simple entre un quartier résidentiel bourgeois, généralement situé autour des bâtiments administratifs, bancaires, et culturels, et un quartier périphérique de stockage de la main d'œuvre ouvrière, à proximité des usines.
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A de nouveaux rapports de production correspondent de nouveaux rapports sociaux - et à de nouveaux rapports sociaux correspond un nouvel habitat : cependant, comme les structures d'habitation sont, par leur nature même, des structures figées, il coexiste en général à l'intérieur des villes, des structures anciennes et des structures nouvelles d'habitation.
La société capitaliste moderne, eh étendant sa domination sur tous les aspects de l'existence humaine, a prolétarisé les plus glandes couches de la population, qui sont maintenant privées de tout pouvoir réel sur leur vie. Elle a en même temps fabriqué le nouveau décor de sa domination : les grands ensembles".
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La ville moderne se caractérise par l'implantation - d'une part, de zones industrielles, délimitant le champ clos où s'exerce l'esclavage du travail - et d'autre part, de zones d'habitation, véritables forteresses de l'ennui, dans lesquelles se distille la misère de la non-vie quotidienne.
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L'époque actuelle, depuis la fin de la Deuxième Guerre Impérialiste Mondiale, est la phase durant laquelle le Capital joue sa dernière chance, qui est de tout asservir au pouvoir de la Marchandise : transformer le monde en une gigantesque machine électronique à fabriquer du Profit, dont chaque homme ne sera plus qu'un élément transistorisé parfaitement réglable à son poste déterminé, tout en donnant à ces hommes la suprême illusion d'être enfin "libres"'.... Dans un tel monde, évidemment, la séparation des hommes entre eux atteint peu à peu le point limite où il devient quasiment impossible d’exprimer la seule idée d'une communauté réelle (au sens où, par exemple, l'imagina Fourier), et où la simple conscience de cette idée est déjà une contravention subversive à l'ordre établi.
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Le "grand ensemble" est un des hauts lieux du mensonge capitaliste moderne : se présentant comme apparence de communauté, il n'est en fait que la "nouvelle chaine" qui ligote les habitants dans l'organisation collective de l'ISOLEMENT.
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Au fur et à mesure que, par une augmentation quantitative de la survie, le prolétariat se trouvait peu à peu autorisé à accéder à l'autel de la "consommation", l'ensemble de la population est tombée sous la domination de plus en plus totalitaire du monde de la Marchandise, par une réduction qualitative du peu de vie autonome qui lui restait.
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Les architectes et les urbanistes se sont chargés d'uniformiser le cadre spatial de la vie, de la même façon que la vie se trouvait elle-même en voie d'uniformisation dans la grisaille d'un présent sans passion.
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Le "grand ensemble" reflète assez fidèlement dans sa structure l'organisation globale du "Bien-Être" moderne : la suppression radicale de toute possibilité de réalisation humaine de la liberté. Parallèlement à la zone industrielle, où rien n'existe en dehors de l'esclavage salarié, la zone d'habitation est en effet le terrain privilégié sur lequel s'exerce la toute-puissance de la Marchandise, et son Ennui. La théorie dite du "magnet-system" explique fort bien cette situation de l'immeuble moderne dans le circuit de l'échange : selon cette théorie, ces immeubles ne trouvent leur raison d'être que par rapport au Centre Commercial, qui doit devenir le pôle d'attraction du quartier. Les gens ne sont plus que des épingles que l'on a disposées autour d'un aimant central : le Centre Commercial. Dans les villages de la société aristocratique, ce rôle était tenu par la maison où l'on prête serment d'esclavage : l'église, remplacée maintenant par l'établissement où l'on réalise pratiquement un esclavage quotidien : les grandes surfaces de distribution.
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Déjà s'annoncent ici et là les formes d'organisation de la Société Cybernétique, que mettent au point les technocrates du Zéro Absolu, où la domination totale de la Marchandise réduirait l'homme au seul squelette de son rôle social : la structure du "grand ensemble" rend peu à peu inutile un certain type de publicité commerciale, car le nouvel urbanisme devient à lui seul la seule forme de publicité, non plus pour un produit particulier, mais pour l'ensemble du comportement. Ainsi, par exemple, le supermarché Mammouth de St-Brieuc a-t-il eu l'idée superbe de fournir chaque jour un menu-type pour ménagères-types, fonction de leur revenu et de leur situation familiale !
