RADIOACTIVITÉ DE L’EAU
Rien ne va plus dans le système d’information et de contrôle
La CRIIRAD intervient depuis plus de 20 ans sur le dossier de la radioactivité de l’eau potable, qu’elle soit d’origine naturelle (comme le radon) ou qu’elle provienne des rejets (autorisés ou non) des installations nucléaires. Il fallait d’abord obtenir que l’analyse des produits radioactifs soit introduite dans le contrôle sanitaire officiel au même titre que les autres polluants (chimiques, physiques, bactériologiques…). En France, il a fallu attendre le 1er janvier 2005 pour que devienne obligatoire la mesure de 3 paramètres radiologiques : l’activité alpha globale (qui ne doit pas dépasser 0,1 Bq/l), l’activité bêta globale (1 Bq/l) et l’activité du tritium (100 Bq/l). La CRIIRAD a ensuite dénoncé les nombreuses insuffisances et incohérences du dispositif officiel. Elle s’est notamment battue, aux niveaux français1 et européen2 , pour que le radon ne soit plus exclu du contrôle. C’est le cas depuis décembre 2015 (un premier bilan des résultats obtenus sera publié prochainement).
Cette avancée ne doit cependant pas masquer la persistance de problèmes de fond. Le plus important est que les polluants radioactifs continuent de bénéficier de deux passe-droits :
1. Les limites sanitaires fixées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et prises en référence par la France sont fixées à des niveaux de risque plus de 100 fois supérieurs au maximum toléré pour les autres polluants cancérigènes, notamment chimiques ;
2. Les valeurs retenues dans le cadre du contrôle sanitaire de l’eau potable ne sont pas des limites (dont le dépassement impose des actions) mais de simples références de qualité au-delà desquelles les autorités doivent seulement évaluer s’il y a un risque et s’il est opportun d’agir.
Pour le tritium par exemple, la limite sanitaire est fixée à 10 000 Bq/l et la référence de qualité à 100 Bq/l. Si cette valeur est dépassée, une nouvelle analyse doit être effectuée afin de déterminer si d’autres produits radioactifs artificiels sont présents (car le tritium, très mobile, peut être le signe avant-coureur d’une pollution plus étendue) ; mais si l’eau ne contient que du tritium, le risque sera apprécié par rapport à la limite sanitaire définie par l’OMS. Sachant que cette limite est fixée pour de l’eau contaminée en continu et consommée sur toute une vie, en cas de contamination supérieure à 10 000 Bq/l mais limitée à quelques mois, l’intervention des autorités ne serait pas forcément garantie.
Le 11 juillet 20191 , la CRIIRAD a adressé aux responsables concernés (ministres de la Santé et de l’Écologie, président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire) un courrier argumenté demandant l’abandon de toute référence à la limite OMS et la fixation d’une limite sanitaire réellement protectrice (en-deçà de 50 Bq/l, au plus près de 10 à 20 Bq /l pour les contaminations de long terme). C’est l’ASN qui a été chargée de la réponse. Son courrier du 9 octobre 2019 nous informe que notre demande « est en cours d’instruction » et « nécessite un travail approfondi ». Une réponse devrait nous parvenir « au plus tard au début de l’année 2020 ». Il est peu probable que nous obtenions gain de cause car l’industrie nucléaire rejette des quantités colossales de tritium dans l’environnement et a un besoin vital de limites non contraignantes. Nous attendons cependant avec impatience l’argumentation que l’ASN va développer avec l’aide probable des experts de l’IRSN3 .
En parallèle à ce premier volet consacré aux niveaux de risques et aux limites réglementaires, la CRIIRAD a souhaité vérifier si le droit de chaque personne à accéder facilement aux résultats des analyses radiologique de l’eau qu’elle consomme était bien respecté. Elle a également cherché à vérifier si les obligations de contrôle radiologiques étaient bien respectées : les contrôles ont-ils commencé dans un délai raisonnable après l’entrée en vigueur de l’obligation début 2005 ? Les fréquences de contrôles sont- elles conformes aux prescriptions ? Les Préfets n’ont-ils pas abusé des possibilités de dérogation qui leur sont conférées ?
Pour réaliser ce travail, la CRIIRAD a mobilisé ses adhérents qui ont été nombreux à répondre à l’appel et à signaler des anomalies, généralement confirmées par nos vérifications. Le bilan de ces investigations devait être publié dans le courant de l’été mais un troisième axe de recherche est venu s’ajouter à notre dossier, nous obligeant à des investigations plus longues et plus complexes sur l’incohérence des données officielles.
Le 17 juillet 2019, l’ACRO4 publiait en effet une carte de France métropolitaine basée sur les résultats de tritium que lui avait transmis le Ministère de la Santé (et plus précisément la Direction Générale de la Santé). Le territoire de communes alimentées par de l’eau dans laquelle du tritium avait été détecté en 2016-2017 apparaissait en mauve, un encadré affichant le nombre d’analyse effectuées sur cette période et la concentration moyenne en tritium. Problèmes : de très nombreuses communes que nous avions recensées comme contaminées n’apparaissaient pas sur la carte ; dans certains cas, le nombre d’analyse ne correspondait pas à nos relevés et, lorsqu’il correspondait, les moyennes affichées étaient presque systématiquement inférieures à celles que nous calculions !
Grâce à l’un de nos adhérents, Loïc, qui n’a pas ménagé son temps et ses compétences pour nous aider, nous avons pu exploiter les fichiers du contrôle sanitaire de l’eau publiés sur la plateforme data.gouv. Cela nous a permis de transformer une étude qualitative basée sur des sondages, en un travail beaucoup plus systématique mais ce travail a également débouché sur de nouvelles difficultés car nous avons mis le doigt sur de nouvelles incohérences.
Le 21/11/2019, la synthèse de nos constats a été envoyée à Mme Buzyn, ministre en charge de la Santé, assortie d’une demande d’enquête sur toutes les anomalies que nous avons identifiées et d’une demande de garantie pour l’avenir, aussi bien sur le plan du contrôle qualité que de la transparence et du respect des obligations de contrôle radiologique.
Corinne CASTANIER, CRII-RAD
1. Cf. lettre du à la ministre de la Santé
2. Cf. travail d’analyse du projet de directive Euratom-2013-51.
3. Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
4. Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest.