EN OTAGE

La réalité n’a jamais autant pris en otage l’imagination qu’au cours de ces derniers jours. Nos désirs et nos rêves les plus fous sont dominés par une catastrophe invisible qui nous menace et nous confine, en nous liant les pieds et les mains au licol de la peur. (...)
Si les catastrophes du passé, en mettant sens dessus dessous l’ordre établi, incitaient à regarder l’impossible en face, les catastrophes modernes se limitent à creuser ultérieurement dans le possible. Au lieu d’ouvrir l’horizon et de mener loin, elles l’enferment et elles le clouent à ce qu’il y a de plus proche. L’imagination sauvage laisse le pas au risque calculé, faisant en sorte que l’on ne désire plus vivre une autre vie, mais que l’on ambitionne de survivre en gérant les dégâts.
Les unes après les autres, les catastrophes qui ont eu lieu ces dernières décennies défilent devant nos yeux comme si elles n’étaient que des conséquences de la myopie technoscientifique et du mauvais gouvernement, à dépasser grâce à des techniciens et des politiciens plus attentifs et clairvoyants. Les catastrophes actuelles et celles du futur deviennent donc inévitables, ou pour le moins réductibles seulement à un contrôle toujours plus grand des activités humaines, placées dans des conditions d’urgence pérenne. L’effet de cette logique, c’est que les désastres « naturels » sont immédiatement oubliés et refoulés dans un contexte distant, comme si c’étaient des événements mineurs, alors que seuls les désastres « humains » occupent le centre de la scène d’un récit qui nous invite à accepter l’inacceptable. S’ils nous terrorisent, c’est exclusivement parce que notre survie physique en tant qu’espèce est menacée. Et c’est cela que l’on devrait craindre plus que toute autre chose, la catastrophe invisible de la soumission soutenable, de l’administration du désastre, celle qui enchaîne et paralyse notre envie démesurée de vivre en imposant des distances et des mesures de sécurité.
Finimondo, Tutto bene (extraits), Italie mars 2020
http://inventin.lautre.net/livres/tutto-bene.pdf