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Contradictoirement, alors même que la société marchande est en passe de supprimer sur la planète toute vie réellement humaine, se développent en son sein les forces susceptibles, en la renversant, d'inaugurer une époque nouvelle, où la réalisation du présent dans une vie totalement libérée de toutes les contraintes sera la raison d'être de l'humanité. Ainsi l'organisation collective de l'isolement mise au point par l'urbanisme policier, si elle est bien le stade
suprême de sa réussite dans le domaine de l'avilissement, est aussi la signature de son échec : à ce point, en effet, le manque à vivre ressenti par la population ne peut plus se formuler en revendications partielles, mais s'exprime déjà, plus ou moins consciemment, en termes de RÉVOLUTION DE TOUTE LA VIE - (ce qu'on a vu en Mai 68 dans des inscriptions comme : "On vit comme des cons", et ce qui est la motivation principale de ce que les flics de toutes sortes appellent les "bandes pathologiques de jeunes").
APPARENCE DE L'HABITAT DANS L'HABILLEMENT DE L'APPARENCE
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"Toute la planification urbaine se comprend seulement comme champ de la publicité-propagande d'une société, c'est-à-dire l'organisation de la participation dans quelque chose où il est impossible de participer" (Programme élémentaire du Bureau d'Urbanisme Unitaire, Internationale Situationniste n° 6).
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Nous appelons sol humain l'espace théorique où sont possibles toutes les directions de rencontre entre les hommes : c'est l'ensemble réel des possibles de réalisation de la vie de chaque homme par rapport à l'ensemble de tous les autres hommes. Nous l'appelons "théorique" parce que, justement, la société répressive intervient dans cet espace pour délimiter sur le sol des parcours uni-directionnels et obligatoires, excluant toute possibilité de rencontre vraiment humaine. Déjà, cependant, certaines pratiques isolées, qui sont à généraliser, créent de nouvelles possibilités de rencontres.
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La technique de l'urbanisme n'est rien d'autre que le mode d'orientation des chemins tracés dans l'espace en fonction des rapports sociaux dominants.
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L'urbanisme est l'idéologie qui enrobe cette technique.
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L'architecture oriente l'espace humain selon des directions uniques : de la composition géométrique des vecteurs sol-sol (niveau de l'appartement ; niveau de la circulation urbaine ; etc. . .) et des vecteurs sol-air (distribution verticale des alvéoles familiales) résulte l'ensemble des axes qui réglementent la circulation des hommes, et qui a pour effet :
1) de limiter chaque individu dans un comportement strictement déterminé par la non-possibilité de faire des gestes autres que ceux autorisés par le tracé du parcours,
2) de pétrifier dans le décor même de la survie cette réalité de base de la société marchande : la séparation des hommes entre eux.
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La combinaison horizontale des vecteurs sol-sol organise la circulation parallèle des individus, dans un mouvement collectif où les hommes se croisent sans jamais se rencontrer, où chacun est contraint de suivre des parcours déterminés et, en outre, d'adapter tous ses gestes au tracé de ces parcours (le trajet de l'habitation au lieu de travail, par exemple, est si bien délimité que les Assurances-Autos ne remboursent pas un accident survenu pour se rendre au boulot en dehors de ce trajet ; le trottoir, le métro, le tramway, l'autobus, même bondés de foule, sont des lieux d'impossibilité de rencontre ; etc...).
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Conjugués aux vecteurs sol-sol, les vecteurs sol-air distribuent les différents niveaux de solitudes, par des paliers de divergence : on pourrait penser, en effet, que les parcours parallèles qui engendrent l'impossibilité de la rencontre des individus circulant dans la ville ou sur un niveau quelconque d'architecture, pourraient néanmoins être rompus aux point inévitables de rassemblement - ce serait compter sans la distribution verticale des différents paliers, qui imposent aux hommes la nécessité de se trouver dos-à-dos, et non pas face-à-face.
