DÉCROISSANCE REVISITÉE

La plupart des groupes coopératifs, qu’ils soient ou non partisans de la décroissance, ne dédaignent pas la commercialisation, en reproduisant les méthodes mercantiles que les critères éthiques et environnementaux n’arrêtent pas de justifier.
Ce sont des formules de cohabitation ; elles fonctionnent parce qu’elles existent à côté d’un système omniprésent, avec son offre d’emploi et de crédit, ses loisirs et sa culture, son appareil de santé et de recyclage des déchets, avec lequel elles interagissent plus ou moins. Elles ne peuvent pas être des solutions immédiates pour la majorité de la population qui sont pris au piège dans les espaces urbains. Les autorités administratives ne sont pas gênées si ces pratiques se limitent à “refonder la démocratie”, à organiser des petits marchés ou à distribuer le « panier » et n’incitent pas au sabotage anti-développementiste.
Les autorités économiques sont encore moins gênées parce que ces pratiques ne sont pas en concurrence avec elles.
Ces pratiques ne sont pas des alternatives anticapitalistes, mêmes dans leurs formes les plus radicales ; la plupart sont des îlots inoffensifs et, pour cela même, des enclaves tolérées. Il est nécessaire d’être clair sur le fait que l’on ne peut pas abandonner le capitalisme sans l’abolir dans tous ses aspects, en visant à la fois ses formations économiques, les marchés, et politiques, les États.
On ne peut pas ruraliser une société sans la désurbaniser préalablement, ni la démarchandiser sans éliminer les relations de marché dans l’ensemble de l’espace social.
Pour fonder une collectivité, il suffit de quelques personnes, mais pour construire une société équilibrée avec son environnement, le grand nombre est nécessaire, et ce grand nombre est incapable de se former autrement que dans la lutte pour survivre dans les conditions extrêmes imposées par un régime en faillite. Au cours de la lutte, les institutions s’écroulent, brisées en mille morceaux.
Miquel Amorós, La décroissance revisitée, 2012
