RADIOACTIVITÉ EN EUROPE DU NORD
Détection d’une augmentation de la radioactivité en Europe du Nord
Des produits radioactifs artificiels ont à nouveau été détectés dans l’air d’une partie de l’Europe. Contrairement à ce que suggèrent certaines dépêches, la contamination provoquée par l’accident de Tchernobyl est hors de cause.
Le 26 juin 2020, le Secrétaire exécutif de l'Organisation du Traité d'Interdiction Complète des Essais Nucléaires (OTICEN), Lassina Zerbo, a fait état[1] des résultats d’analyse d’une des stations de mesure du réseau de surveillance géré par l’OTICEN. Implantée en Suède, cette station a détecté entre le 22 et le 23 juin la présence de faibles niveaux de radionucléides artificiels : le message mentionne les césiums 134 et 137 et le ruthénium 103 mais sans communiquer de valeur chiffrée. Une carte précise en revanche l’extension possible du panache d’air contaminé sur les 3 jours précédant la détection.
L’autorité de sûreté nucléaire finlandaise (STUK) publie sur son site internet les résultats d’analyses de filtre de plusieurs stations de prélèvement et de contrôle réparties sur son territoire[2] . L’une d’entre elles, la balise d’Helsinki, prélève 550 mètres cube d’air par heure ; l’air traverse un filtre en fibre de verre (pour le piégeage des aérosols) et un filtre en charbon actif (pour le piégeage de l’iode gazeux). Le filtre aérosol est changé tous les jours ; le filtre à iode seulement une fois par mois. Au 29 juin 2020, la station d’Helsinki[3] indiquait les résultats suivants pour la journée du 16 au 17 juin et pour les aérosols piégés sur le filtre en fibre de verre :
• Cs 134 : 21,5 µBq/m3 ;
• Cs 137 : 16,4 µBq/m3 ;
• Co 60 : 7,6 µBq/m3 ;
• Ru 103 : 4,8 µBq/m3 .
Il s’agit de radionucléides caractéristiques d’un réacteur nucléaire : des produits de fission comme le césium 137 et le ruthénium 103 ; des produits d’activation comme le cobalt 60 (activation du cobalt 59 stable présent dans certains alliages) et le césium 134 (produit d’activation du césium 133, le descendant stable d’un produit de fission). L’analyse ne mentionne pas la présence d’isotopes radioactifs de l’iode mais la limite de détection n’est pas précisé. Par ailleurs, le filtre dédié au piégeage des iodes radioactifs gazeux n’a apparemment pas été analysé. Il importe d’obtenir un bilan complet car de l’iode 131 avait été détecté dans la semaine du 2 au 8 juin 2020 au nord de la Norvège.
La présence de radionucléides à vie relativement courte (39,3 jours pour la période radioactive du Ru 103, et 2,2 ans pour le césium 134) exclue que l’accident de Tchernobyl soit à l’origine de la contamination. Les incendies qui ravagent régulièrement les zones contaminées conduisent typiquement à la dispersion de césium 137 (30 ans), de strontium 90 (28 ans) et de transuraniens.
A ce stade, les concentrations mesurées (en Finlande) ne nécessitent pas de mesure de protection. En revanche, rien n’est garanti au plus près du point de rejet.
L’Institut néerlandais pour la Santé publique et l’Environnement (RIVM) a indiqué que l’air contaminé était arrivé en Scandinavie à partir de la Russie occidentale mais sans pouvoir remonter au-delà ni localiser le site de rejet. Les autorités russes n’ont fait état d’aucun incident sur leurs installations nucléaires. Rappelons que l’origine exacte de la contamination par le ruthénium 106 survenue en 2017 n’est toujours pas établie. Les autorités russes ont toujours contesté qu’un incident fût survenu sur le site miliaire de Mayak. La publication rapide de l’ensemble des résultats d’analyse de filtre à air pour la période concernée et l’ensemble des stations de mesure serait une preuve tangible de transparence.
En 2011, dans le cadre de l’accident de Fukushima, la CRIIRAD avait lancé une pétition demandant que les résultats des analyses radiologiques effectuées dans le cadre du TICEN soient accessibles au public (https://www.criirad.org/petitions/petition_transparence.pdf). En 2020, le problème reste entier : les résultats restent confidentiels, certains chiffres sont parfois publiés, au cas par cas, à l’initiative de tel ou tel Etat. Dans le présent dossier, il faudrait obtenir en particulier les résultats des stations russes RN 61 (Dubna), RN54 (Kirov), de la station suédoise RN54 et de la station allemande RN 33.
La CRIIRAD gère en Vallée du Rhône, avec le soutien de plusieurs collectivités locales et le soutien de ses adhérents, un réseau d’alerte (balises[4]) permettant de détecter des niveaux de contamination radiologique de l’air ambiant qui seraient préoccupants sur le plan sanitaire.
Il est constitué de balises de surveillance de la radioactivité atmosphérique en vallée du Rhône, du Péage de Roussillon jusqu’à Avignon (dispositifs d’aspiration de l’air de volume typique 20 à 25 m3/h) et de sondes de mesure du débit de dose gamma à Pérouges (secteur du Bugey) et à Genève. Ces dispositifs, qui effectuent une surveillance automatique en continu n’ont déclenché aucune alarme[5] , ce qui est normal compte tenu de l’éloignement et des très faibles concentrations mesurées en Finlande. Le dispositif est complété par des analyses en différé des filtres aérosols qui permettent d’atteindre une limite de détection[6] de l’ordre de 10 µBq/m3 pour le césium 137 et le césium 134 et quelques dizaines de µBq/m3 pour la composante particulaire de l’iode 131[7] .
Le laboratoire de la CRIIRAD va prélever ce jour le filtre aérosols de la balise de Montélimar (26), correspondant aux dépôts de la période du 28 mai au 29 juin et le portera à l’analyse la nuit prochaine. La CRIIRAD publiera les résultats de l’analyse dès qu’elle en aura connaissance.
Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire,
directeur du laboratoire de la CRIIRAD.
http://balises.criirad.org/pdf/200629_CP_CRIIRAD_augmentation-radioactivite_Scandinavie.pdf
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[1] https://twitter.com/SinaZerbo/status/1276559857731153921.
{3] Au même jour, les 7 autres stations finlandaises ne comportaient pas de résultats suffisamment récents.
[4] http://balises.criirad.org/
[5] Jusqu’au 29 juin 2020 12 h.
[6] Il est important de noter que la limite de détection est exprimée sur l’ensemble de la période de collecte. En cas de dépôt ponctuel sur le filtre, une activité nettement supérieure est possible.
[7] L’iode 131 peut également comporter une composante gazeuse détectée par la cartouche à charbon actif.