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La planification urbaine, en fabriquant le cadre spatial général destiné à orienter le comportement des habitants, n'a plus besoin des formes extérieures de la publicité : l'architecture transmet d'elle-même les images-guides et les conduites-modèles de la société.
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L'appartement, c'est la délimitation de l'espace de production et de reproduction de la cellule familiale. La disposition des appartements-type pour familles-type dans les grands ensembles, réalise l'uniformisation des familles en tant que centres de gestation de la servilité. Qu'il nous suffise, pour illustrer ce thème, de rappeler que, dans leur jargon technique, les architectes parlent eux-mêmes, pour désigner les différentes subdivisions des immeubles modernes, de "cages", de ''niveaux", et de "cellules" (où l'on voit la parenté réelle entre un HLM et une prison...)
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L'appartement écrit dans l'espace l'aliénation engendrée par la famille : les rapports d'autorité, la spécialisation des activités, la division du travail et la division sexuelle (cf. F.R. n°1). Les cloisons de l'appartement sont la meilleure des sauvegardes de la misère sexuelle perpétuée par la structure familiale : elles interdisent au "couple" toute vie sexuelle en dehors des rapports étriqués de la conjugalité, et elles empêchent aux enfants d'avoir chez eux quelque activité sexuelle que ce soit (cf. Fig. 3)
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Toutes les propositions du Spectacle social présentent une inversion systématique de la réalité, au point où la plus gronde misère devient le signe de la plus grande richesse. De même, la concentration urbaine répand-elle l'illusion de la communauté, au moment même où elle atteint le sommet de l'isolement total de chacun.
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La circulation, depuis le trajet à l'intérieur de l'appartement jusqu'aux trajets urbains, imprime à choque individu un mouvement permanent le long des parcours planifiés, de sorte que toute relation humaine devienne impossible, grâce à l'action conjuguée :
a) de la pétrification du cadre spatial dans lequel se font ces pseudo-rencontres : usine, commerce, famille, ciné, etc...
b) de l'intervalle temporel qui les enclos forcément : puisque "le temps c'est de l'argent",
"on n'a plus le temps de vivre"'...
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L'architecture policière ne se contente pas de tuer le vie humaine, elle tend aussi, dans son modelage impitoyable de tout l’environnement, à détruire toute vie sur la planète, selon le principe : à profit maximal, pollution maximale. La pollution de toute la vie est la loi du système marchand.
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La circulation des individus, qui se fait selon le même schéma triangulaire que la circulation des marchandises (production, distribution, consommation = usine, centre commercial, appartement), est l’organisation dynamique des solitudes dans le cadre statique du spectacle urbain.
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Il faut ajouter aux trois fonctions travail-habitation- consommation, un nouveau pôle d’attraction : les centres de "divertissement". Le cadre d’habitation ne permettant en effet aucun outre moyen d’ameublement des temps appelés "libres", que la contemplation d’un écran de télévision, il a fallu créer des décors spéciaux à une occupation des "loisirs" : ce sont les endroits destinés à tuer le temps laissé disponible par les autres fonctions (MJC, cinés, bistrots, etc...)
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Le poste de Télévision est devenu l'élément essentiel de la "salle de séjour" : il sert à la fois à créer l'illusion d'une communication sur l'extérieur, rendus impossible par la structure linéaire des immeubles et par l’étalement des paliers selon des axes verticaux ou horizontaux (ainsi que, dans d'autres types de construction, par la juxtaposition alvéolaire des maisons "individuelles", soigneusement séparées en espaces "privés", ouverts seulement sur l'artère de circulation routière) - et à favoriser l'illusion de "communauté familiale", alors que la famille est essentiellement le lieu privilégié de la Spécialisation et de l'isolement. Il fout noter aussi que, dons certains anciens quartiers prolétariens méditerranéens, où le climat et un certain style de vie permettaient à la rue de se maintenir quelque peu comme lieu de rencontre et comme moyen de diffusion d'une forme de "culture" populaire, l'introduction de la télévision, notamment grâce aux mécanismes d'achat à crédit, a achevé d’anonymiser la rue, de lui enlever son dernier souffle de vie, en obligeant les gens à rentrer dans leurs "foyers" à l'heure où, jadis, ils descendaient dons la rue.
