FRUITIERS EN DANGER

Publié le par Résistance verte

Législation sur les variétés fruitières : vers quoi allons nous ?

« Tu crois pouvoir écraser cette chenille ? Voilà c'est fait : ce n'était pas difficile. Maintenant, refais la chenille… » Lanza del Vasto.

A l'été 2016, les pépiniéristes fruitiers français ont reçu un courrier du GEVES (Groupe d'Etude et de Contrôle des Variétés et des Semences), leur demandant de « déclarer » les variétés qu'ils commercialisent, descriptif à l'appui pour celles qui ne seraient pas encore référencées. C'est l'une des étapes visant la mise en application de la directive Européenne n° 2008-90.

En septembre 2016, une conférence réunissant des acteurs du monde des variétés de fruitiers (mais seulement 2 pépiniéristes) se déroule à Paris. Elle a pour but de préparer et d'accompagner la rédaction des décrets de mise en application de la directive Européenne. En fait de débat, il s'agit plutôt d'un show visant à rassurer les acteurs, à grand renforts de présentations scientifiques, de discours sécuritaire d' « harmonisation », de « facilitation des échanges au sein de l'Union », s'adressant quasi exclusivement aux gros pépiniéristes et producteurs fruitiers.

Les premiers décrets d'application dans la réglementation Française seront édités en décembre 2016. Il en manque encore un certain nombre, sur lesquels l'équipe de législateurs est en train de travailler.

A l'occasion du SIVAL (salon international de la production de fruits et légumes, sis à Angers), une seconde conférence est organisée, en présence quasi-exclusive de grosses structures de production de plants et d'élaboration de nouvelles variétés. Elle a pour but de présenter le contenu des décrets, et de répondre aux questions des professionnels. Les échanges avec la salle y sont très limités, et les petites structures très peu représentées.

Que dit cette nouvelle réglementation ?

-  Les variétés décrites et validées seront portées au « catalogue officiel » (démarche gratuite jusqu'en décembre 2018). Deux listes existeront : l'une où les variétés auront passé un test DHS (Distinctivité, Homogénéité, Stabilité), l'autre où les variétés auront fait l'objet d'une DOR (Description Officiellement  Reconnue), simplifiée, mais dont la teneur n'est pas aujourd'hui précisée.
- A partir du 1er  janvier 2017, date de la mise en application de la loi, ne peuvent être commercialisées que des plants de variétés faisant partie de ce catalogue. Ceci implique que les greffons doivent être issus de pieds-mères reconnus et certifiés par l'organisme de contrôle, au coût de 885 € par pied, à renouveler tous les 10 ans.
- Enfin le producteur de plants devra se plier à des contrôles sanitaires, eux aussi non encore précisés.

Quel sera l'impact pour les associations de conservation ?

La législation prévoit d'ores et déjà un régime particulier pour les structures œuvrant pour la conservation de la biodiversité, ce qui peut être    perçu    comme rassurant. Pourtant, certaine phrase lâchée lors du SIVAL laisse perplexe : « la compétence des structures chargées de la conservation des variétés devra être avérée ». Sur quels critères la compétence sera-t- elle établie ? Et quel sera ce régime particulier ? Ces éléments devraient être très prochainement discutés au sein du CTPS1 (section fruit et section ressources génétiques).

Quelles seront les conséquences pour les petits pépiniéristes ?

Si la plupart des associations de conservation diffusent les variétés au cours des bourses aux greffons auprès des personnes sachant greffer, nombre de petits pépiniéristes s'attachent à diffuser les variétés locales et/ou anciennes en sujets déjà greffés. Cette production, par définition aux antipodes de la production de masse, contribue de manière non négligeable à la conservation de ces variétés, ainsi qu'à les valoriser aux yeux d'un public moins averti.

A l'heure actuelle, dans les textes tels qu'ils ont été mis en place, ces petits pépiniéristes ne font l'objet  d'aucune dérogation. Une notion assez vague de vente « de proximité » à des « non professionnels », par des « petits producteurs », pourrait représenter l'amorce d'un régime spécial, mais ces notions n'étant pas définies précisément, rien n'est possible aujourd'hui. Travaillant sur
150, 200 variétés différentes voire plus, on conçoit que décrire les variétés non référencées, mais surtout faire certifier les pieds-mères représente un coût technique et financier que ces structures sont incapables d'assumer. Une mise en application telle quelle de cette loi conduira donc à la disparition de ces producteurs à court ou moyen terme.

