LES GÉANTS DE LA SURVEILLANCE

Publié le par Résistance verte

Google et Facebook sont gratuits… en théorie. En réalité, il y a un prix à payer pour utiliser leurs services : vos données personnelles. En les accaparant, ces géants du numérique menacent le respect de notre vie privée.

Le modèle économique fondé sur la surveillance mis en place par Facebook et Google est par nature incompatible avec le droit à la vie privée et représente une menace pour toute une série d’autres droits : droits à la liberté d’opinion, d’expression et de pensée, droits à l’égalité ou encore droit à la non-discrimination.

Google et Facebook dominent nos vies modernes. Ils ont accumulé un pouvoir inégalé sur la sphère numérique en collectant et monétisant les données personnelles de milliards d’utilisateurs. Leur contrôle insidieux de nos vies numériques sape le fondement même de la vie privée et c’est l’un des défis majeurs de notre époque en termes de droits humains.

SI C’EST GRATUIT, C’EST VOUS LE PRODUIT

À l’ère numérique, afin de protéger nos valeurs humaines fondamentales – dignité, autonomie et vie privée – il faut une refonte radicale du fonctionnement des géants de la haute technologie et l’essor d’un Internet qui accorde la priorité aux droits humains.

Google et Facebook ont établi leur domination sur les principaux réseaux dont dépend la majorité du globe – excepté en Chine – pour réaliser ses droits en ligne. Les diverses plateformes qu’ils détiennent – notamment Facebook, Instagram, Google Search, YouTube et WhatsApp – facilitent la recherche et le partage d’informations, ainsi que la participation au débat et à la société. En outre, l'application Android de Google équipe la majorité des téléphones portables dans le monde.

Les géants de la haute technologie proposent ces services à des milliards d’utilisateurs « gratuitement ». En échange, ceux-ci paient avec leurs données personnelles privées, en étant constamment tracés sur la toile mais aussi dans le monde réel, par exemple via les appareils connectés.

DES PLATEFORMES QUASI INCONTOURNABLES

Internet est indispensable à la réalisation de nombreux droits, pourtant des milliards de personnes n’ont pas vraiment d’autre choix que d’accéder à cet espace public aux conditions dictées par Facebook et Google.

Si d’autres grandes entreprises technologiques, comme Apple, Amazon et Microsoft, ont acquis un pouvoir important dans certains secteurs, les plateformes détenues par Facebook et Google sont quasi incontournables pour dialoguer et interagir les uns avec les autres – devenant ainsi un nouvel espace public mondial.

Il importe de rappeler que les utilisateurs n’ont pas signé pour cet Internet là lorsque ces plateformes ont vu le jour. Google et Facebook ont progressivement rogné le respect de notre vie privée. Aujourd’hui nous sommes piégés. Soit nous nous soumettons à cette vaste machine de surveillance – où nos données sont facilement utilisées pour nous manipuler et nous influencer – soit nous renonçons aux avantages du monde numérique. En quoi est-ce un choix légitime ? Nous devons reconquérir cet espace public essentiel afin d’être actif dans la société sans que nos droits ne soient piétinés.

L’extraction et l’analyse des données personnelles, dans des proportions aussi gigantesques, sont incompatibles avec les différentes facettes du droit à la vie privée, notamment la liberté de ne pas subir d’intrusion dans nos vies privées, le droit de contrôler les informations nous concernant et le droit à un espace nous permettant d’exprimer librement nos identités.

DES ALGORITHMES OPPORTUNISTES

Les plateformes Google et Facebook s’appuient sur des systèmes d’algorithmes qui traitent d’énormes volumes de données pour dresser les profils très détaillés des utilisateurs et façonner leur navigation en ligne. Les annonceurs paient alors Facebook et Google pour pouvoir cibler les utilisateurs à coups de publicités ou de messages précis.

Le scandale Cambridge Analytica a révélé à quel point il est facile d’utiliser les données personnelles des utilisateurs à des fins imprévues, dans le but de les manipuler et de les influencer.

Nous avons déjà constaté que la vaste architecture publicitaire de Google et Facebook est une arme puissante entre de mauvaises mains. Elle peut être détournée à des fins politiques, au risque de conséquences désastreuses pour la société, et laisse le champ libre à toutes sortes de nouvelles stratégies publicitaires aux relents d’exploitation, comme le fait de s’en prendre à des personnes vulnérables qui luttent contre la maladie, les troubles mentaux ou l’addiction. Parce que ces publicités sont faites sur mesure pour des individus, elles échappent à l’examen public.

UN NOUVEL INTERNET

Les gouvernements doivent agir de toute urgence pour remanier ce modèle économique fondé sur la surveillance et nous protéger contre les atteintes aux droits humains commises par des entreprises, notamment en faisant appliquer des lois solides sur la protection des données et en réglementant efficacement les activités des géants de la technologie, conformément au droit relatif aux droits humains.

Tout d’abord, ils doivent promulguer des lois pour empêcher des entreprises comme Google et Facebook de conditionner l’accès à leurs services au fait d’« accepter » la collecte, le traitement ou le partage des données personnelles aux fins de marketing et de publicité. Ces entreprises sont tenues de respecter les droits humains, quels que soient le lieu où elles sont implantées et la manière dont elles mènent leurs activités.

On ne peut laisser Google et Facebook prendre les rênes de notre vie numérique. Ces entreprises privilégient un modèle économique fondé sur la surveillance qui nuit à la vie privée, à la liberté d’expression et à d’autres droits humains. La technologie d’Internet n’est pas incompatible avec nos droits, c’est le modèle économique choisi par Facebook et Google qui l’est.

