LE COMMISSAIRE ENQUÊTEUR DÉFAVORABLE AU PROJET D’EXTENSION
La carrière de granite de Saint-Julien-Molin-Molette est exploitée depuis les années 1980 par la société Delmonico-Dorel. La dernière autorisation d’exploitation a été accordée en 2005 pour une durée de 15 ans. Le carrier souhaite poursuivre et étendre l’exploitation au-delà de cette date.
Il rencontre une vive opposition de la population locale, qui dénonce depuis de nombreuses années les nuisances engendrées par la carrière. En 2016, le conseil municipal de Saint-Julien-Molin-Molette s’est opposé au projet du carrier en votant un plan local d’urbanisme (PLU) qui empêche l’extension.
Pour passer outre cette décision, l’État, qui soutient le carrier, a lancé une procédure de déclaration de projet d’intérêt général qui permettrait de modifier tout de même le PLU. Dans ce cadre, une enquête publique s’est déroulée à l’automne 2017.
La CRIIRAD a déposé une contribution, portant :
1/ sur l’absence de prise en compte, dans le dossier d’enquête publique, de la question de la radioactivité des roches exploitées,
2/ sur la présence d’informations fausses concernant le risque lié aux poussières.
Le rapport du commissaire enquêteur, daté du 12 décembre 2017, a été rendu public le 9 janvier 2018.
Le commissaire enquêteur note tout d’abord que le dossier soumis à enquête publique est « très succinct ». Il a « eu la désagréable impression que le dossier était soit délibérément simplifié à l’extrême, soit préparé dans la précipitation ». Si le commissaire enquêteur ne remet pas en cause l’utilité de la carrière, il constate qu’ « à ce jour, les conditions de son exploitation ne sont pas acceptables ». En effet, « l’exploitation de la carrière implique aujourd’hui la traversée du village de Saint-Julien-Molin-Molette dans des conditions contestables. La voirie a des caractéristiques inadaptées (rue étroite, trottoirs très réduits, succession de deux virages à angle droit [..]).
La fréquence des passages, dans un sens ou dans un autre, contraint fortement la circulation locale et pose des problèmes de sécurité, de bruit, de poussières, d’entretien de la voirie. Les consignes données aux chauffeurs, concernant le bâchage ou la vitesse, ne sont pas toujours respectées ». Pour vérifier ce que ne cessent de dénoncer les riverains, et ce que le dossier soumis à enquête passe sous silence, le commissaire enquêteur s’est « rendu incognito à Saint-Julien-Molin-Molette, sur la place de la mairie, où [il] est resté en observation continue de 6h30 à 12h, un matin d’octobre 2017 ». Il a tout d’abord vu passer 6 camions entre 6h58 et 7h32, alors que le dossier laisse entendre qu’il n’y a pas de trafic avant l’ouverture de la carrière à 7h30.
Il a ensuite constaté, pour les deux sens de circulation, le passage « en moyenne [d’]un véhicule toutes les 2 minutes quarante secondes », ce qui confirme l’impression de ballet incessant dénoncée par les riverains. Il a par ail- leurs constaté la présence d’un « dépôt uniforme [de poussières] sur le sol de la voirie, mais aussi sur les rebords des fenêtres des bâtiments ». Il ajoute : « je trouve contestable que le dossier n’aborde pas ces problèmes […]. L’insincérité sup- posée des déclarations ne peut qu’accentuer le sentiment, chez les opposants à la carrière, que tout est « ficelé à l’avance », sans préoccupation de leurs légitimes intérêts ».
Pour le commissaire enquêteur, la seule solution consisterait à créer une déviation afin de « supprimer la quasi-totalité du trafic [dans le village] lié à l’exploitation de la carrière ». La réalisation d’une déviation ne pouvant avoir lieu d’ici 2020, date d’arrêt de l’autorisation actuelle d’exploitation, le commissaire enquêteur donne un avis défavorable au projet.
Le commissaire enquêteur a réalisé un important travail de vérification des arguments des défenseurs et des opposants au projet. Malheureusement, la radioactivité est la grande absente du rapport. La contribution de la CRIIRAD n’est pas mentionnée, et la question de la radioactivité n’est évoquée qu’à trois reprises, de manière très succincte :
- « J’ai aussi rencontré un grand nombre de personnes catégorique- ment opposées à l’extension de la carrière, avec une argumentation très diverse […] passant par les problèmes de circulation, de bruit, […], de radiations, […] » ;
- « [Dans le dossier] il n’y a aucune donnée sur l’importance du trafic […]. Les qualificatifs les plus divers lui sont attribués : […] pollueur (poussières dont poussières radioactives), […] » ;
- « J’ai pu observer et constater les nuisances [liées à la circulation]. Je n’ai pas qualité pour m’exprimer sur le problème des radiations. Toutes ces nuisances devraient être mesurées dans la traversée du village et pas seulement sur le site de la carrière ou à proximité ».
Comme le montrent ces citations, la question de la radioactivité est à peine effleurée, et uniquement sous l’angle des nuisances vis-à-vis des riverains. Pas un mot sur un autre aspect primordial de la question : les matériaux produits par la carrière pourraient faire l’objet de restrictions d’usage dès 2018, du fait de la radioactivité des roches, en application de la directive Euratom 2013/59.
En effet, comme l’indiquait la CRIIRAD dans sa contribution, la directive européenne 2013/59/Euratom, qui doit être transposée dans le droit français d’ici au 6 février 2018, impose de mesurer la radioactivité des matériaux de construction considérés comme « préoccupants sur le plan de la radioprotection » tels que les granits. Lorsque la teneur en radionucléides naturels dépasse un certain seuil, des restrictions d’usage pourront être envisagées. Des contrôles préliminaires réalisés par la CRIIRAD en 2008 avaient révélé un dépassement de ce seuil sur un échantillon issu de la carrière 1.
A la lumière de cet argument non pris en compte, il n’est pas certain que la carrière soit aussi rentable pour le carrier et aussi « utile » que le juge le commissaire enquêteur.
Si le rapport de l’enquête publique fait l’impasse sur la radioactivité, c’est probablement parce que ce sujet est absent du dossier de demande de déclaration d’intérêt général.
Compte tenu de cette lacune, la CRIIRAD avait demandé par courrier au préfet de la Loire, le 18 octobre dernier, de suspendre l’enquête publique. Cette demande s’appuyait également sur la présence d’informations erronées s’agissant du risque lié aux poussières (qualifié de « très faible pour le personnel » alors que des seuils réglementaires sont dépassés).
1 - La méthodologie consiste à calculer un indice I, basé sur les teneurs du matériau en radionucléides naturels. La formule de calcul de l’indice I est I = CRa226/300 Bq/kg + CTh232/200 Bq/kg + CK40/3 000 Bq/ kg. La directive 2013/59/Euratom fixe le seuil de l’indice à 1. L’échantillon analysé par la CRIIRAD en 2008 présentait un indice de 2,14.
Dans sa réponse, datée du 16 novembre, le préfet confirme que la question de la radioactivité des roches se pose : « [La trans- position de la directive Euratom 2013/59] imposera notamment pour tout exploitant de carrières de granits de devoir caractériser la radioactivité présente dans les matériaux extraits. Les résultats des mesures à effectuer pourront conduire, selon leurs valeurs à considérer ou non les matériaux extraits comme des substances radioactives d’origine naturelle (SRON) nécessitant ou pas un contrôle de radioactivité. De même, l’exploitant devra transmettre ces informations radiologiques à tout acheteur/utilisateur des matériaux ». Le préfet ajoute que « l’exploitant devra prendre en compte le critère « risque radiologique » dans les risques professionnels ».
Malgré cela, le préfet ne donne pas suite à la demande de suspension de l’enquête publique. Selon son argumentaire, le projet examiné dans le cadre de cette en- quête vise uniquement à déclarer le projet d’intérêt général, ce qui permettrait de modifier le plan local d’urbanisme (PLU) afin de rendre possible une future extension de la carrière. Si ce projet aboutit, DELMONICO-DOREL pourra alors demander une autorisation d’extension de la carrière. C’est seulement dans le cadre de cette de- mande que la question « des risques (dont le risque lié à la radioactivité naturelle des roches granitiques) » sera abordée.
Mais les arguments du préfet ne tiennent pas. Contrairement à ce qu’il indique, l’étude des risques figure bien déjà dans le dossier actuel, même si la question de la radioactivité n’en fait pas partie : l’évaluation environnementale comporte une ana- lyse des effets du projet d’agrandissement sur l’air, les eaux, la santé et la sécurité publique, la commodité du voisinage… De plus, comment juger de l’intérêt général du projet sans tenir compte des restrictions éventuelles d’usage dont pourraient être frappés les matériaux produits par la carrière ?
Par ailleurs, le préfet ne répond rien à la CRIIRAD au sujet des poussières. Ce point est évacué, alors qu’un courrier daté du 7 octobre 2016, adressé par la DREAL à Delmonico-Dorel, montre que l’État était parfaitement au courant de l’existence d’écarts en matière de surveillance des poussières par l’exploitant. Ces écarts ne sont pas abordés dans l’étude environne- mentale, très rassurante sur la question des poussières.
La CRIIRAD prépare actuellement un courrier de réponse aux arguments du préfet. Bien que l’avis du commissaire enquêteur conforte la position des opposants au projet, il est à craindre que l’État n’en restera pas là : en 2005, un précédent avis défavorable n’avait pas empêché la préfecture d’autoriser l’extension de la carrière pour 15 ans. Le bras de fer n’est pas terminé.
Julien SYREN
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Rapport du commissaire enquêteur :
http://www.loire.gouv.fr/rapport-et-conclusions-de-l-enquete-sur-le-projet-a6378.html
Courrier de la CRIIRAD au préfet de la Loire et réponse du préfet :
http://www.criirad.org/radioactivite-naturelle/saint-julien-molin-molette/saint-julien-molin-molette.html