Que faire ?

Une partie de la profession se mobilise. Grâce à l'association Semences Paysannes, nous essayons d'éclaircir les textes trop souvent abscons. Pour l'instant nombre de questions restent en suspens. Une synthèse de la législation en place sera prochainement mise en ligne sur leur site internet.
Un rendez-vous a été demandé par courrier auprès du cabinet ministériel, pour faire entendre nos revendications. Quelles sont-elles ? A tout le moins, la mise en place d'un seuil de production en-deçà duquel un producteur pourrait avoir des dérogations proportionnelles (certification de pied- mère notamment). Au mieux, un assouplissement général permettant aux variétés anciennes de continuer à être diffusées, à évoluer dans un maximum de contextes : plants pour les particuliers, mais également pour les producteurs locaux.
Enfin, à travers le pays, les députés ont été interpellés par le biais des « questions aux députés », pour obtenir leur soutien, ainsi que des réponses précises à nos interrogations et incertitudes.

Quels sont les enjeux ?

Au-delà de l'impact particulier auprès des pépinières et des associations, cette réglementation est sur le fond une atteinte terrible à la biodiversité, au maintien du patrimoine vivant, à la souveraineté alimentaire et à l'évolution naturelle de la biodiversité des fruitiers.
« Profitez que l'inscription au Catalogue soit gratuite pour envoyer un maximum de variétés ! » nous conseille-t-on. Quand bien même nous y parviendrions, quid des variétés redécouvertes au gré des échanges avec les particuliers, ou au détours des talus survivants ? Quelle considération pour les semis naturels pratiqués encore par certains passionnés patients, variétés qui répondent à des contraintes climatiques, pédologiques et sanitaires locales ?
De plus, une fois les variétés listées et décrites, pourront-elles être utilisées comme ressource génétique par les producteurs de nouvelles variétés ? Une pincée de paranoïa (et un regard vers ce qui a pu se passer dans d'autres pays*) et on s'imagine privés de production pour telle ou telle variété ancienne, dont l'un des gènes aura été récupéré et breveté par un producteur de variétés !

Au cours de ma première année d'activité, j'ai eu le plaisir d'être sollicitée par des professionnels souhaitant intégrer des variétés anciennes dans leur production de fruits. Quelle belle façon pour faire re-découvrir au public ces goûts d'autrefois ! Et quelle voie évidente pour s'affranchir des traitements auxquels trop de variétés modernes sont dépendantes !  Or  cette législation mettra fin, pour des variétés non listées au Catalogue et non certifiées, à cette possibilité de pratique...

On pense bien sûr à l'histoire - toujours d'actualité - de la problématique des semences (voir le filme « La guerre des graines » disponible sur Youtube). Ce patrimoine par essence doit circuler pour vivre : les  semences mises « au frigo » ou dans les banques de conservation perdent rapidement, pour la plupart, leur capacité de germination. En outre cela condamne leur évolution génétique naturelle au gré des contraintes de culture. La mise en place du Catalogue Officiel dans ce domaine (semences potagères, céréales…) a conduit à des pertes très importantes en matière de biodiversité,  sous  couvert d'harmonisation,  de meilleur  contrôle sanitaire et de facilitation  des échanges, là où l'intérêt financier et l'influence des industries de l'agro-business est flagrant.
Si, de part leur mode de multiplication, le domaine des fruitiers présente des différences importantes avec les semences, le fond et les motivations profondes restent fortement discutables, voire condamnables.

Les intérêts économiques, en influençant la loi, sont en train « d'écraser la chenille » ; chenille que les Mordus de la Pomme comme tant d'autres s'astreignent à faire vivre, et qui conditionne directement le mode de vie des générations futures.

Amélie CODRON


* En Inde, des plantes médicinales traditionnel d'usage ancestral ont été brevetées par l'industrie pharmaceutique.

1  Comité Technique Permanent de la Sélection.

Pour en savoir plus sur la problématique générale, un film est disponible sur youtube :
« la guerre des graines » : https://www.youtube.com/watch?v=vGtGSFneI7o
Le réseau semences paysannes : www.semencespaysannes.org
L'association Triptolème, sur la question des céréales http://www.semencespaysannes.org/triptoleme_286.php

Publié dans Biodiversité

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