EXTRAITS D'AGAMBEN SUR LE COVID
Coronavirus et état d’exception, 02/20
"On constate une fois de plus une tendance croissante à utiliser l’état d’exception comme paradigme normal de gouvernement."
"Il semblerait que, le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour les étendre au-delà de toutes les limites."
"L’état de peur s’est manifestement répandu ces dernières années dans les consciences des individus et se traduit par un réel besoin d’états de panique collective, auquel l’épidémie offre une fois de plus le prétexte idéal.
Ainsi, dans un cercle vicieux et pervers, la limitation de la liberté imposée par les gouvernements est acceptée au nom d’un désir de sécurité qui a été induit par ces mêmes gouvernements qui interviennent maintenant pour le satisfaire."
Éclaircissements, 03/20
"La vie nue – et la peur de la perdre – n’est pas quelque chose qui unit les hommes, mais qui les aveugle et les sépare. Comme dans la peste décrite dans « Les Fiancés », le roman de Manzoni, les autres êtres humains apparaissent seulement comme des pestiférés, qu’il faut éviter à tout prix, et qu’il faut tenir à au moins un mètre de distance."
"Et qu’est donc une société qui ne reconnaît pas d’autre valeur que la survie ?"
"L’état d’exception, auquel les gouvernements nous ont depuis longtemps habitués, est désormais la condition normale. Il y a eu par le passé des épidémies plus graves, mais personne n’avait jamais imaginé déclarer pour autant un état d’urgence comme celui-ci qui nous interdit tout, et même de nous déplacer."
"Les hommes se sont si bien habitués à vivre dans une condition de crise pérenne et de pérenne urgence qu’ils ne semblent pas même se rendre compte que leur vie a été réduite à une condition purement biologique et qu’elle a perdu toute dimension sociale et politique et même toute dimension humaine et affective. Une société qui vit dans un état d’urgence pérenne ne peut être une société libre. Et, de fait, nous vivons dans une société qui a sacrifié la liberté aux supposées « raisons de sécurité » et qui, pour cette raison même, s’est condamnée elle-même à vivre dans un état de peur et d’insécurité pérennes."
"Il y a fort à parier que l’on tentera de poursuivre après l’urgence sanitaire les expérimentations que les gouvernements n’avaient pas réussi jusqu’ici à mener à bien : fermer les universités et les écoles et faire des leçons par internet, arrêter une bonne fois pour toutes de se réunir et de parler ensemble d’arguments politiques ou culturels, se contenter d’échanger des messages digitaux, et partout où c’est possible, faire en sorte que les machines remplacent enfin tout contact – toute contagion – entre les êtres humains."
Sur le vrai et sur le faux, 04/20
"Les données sur l’épidémie sont fournies de manière générique et sans aucun critère scientifique. D’un point de vue épistémologique, il est évident, par exemple, que donner un chiffre de décès sans le relier à la mortalité annuelle sur la même période et sans préciser la cause réelle du décès n’a pas de sens. Pourtant, c’est précisément ce que nous continuons de faire chaque jour sans que personne ne semble le remarquer."
"On dirait que le mensonge est tenu pour vrai justement parce que, comme la publicité, il ne se préoccupe pas de cacher sa fausseté."
"L’humanité entre à présent dans une phase de son histoire où la vérité est réduite à un moment dans le mouvement du faux. Vrai est le discours faux qui doit être tenu pour vrai même quand sa non-vérité est démontrée. Mais de cette façon c’est le langage lui-même comme lieu de la manifestation de la vérité qui est confisqué aux êtres humains. Ceux-là ne peuvent à présent qu’observer muets le mouvement – vrai parce que réel – du mensonge."
L'épidémie comme politique, 09/20
« La peste marqua pour la ville le début de la corruption. Personne n’était plus disposé à persévérer dans la voie de ce qu’il jugeait auparavant être le bien, parce qu’il croyait qu’il pouvait peut-être mourir avant de l’atteindre ».
« L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale »
« Qu’est donc une société qui ne reconnaît pas d’autre valeur que la survie ? »
“La peur prépare à tout accepter”
"les dispositions récentes transforment en fait chaque individu en un infecteur potentiel"
"Ce que nous vivons, avant d’être une manipulation sans précédent des libertés de chacun, est en fait une gigantesque opération de falsification de la vérité. Si les hommes acceptent de limiter leur liberté personnelle, cela se produit, en fait, parce qu’ils acceptent sans les soumettre à aucune vérification les données et opinions fournies par les médias. La publicité nous avait habitués depuis longtemps à des discours d’autant plus efficaces qu’ils ne prétendaient pas être vrais."
Giorgio Agamben, Philosophe italien