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L'aménagement du territoire planifie à l'échelle nationale, voire internationale, l’installation du décor de la non-vie.
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"L'opposition entre la ville et la campagne ne peut exister que dans le cadre de la propriété privée". (Karl Marx, l'Idéologie Allemande).
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Le nouvel aménagement du nouvel espace se présente aussi comme thérapeutique : l'habitat ne doit plus seulement permettre de refaire les forces physiques du travailleur, il doit aussi porter remède aux manques de vie ressentis par celui-ci : "L'implantation des habitations doit concourir elle-même 6 l'effet moral recherché" (R. Auzelle, Techniques de l'Urbanisme, PUF 1953). Les règles de prospect (ensoleillement des appartements), l'intercalage d'espaces verts, l'esthétique, la paysagistique, l'implantation de "réserves de nature", sont destinées à produire un effet psychique de reposement sur l'habitant. Pour combler le vide de vie qu'il produit, le système sécrète des baumes tranquillisants.
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Pour tenter de réduire l'opposition villes-campagne, l'urbaniste fabrique de pseudo-campagnes à l'intérieur des villes, allant même jusqu'à réaliser la boutade d'Alphonse Allais : "Installer les villes à la campagne ".
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L'espace vert est, au même titre que la caféine, un stimulant psychique, un facteur de régénération de l'instinct de conservation.
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La société spectaculaire-marchande a donc dû, en même temps qu'elle orchestrait le spectacle de la non-vie, installer le décor de ce spectacle, grâce à la technique de l'urbanisme.
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Le décor du spectacle délimite l'espace-temps dans lequel se circonscrivent tous les rôles.
PRATIQUE SOCIALE D'UNE RÉVOLUTION DE L'URBANISME
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L'urbanisme marchand est le mensonge idéologique de l'architecture policière.
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La révolution de l'urbanisme construit le JEU d'une nouvelle vie sociale ; elle inverse l'orientation de tous les vecteurs qui organisent l'isolement : de divergents, ceux-ci deviennent convergents, de façon à permettre toutes les combinaisons possibles de rencontres.
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Non seulement la révolution de l'urbanisme imagine-t-elle les formes de conditionnement d'un libre développement de la créativité constructive du cadre de vie, mais encore, consciente du fait que les structures architecturales actuelles sont destinées, quoi qu'il arrive, à rester en place un certain temps, même après l'insurrection révolutionnaire, elle doit permettre dès maintenant de définir une utilisation ludique de ces cadres figés.
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La révolution de l'urbanisme commence par dénoncer, pratiquement et théoriquement, la manipulation de la vie exercée par l’architecture des villes modernes. Sa première tâche est de donner au plus grand nombre possible de gens les moyens de connaître la situation qui les emprisonne, et de cesser de suivre les conduites-modèles et les images-guides propagées par l'environnement.
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Créer 6 l'intérieur de l'espace des parcours de circulations (organisation de l'isolement) des parcours parallèles (organisation de la rencontre), lesquels, forcément, ne pourront pas être décelés par le système, puisque superposant à son cadre géographique une réalité extérieure à lui.
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Les "grands ensembles1', dans leur vaste entreprise de concassage de la vie, ont secrété d'eux-mêmes les virus qui les minent.
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Ces nouvelles zones d'habitation sont surtout peuplées de jeunes de moins de 15 ans et de jeunes ménages, avec un très faible pourcentage de "teenagers" et de vieillards. D'où l'impossibilité d‘ "encadrer" les enfants. En outre, les espaces dits libres sont de taille gigantesque, au contraire des cours d'immeubles et des petits squares qui, dans les quartiers anciens, rassemblent des groupes de jeunes où le petit nombre, l'échelle des âges et la surveillance possible, imposent une reproduction de l'ordre hiérarchique (spécialisation, autorité du "chef", etc.) D'où, dans les grands ensembles, la création de bandes d'un nombre important de gosses, moins contraignantes, et où disparait le sens bourgeois de la "responsabilité". Ainsi l'architecture moderne a-t- elle donné naissance au phénomène étudié par les psycho-flics sous le générique de "bande, pathologiques de jeunes".
