COUP DE FORCE DES LOBBYS CONTRE LES ABEILLES
Bayer-Monsanto, Syngenta-ChemChina et les grandes multinationales de l'agrochimie ont mis leurs lobbys en ordre de bataille pour prendre le contrôle des procédures d’homologation et de régulation des pesticides au niveau européen – pour être sûres à 100 % que leurs produits continueront à être vendus massivement dans les pays de l'Union européenne, malgré la grande extinction en cours des abeilles et des pollinisateurs essentiels, et aux dépens de tous les citoyens qui se battent depuis des années pour faire interdire l'ensemble des pesticides tueurs d'abeilles en Europe et dans le monde !
En ce moment même, une réforme de la procédure d'évaluation de la dangerosité des substances actives contenues dans les pesticides, sur les abeilles et autres pollinisateurs, est en cours à Bruxelles : les lobbys de l'agrochimie tentent à tout prix d'y imposer leurs propres protocoles, et face à eux une poignée d'ONG, d lutte avec acharnement pour leur faire barrage.
En 2010, sous la pression des scientifiques et face à l'extinction effrayante des insectes pollinisateurs, l'Europe reconnaît que les tests utilisés pour mesurer les effets des pesticides sur les insectes avant d'en autoriser la vente sont devenus complètement obsolètes.
Ils ne permettent plus de mesurer les effets résultant de modes d’action incroyablement subtils et redoutablement efficaces des nouvelles molécules répandues en quantités industrielles dans tous les pays de l'Union.
Pour rappel, certaines molécules utilisées comme insecticides sont aujourd'hui, à dose égale, jusqu'à 7 000 fois plus toxiques pour les abeilles que le fameux DDT déjà interdit depuis des décennies !
En application du règlement européen No 1107/2009 qui prévoit que les produits chimiques mis sur le marché ne doivent pas avoir d'effet « inacceptable » sur l'environnement, et par souci de mise à jour, la Commission européenne demande alors à l'EFSA, l'autorité européenne de sécurité des aliments, d'adapter le processus d’évaluation aux dernières connaissances scientifiques et d’adopter des « tests abeilles » plus intégratifs des effets potentiels – pour s'assurer que les effets délétères des molécules soient sérieusement évalués AVANT d’autoriser la vente des produits et AVANT qu’on les retrouve partout dans les campagnes, les sols, et les nappes phréatiques... jusque dans nos assiettes et dans l'air que nous respirons !
Un groupe composé des meilleurs experts est aussitôt formé.
Ils rendent leurs conclusions deux ans plus tard et proposent la mise au point de nouvelles lignes directrices, le « Bee Guidance Document », basées sur une approche scientifique plus intégrative - pour des tests abeilles vraiment pertinents.
Les instances européennes les approuvent : mais les lobbys de l'agrochimie vont en décider autrement...
Ils ont appliqué eux-mêmes ces nouveaux « tests abeilles » dans leurs labos sur plus de 150 de leurs pesticides en circulation.
Les résultats sont catastrophiques : 79 % des herbicides testés... 75 % des fongicides... et 92 % des insecticides ne passeraient pas le premier niveau de tests en laboratoire : pour les firmes, cela impliquerait non seulement d'investir dans de coûteux tests supplémentaires, mais surtout, de prendre le risque qu'une grande partie de leurs pesticides ne soient pas autorisés sur le marché européen, car trop dangereux pour les abeilles à miel !
Pour les multinationales de l'agrochimie, ces résultats sont sans appel : adopter une approche intégrative avec des « tests abeilles » mieux adaptés permettant de mesurer la toxicité réelle de leurs produits sur les abeilles, les bourdons, ou d'autres pollinisateurs indispensables à nos écosystèmes, reviendrait à se priver du jour au lendemain de leur principale source de revenus.
Elles mobilisent alors toute la puissance de leurs lobbys pour s'opposer à l'adoption des lignes directrices :
critique de l'approche scientifique utilisée par les experts réunis par l'EFSA, chantage à la délocalisation... financements académiques et scientifiques de grande ampleur pour blanchir leurs produits et abaisser les niveaux de protection... argumentations biaisées sur les menaces bio-invasives, promettant un « retour à une agriculture du Moyen-Âge » et aux grandes famines... infiltration des comités scientifiques et consultatifs qui travaillent avec la Commission européenne et les États membres et qui participent aux décisions concernant les pesticides...
Un arsenal de techniques très élaborées, qui leur permet de mettre une pression sans précédent sur les responsables politiques...
Résultat : le Bee Guidance Document et ses « tests abeilles » ont été soumis pour approbation finale plus de 30 fois de suite au SCoPAFF (le Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale), un comité européen réunissant des représentants des États membres, sous la présidence de la Commission européenne.
Ils ont été rejetés à chaque fois, sans qu'on puisse savoir pourquoi, et sans caméras, permettant ainsi aux États membres de garder leur vote secret.
Les autorités censées contrôler les pesticides et protéger les citoyens européens se retrouvent impuissantes face aux firmes industrielles désireuses de continuer à vendre leurs produits toujours plus élaborés et dangereux – et engranger le plus longtemps possible les bénéfices colossaux liés à ce commerce.
Faut-il rappeler les effets en cascade de cet effondrement de la biodiversité ?
– Chaque année en France plus de 80 000 tonnes de pesticides sont déversés dans nos campagnes ;
– 73 à 80 % des insectes volants ont déjà disparu de nos territoires au cours des 30 dernières années ; la moitié des papillons en vingt ans et les abeilles et autres pollinisateurs sauvages meurent par milliards chaque année ;
– un tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans ;
– la diversité des plantes à fleurs est en rapide déclin faute de pollinisation sur plus de 80 % des sites étudiés au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, et une plante sur cinq est désormais menacée d'extinction…
Le 11 mars 2019, sous couvert d’une mise à jour scientifique, la Commission européenne a demandé officiellement à l'EFSA d’ajuster l’approche scientifique permettant de mesurer l'effet catastrophique des nouvelles molécules de pesticides sur les abeilles et la biodiversité, et de bien vouloir reconsidérer les niveaux de protection déterminant les seuils de toxicité, afin qu’ils coïncident avec les demandes des firmes agrochimiques elles-mêmes – Bayer-Monsanto, Syngenta-ChemChina, BASF, Dow Agrosciences et autres multinationales qui retirent plusieurs centaines de millions d'euros par an de la vente de ces pesticides !
Et l'objectif est clair : garantir le plus longtemps possible les intérêts à court terme d'une petite caste de multinationales aux lobbys trop puissants.
De trop nombreuses personnes ignorent encore les tractations lugubres qui ont lieu en ce moment même à Bruxelles, et qui pourraient sonner le glas des abeilles et de milliers d'espèces de pollinisateurs sauvages dans les années à venir.
Beaucoup croient qu'on peut compter sur les autorités sanitaires et environnementales pour nous protéger, et garantir la sécurité de nos aliments et de l'environnement.
Malheureusement, cette affaire montre bien les failles béantes du processus, dans lesquelles les firmes les plus puissantes peuvent s'engouffrer à merci pour imposer leur loi – et leurs produits toxiques – à tout un continent.
Nicolas Laarman (extraits)
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https://action.pollinis.org/sign/test-abeilles-europe-fr/
#biodiversité #abeilles #pesticides