CE POLLUEUR AUQUEL PERSONNE NE VEUT S’ATTAQUER

Publié le par Résistance verte

En dix ans, le trafic aérien a bondi de 65 %, et cette progression va continuer de s’envoler. Pourtant, l’aviation est une des principales responsables du changement climatique. Alors, pourquoi une telle inertie politique ?

Quand les attentats du 11 septembre 2001 ont ébranlé le monde, la totalité du trafic aérien s’est arrêtée aux États-Unis ce jour-là. On n’avait pas vu ciel plus clair depuis des décennies. Les télescopes étaient de sortie et les scientifiques s’en sont donné à cœur joie. Parmi les nombreuses observations, le docteur David Travis, climatologue à l’université du Wisconsin à Whitewater, a mis en lumière que la température avait baissé de l’ordre de 2°C durant cette seule journée du 11 septembre : « L’absence d’avions combinée à des conditions météorologiques favorables ont créé cette variation de température », explique-t-il. En d’autres termes, il s’est aperçu que les traînées de condensation laissées dans le ciel à des kilomètres de la surface de la Terre, donc inoffensives à première vue, produisaient un effet de serre. Ce type de nuage est même récemment entré dans l’Atlas international des nuages sous le nom de cirrus homogenitus. Une découverte qui a conforté les scientifiques se doutant déjà de l’impact des avions sur les nuages. Selon eux, le trafic aérien mondial est responsable de 5 % du réchauffement, deux fois plus que ce qu’émet la France en une année.

« Il y a aussi une pollution en haute altitude par le NOx (oxyde d’azote). Ces émissions ne sont pas régulées par les politiques. Et de son côté, l’aviation civile est très en retard sur ses objectifs », confie Lorelei Limousin, responsable des politiques de transports au Réseau Action Climat. « Le seuil des 2°C de la COP21 n’est atteignable que si le trafic aérien baisse ses émissions », poursuit-elle.

AMENDEMENT RETOQUÉ

Or l’aviation civile devrait s’accroître considérablement dans un futur proche et ce sans efforts supplémentaires pour limiter lesdites émissions.
Au 10 juillet 2017, 28235 appareils volent à travers le monde d’après le site Flightglobal.com, soit 65 % de plus qu’en 2008 ! Et ce chiffre devrait quasiment doubler sur les vingt prochaines années pour atteindre 51200 appareils en 2036. Pour la première fois, on a dépassé les 4 milliards de passagers transportés par l’aviation civile dans le monde en 2017.

Un chiffre qui nous semblera vite ridicule ! Car le nombre de passagers transportés pourrait atteindre 7,3 milliards en 2034 et même 16 milliards en 2050 d’après l’Association internationale du transport aérien (Iata).
Cette croissance rapide est en partie alimentée par une absence totale de taxes sur le kérosène depuis la convention de Chicago qui date de... 1944 ! « À cette époque-là, on ne parlait pas de réchauffement climatique. Les objectifs étaient de développer les liaisons aériennes, rien d’autre », explique Lorelei Limousin. Depuis, malgré de nombreuses révisions (neuf au total), cet accord n’impose pas la moindre taxation du précieux carburant. En France, l’ancienne député de l’Essonne Eva Sas avait pourtant essayé de proposer des amendements qui allaient dans ce sens : « Chaque année, je proposais l’amendement au projet de loi de finance. Je l'affinais pour qu'il passe mais c’était peine perdue. Le lobby aérien est très fort. »

Pourtant, à l’heure actuelle, la seule solution pour freiner cette course folle vers le dérèglement climatique serait d’inciter les voyageurs à utiliser des transports annexes moins polluants comme le train. Le combat d’Eva Sas est aujourd’hui repris par d’autres députés. « Nous avons proposé d’instaurer une telle taxe dans un amendement que nous avons déposé dans le projet de la loi de finance 2018, mais il a été retoqué... », raconte le député France insoumise Loïc Prud’homme, de la commission du développement durable à l’Assemblée nationale. La SNCF paie une taxe sur l’électricité, les automobilistes la paient aussi mais les compagnies aériennes profitent depuis soixante-quatorze ans d’une niche fiscale. En France, la « ristourne » est estimée à 3 milliards d’euros pour les vols internationaux et 500 millions d’euros pour les vols nationaux. « On attend encore une législation environnementale de haute exigence en France et en Europe mais c’est un vœu pieux », ajoute le député. Cet argent servirait à développer l’offre ferroviaire à l’échelle nationale, plus écologique et moins coûteuse, quand on sait qu’un passager en avion pollue 40 fois plus qu’un passager en train. « 20 % du trafic aérien en France est exclusivement métropolitain, on peut aisément imaginer un transfert de ces voyageurs sur les trains », précise Lorelei Limousin.

Les Assises du transport aérien devraient se tenir dans les mois à venir et la loi sur les transports pourrait être l’occasion de mettre en place une fiscalité écologique en attendant de voir - dans un futur lointain - des moteurs parfaitement propres comme les décrit Franck Gire, professeur agrégé en mécanique à l’Ecole nationale d’ingénieurs de Saint- Étienne « Il est possible de concevoir des moteurs à combustible alimentés en hydrogène avec une filière d’énergies renouvelables en amont mais aucun pays ne veut mettre l’argent. Le problème est politique, pas technique. »

423 AÉROPORTS EN CHANTIER

En janvier, le dossier sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été définitivement enterré. Mais cette victoire semble dérisoire face aux 423 aéroports en cours de construction dans le monde. Atlanta, qui possède le plus fréquenté de la planète, avec 104 millions de passagers par an, devrait se faire doubler par le pimpant Istanbul New Airport qui ouvrira ses portes cette année. Lui-même sera vite détrôné par celui de Daxing, qui desservira Pékin, un monstre de 700 000 m2 que la Chine inaugurera en 2019 pour accueillir plus de 100 millions de passagers chaque année. Alors que neuf pays de l’UE ont été convoqués par Bruxelles fin janvier pour non-respect des normes de qualité de l’air, personne ne prend réellement en compte la problématique aérienne... De quoi « tomber du ciel à travers les nuages », comme le chante notre ami Jacques Higelin.

Maxime Carsel, Siné Mensuel février 2018

 

 

Publié dans Pollution de l'air

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