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Ces bondes de gosses, livrées à elles-mêmes, sans "encadrement", se trouvent dans la nécessité de se fabriquer, la plupart du temps contre les entraves posées par l'architecture et l'ordre établi, leur propre terrain de [eu, violant ainsi le facto des limites obligatoires du comportement. Déjà, ces tous jeunes pionniers des temps modernes ont construit sur les terrains vagues, dans les sous-sols, les hangars, bref dans tous les endroits encore vides d'occupation, l'embryon d'un nouveau style de vie, qu'il s'agit de développer clandestinement pour préparer le moment où il sera capable d'envahir tout l'espace. Bien entendu, il pavait superflu d'ajouter que c'est justement cette possibilité de subversion positive de la vie que les flics de la pensée ont cataloguée dans la catégorie policière de la "délinquance juvénile".
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"L'ennui est l'ennemi n° 1 des Grands Ensembles", constate avec effroi l'urbaniste humaniste Chombart de Lauwe, incapable de voir que, nécessairement, le système accorde toujours l'exact contraire de ce qu'il promet. Voulant Instituer un bien-être de l'ennui, il ne fait que susciter un ennui intolérable du bien-être : la révolution de l'urbanisme a pour tâche de développer la conscience de cet ennui, de façon qu'il trouve dans le refus organisé une autre issue que le suicide ou la névrose.
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Établir sur place des ' bases" clandestines, sortes de points zéro du conditionnement marchand, où des créateurs fabriqueront le conditionnement d'une vie authentique.
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Développer ces "bases" jusqu'à la création de cités parallèles, élaboration d'un double pouvoir, prêtes à faire éclater au moment opportun les structures urbaines orientées.
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Des situations intéressantes, propres à placer les gens dans une désorientation propice à une prise de conscience, pourront être fabriquées en rompant, par divers moyens qui sont à imaginer, une ou plusieurs lignes de circulation (nous n'entendons pas par là un sabotage des moyens de transport, relativement sans intérêt, mais la coupure momentanée, ou définitive, d'un vecteur sol-sol ou sol-air en un point donné, offrant soudain au gens présents un éventail de possibles nouveaux).
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Introduire chez l'ennemi des JEUX élaborés in situ (voire des jeux sexuels, puisque l'habitation est aussi le temple de la désexualisation), aptes à engendrer des situations à l'intérieur desquelles pourront être libérées des tendances favorables à la destruction de certains vecteurs.
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"La suppression de l'économie séparée est inséparable, cela va de soi, de l'abolition de la famille" (Karl MARX, l'Idéologie Allemande).
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Dénoncer la pratique anti-révolutionnaire des groupes néo-staliniens (en particulier de certains prétendus "spontanéistes") qui n'ont pour but que de renverser le mensonge idéologique de l'urbanisme actuel, pour en plaquer un autre à sa place, tout en laissant intacte la structure d'aliénation.
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Dénoncer tous les réformistes de l'urbanisme, qui entendent inventer les plans des villes d'une société sans classes, alors qu'il est bien évident que ces villes nouvelles se construiront dans la pratique et le jeu révolutionnaires.
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Pratiquer la stratégie d'infiltration chez l'ennemi, en introduisant partout où c'est possible, des germes de fête à l'intérieur des remparts de l'ennui.
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Cependant il serait stupide, au nom d'on ne sait quel "spontanéisme" fumeux qui n'existe que dans les têtes poussiéreuses de reptiles étudiants en mal d'idéologie, de s'abstenir d imaginer dès à présent quelques visages possibles de la construction de l'environnement d'une vie authentiquement vécue ; par l'enthousiasme qu'ils pourront susciter, et par les désirs nouveaux qu'ils seront susceptibles d'éveiller, ceux-ci seront déjà quelques pavés lancés dans la façade d'Ennui du Vieux Monde.