Il est temps de reconquérir cet espace public vital pour chacun, au lieu de le laisser entre les mains de quelques géants de la Silicon Valley qui n’ont aucun compte à rendre.

https://www.amnesty.fr/actualites/facebook-et-google-les-geants-de-la-surveillance

 

GAFFE AUX GAFA

Google, Apple, Facebook, Amazon seront bientôt soumis au consentement des internautes en Europe.

Grégoire Pouget, ancien responsable technique chez Reporters sans frontières, est membre de l’association Nothing 2 hide qui aide journalistes, avocats et activistes à se protéger, ainsi que leurs sources.
Il compare les effets d’Internet au panoptique conçu par l’architecte Samuel Bentham au XVIIIe siècle : une prison en cercle avec un poste de surveillance au milieu qui crée le sentiment d’être observé à tout moment.
"Avec tout ce qu’on l’on entend à propos des dérives du Web, on a le sentiment d’être potentiellement surveillé : quelqu’un peut tout savoir sur nous s’il prend la peine de chercher, tout ce que nous faisons peut un jour être utilisé contre nous. Peu importe que ce soit vrai ou pas, le résultat est le même : l’autocensure."
Grégoire Pouget, membre de l'association nothing 2 hide

En signant une pétition, votre nom peut y être associé dans un moteur de recherche, consulté par un futur employeur ; un frein pour affirmer ses engagements militants. Une photo de vous souriant sur les réseaux sociaux et votre entreprise considère que votre arrêt maladie pour dépression est factice ; de quoi fuir les moments de sociabilité où des photos pourraient être prises. Mais Grégoire Pouget met en garde contre la paranoïa : « Le modèle économique des géants du Web est basé sur la collecte de données massive, qui sont revendues et permettent une publicité ciblée. Il s’agit cependant d’une collecte massive, pas individuelle ».

SI C’EST GRATUIT, C’EST VOUS LE PRODUIT

Claude Castelluccia, chercheur au sein de l’Inria, dirige l’équipe Privatics qui travaille sur la protection de la vie privée. Pour lui, ces intrusions dans nos vies sont problématiques.

« Il y a cette idée répandue du "peu importe que l’on puisse accéder à mes données, je n’ai rien à cacher". Lorsque mes étudiants me disent cela, je leur réponds : "OK, donnez-moi tous vos comptes et vos mots de passe". Bien entendu, personne ne me les fournit. C’est bien la preuve qu’il y a une nuance entre confidentialité et vie privée : même si nous ne faisons rien d’illégal, ce n’est pas pour autant que nous acceptons que n’importe qui accède à nos informations personnelles, c’est-à-dire à notre intimité ».

Pour lui « les médias se focalisent sur la surveillance gouvernementale et négligent souvent la surveillance commerciale effectuée par les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] qui me paraît au moins aussi dangereuse. Le modèle économique de ces entreprises se base sur l’exploitation de nos données et comme dit l’adage : “Si c’est gratuit, c’est vous le produit” ».

Et ces entreprises n’ont pas la transparence chevillée au corps, comme le confirme Fabrice Le Guel, économiste à l’université Paris-Sud : « Avec notre équipe de recherche, nous souhaitons déterminer comment et entre qui et qui s’échangent les flux de données personnelles, mais la tâche est ardue tant le marché est opaque. En un sens, on peut dire que ce secteur est similaire au Farwest : une ruée des GAFA et des start-up sur les données personnelles, et les régulateurs étatiques qui tentent de cadrer tout cela pour éviter les dérives ». Et cette ruée vers l’or porte ses fruits. 90 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour Google en 2016, 44 pour Amazon, 215 pour Apple ou encore 28 pour Facebook. Grâce à l’exploitation des données personnelles, la publicité remplit leurs caisses.

LE CONSENTEMENT, NOUVELLE GAGEURE

L’Europe tente d’y mettre de l’ordre, à défaut de pouvoir y faire le ménage. Un règlement européen entrera en application en mai 2018. Il faudra que chaque internaute donne son accord explicitement pour pouvoir collecter ses données personnelles.

Cela ressemble à un vœu pieux tant il est difficile d’imaginer les entreprises scier la branche sur laquelle elles sont assises en demandant à leurs internautes de cocher la case : « Oui, j’accepte que mes données soient collectées et exploitées à des fins commerciales ».
Mais l’internaute lui-même a du mal à prendre la mesure du problème.

Prenons le cas de Google et de ses différents services : boîte e-mail, recherche Internet, cartographie, partage de documents ou encore de vidéos avec YouTube. Tous ces services sont connectés les uns aux autres, ce qui facilite grandement le quotidien de l’internaute. Vouloir se protéger signifie renoncer à Google.

Un véritable chamboulement va devoir s’opérer. Claude Castelluccia est optimiste.
"De plus en plus d’entreprises ont compris que la protection de la vie privée va devenir un enjeu économique important et commencent à proposer des services plus respectueux de ses utilisateurs"
Claude Castelluccia, chercheur au sein de l’Inria

Des alternatives simples à utiliser comme Qwant, Startpage, Firefox, Framasoft, accessibles gratuitement. Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’IUT de la Roche-sur-Yon, étudie l’impact de la culture Internet sur les rapports humains. « De plus en plus d’ingénieurs entrent, si on peut dire, "en résistance" pour que les services que nous utilisons préservent notre vie privée automatiquement, sans configuration de la part des internautes ».

Une inflexion que confirme Fabrice Le Guel, économiste à l’université Paris-Sud : « Il semble que de plus en plus de personnes soient prêtes à payer pour des services de qualité, dans le respect de leur vie privée. Si ce changement de modèle économique se confirme, cela va rebattre les cartes ».

Julie Lallouët-Geffroy pour La Chronique d'Amnesty International
https://www.amnesty.fr/la-chronique

Publié dans Contrôle numérique

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