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Tout de suite, nous pouvons lancer quelques hypothèses pour la construction révolutionnaire des villes à-venir :
a) fusion de la ville et de la campagne, où l'habitation cessera d'être une "zone", pour se mouler dans un environnement naturel et humain.
b) abolition de la division du travail et de l'habitat : tout homme pourra se réaliser comme architecte, maçon, et habitant.
c) droit illimité pour tout individu, tout groupe d'individus, de construire à sa guise et selon son imagination le cadre où il entend vivre, seul ou en communauté : l'urbanisme disparait, ou profit d'un universel JEU DE CONSTRUCTION (dont les éléments techniques de base, utilisant des matériaux modernes, comme par exemple les alliages légers et les polystyrènes, seront 6 inventer).
d) la ville ne sert pas 6 habiter mais à vivre : d'où la nécessité d'une infinie variété de constructions, de salles, de bâtiments (en fonction des affinités qui auront rassemblé un certain nombre d'individus, ceux-ci fabriqueront le cadre propre à satisfaire leurs désirs au maximum des possibilités).
e) la cité n'aura pas seulement des lieux privilégiés de rencontre, en fonction par exemple d'une "série" fouriériste, mais sera dans sa totalité l'ensemble de tous les possibles de la rencontre.
f) aujourd'hui, on construit les maisons en face de soi, et on y fourre des habitants dedans : demain, ce seront les "habitants" qui construiront autour d'eux l'espace où ils vivront.
g) il y a tout à parier que le "CUBE" sera rangé dans les musées de la préhistoire, vérifiant cette opinion déjà fort répandue que : "il y en a marre de vivre dans les cubes !"
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Quelques géniales que soient les "utopies” qu'on présente comme réalisables, il serait vain de se priver justement des moyens de les réaliser. Là encore, face au totalitarisme de l'oppression, c'est la totalité qui est aussi le jugement de l'organisation révolutionnaire. Nul doute que les staliniens, après avoir qualifié les revendications en matière de sexualité de "réactionnaires", "appartenant à l'arsenal idéologique de la bourgeoisie"
(Dr Bernard Muldworf, Humanité des 18 et 25 sept, 1970) ne s'en prennent aussi à la lutte contre l'urbanisme policier : il est en effet essentiel pour eux que la misère de la vie reste ce qu'elle est. Pour nous comme pour tous les révolutionnaires du temps présent, la révolution de l'urbanisme ne peut se concevoir que comme un moment du développement de la Révolution de la vie quotidienne Et il n'y aura que les crottes ultra-gauchistes, gauchistes, pseudo-conseillistes, voire "anarchistes", pour ne pas comprendre - et ne pas le comprendre aussi bien dans la théorie que dans la pratique - que la réalisation du Pouvoir International des Conseils Ouvriers inclut aussi le jeu fouriériste de construction des cités nouvelles.
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"La Révolution Prolétarienne sera une Fête, ou ne sera pas"... Or il n'existe pas de Fête sans création de l'espace où se déroule son carnaval de Jeux. On ne crée pas le terrain pour la Fête, avant ou après la Fête : c'est la Fête elle-même qui se construit, dans le jeu révolutionnaire, son propre terrain. C'est pourquoi nous devons dénoncer tout de suite les révolutionnaire, qui ne verraient dans la révolution de l'urbanisme qu'un changement "futur", à faire après la "révolution" ( de même qu'on parle de "révolution" de palais, il faut changer les meubles du palais pour le nouveau monarque !). Bien au contraire, c'est la Révolution Prolétarienne elle-même qui s'attaquera en actes à l'urbanisme policier, et construira le cadre vivant de son explosion libératrice.
LE VIDE ET SON COSTUME D'APPARAT
Le spectacle décide d'accorder dans une vie dominée par un temps artificiellement périodique, des séquences corrigées, mensongères, qualifiées de "moments de plaisir". Cette fausse identification au plaisir que sont les loisirs, les vacances, les temps libres, produits directs du spectacle social, vise à combler imaginairement le manque à vivre ressenti par chacun.
La création des loisirs s'apparente à des nouvelles propositions faites aux hommes par le spectacle, propositions qui favorisent l'extension des temps pseudo RÉCRÉATIFS et celle des temps réels de DIVERTISSEMENT (la re-créatîon s'opposant au divertissement, le geste créatif de chacun étant habilement interrompu par la diversion volontaire de l'édifice spectaculaire). Les loisirs favorisent, dans le cadre du meilleur développement de la production, le glissement lent, contrôlé et obligatoirement interrompu à un moment donné du travail vers l'inactivité. Cette inactivité, ces moments de non travail sont dans leur opposition spectaculaire au travail aliéné, l’autre pôle de son aliénation. Ils sont aussi le complément nécessaire à un rendement accentué. Ils ont été créés par et pour le travail-consommation et c'est par et pour le travail-consommation qu'ils prennent l'ampleur que le spectacle a sagement calculé préalablement. La reconnaissance de leur utilité est désormais acquise. Leur utilité pour un meilleur développement de la production capitaliste doit être reconnu plus amplement.
Les vacances sont bien plutôt une "vacance de travail". Ainsi qu'on nomme vacance de pouvoir, le pouvoir provisoirement inoccupé, on peut parler de "vacance de travail", le travail temporairement inoccupé. Il n'y a vacance de pouvoir qu'entre deux, gouvernements, de même n'y aura-t'il "vacance de travail" qu'entre deux périodes de labeur.
Le rôle des loisirs est de cacher sous une parure d'insouciance et de désinvolture la pauvreté exaspérante de la vie et des gestes quotidiens. Depuis peu, insouciant et désinvolte, l'homme des loisirs ne se reconnaît plus Il est subitement invité à venir consommer les divertissements, ces temps de pose, soucieux d'apparaitre comme des images inversées du travail, reconnu alors comme quelque peu contraignant. L'homme "nouveau" que les loisirs créent, étranger tout b coup b la production, reste cependant secrètement dépendant de celle qui a découvert dans les loisirs un facteur capital à son nouvel essor.
Les loisirs spéculent sur les rêves des hommes. L'éloge de l'évasion qu'ils offrent abondamment (n'exigeons pour preuve que les seules publicité touristiques) sont un nouvel aveu des contradictions d'un ordre dominant qui reconnaît lui-même l'ennui qu'il sécrète. L'interminable et triste monologue dans lequel le spectacle s'est engagé tout entier, son auto-portrait qu'il retouche continuellement ajoutent au désarroi des hommes soumis au contemplation forcée et à l'attente LABORIEUSE des vacances et des temps de loisirs. Ces séquences de "joie et de détente", arbitrairement intercalées dans le processus productif émettent la sotte et illusoire prétention de changer ce qui par ailleurs correspond d'emblée à ce qu'elle représentent : "une société où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui".
Dès lors, les loisirs en tant que nouvelles marchandises consommables distribuées sur un marché qui se développe, enterrent les désirs réels des hommes, devenus spectateurs, en leur octroyant les dérisoires images de la banalité monnayable. Aussi divers qu'ils paraissent ces CLICHES sont tous les agents propagandistes de l'ennui. Ils sont en fait les NÉGATIFS hypnotiques qui tendent ô faire valoir comme nul le vol effectué par le travail aliéné sur la vie des hommes et son achèvement dans les loisirs.
Les loisirs identifiables aux autres marchandises sélectionnées par le pouvoir, sont délivrés pareillement avec un label de garantie. Garantie de substituer à la vraie fête à laquelle chacun aspire, le squelette minable d'une inactivité exténuante, puisque passive et incapable de réaliser autre chose qu'une accumulation de moments qualifiés, par une manie véritablement maladive de l'inversion de "temps libres" alors qu'ils ne sont rien d'autre que des "temps morts", facture d’usure progressive de la vie.
A travers les loisirs, les articles vulgarisés des pseudo-fêtes concurrentielles, vedettes d'un moment, dénoncent, à chacune de leur apparition, le mensonge des précédentes qui en est même temps le leur, en se posant à nouveau comme les seules capables de réaliser les désirs des hommes.
Son incapacité à interrompre ses propres louanges oratoires, son indulgence pour lui-même, son auto adulation, interdisent tout naturellement au spectacle, la reconnaissance de telles contradictions et bien sûr les moyens de les éviter.
La domination du système spectaculaire sur la vie ajoute au rachitisme d'un présent à vivre et jamais vécu. Le caractère prestigieux du loisir, la privation aidant, excite à sa consommation et appelle à l'accomplissement "heureux" des rêves de l'homme. Vécu, le loisir, malgré sa glorieuse panoplie, révèle son vide authentique. La déception qu'il annonce, bien que réelle, se dissipera bientôt dans la consommation des souvenirs, généralement très séduisants, trop, pour ne pas être compris comme les compensations malheureuses à des moments, au demeurant forts banals.
De même, les souvenirs futurs des loisirs s'imposent le plus souvent comme immédiatement consommables dans les loisirs présents. Ils sont les "prêts à porter" adoptés avant même l'essayage. La réussite première des loisirs serait de faire oublier au consommateur l'expropriation permanente de sa vie et de son temps, opérée par le spectacle.
L'attente passionnelle des loisirs, la dévotion qu'ils inspirent, sont dues à leur caractère fétiche complexe et à leur caractère énigmatique. Ces marchandises utiles, ces marchandises de valeur ont acquis assez d'étendue et d'importance pour que leur production se fasse en vue de l'échange. Les échangistes du monde marchand ont trouvé là un terrain aux ressources inestimables, puisque les échanges effectués se déplacent du commerce proprement dit à celui de la vie les hommes. La propension à consommer la marchandise-loisir prend pour point de départ le désir inconscient ou non d'un changement effectif des conditions de vie, et le conduit vers sa réification instantanée.
Les images-propagande que le spectacle diffuse d'autorité dans les loisirs, comme images d'une vie nouvelle, aboutissent "nécessairement" vers le décor de "dépaysement" (Club Méditerranée), fallacieux équipement du territoire, toujours privé, du système spectaculaire. Utilisant les techniques modernes de dissuasion, il continue sa longue marche vers l'asphyxie totale de l'humanité, dans laquelle il découvre, momentanément encore, la source de bénéfices importants et immédiats.
Son inclination malheureuse à fonder dans les loisirs la communication entre les hommes, révèle plus que sa méconnaissance des luttes de classe mais sa naïveté extrême à concevoir ce qui ne lui appartient pas : le projet d'un dialogue constant et réel des hommes.
Les "foules solitaires" des plages, les "agglomérats de solitudes" des villes, sont les seuls et misérables aspects sur lesquels il peut compter pour réaliser sa "communication".
Le caractère faussement ludique des temps de loisirs, leur saveur toujours décevante, leur niaise prétention à établir la communication entre les hommes, incitent à leur sabotage. Sabotage qui s'inscrit dans le programme nouveau d'un dépassement réel du travail aliéné pour l'activité productrice et créatrice d'une société gérée par les Conseils Ouvriers qui ne sera alors que faire des temps de loisir, ces "lambeaux de liberté" trop démonstratifs pour n'être pas mensonge, trop parcellaire pour n'être pas illusion, trop vides pour ne pas être les produits caractéristiques d'un pouvoir qui est celui de la dépossession généralisée.
Dernier trimestre 1970
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Les analyses critiques publiées dans ce numéro 2 de la Fête révolutionnaire , ayant trait à l'Urbanisme et aux Loisirs, ont été réalisées, comme celle sur la Sexualité parue dans le précédent numéro, par le Comité d'Action pour le Pouvoir des Conseils Ouvriers, de St-Étienne.
Tous les textes publiés dans la Fête révolutionnaire peuvent être librement reproduits, ou adaptés, même sans indication d'origine.
LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE SERA UNE FÊTE OU NE SERA PAS
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