L'AN 1 DE L'ÈRE ÉCOLOGIQUE

Publié le par Résistance verte

L'AN 1 DE L'ÈRE ÉCOLOGIQUE

Edgar Morin, 1972-2007 (extraits).

L’écologie en tant que science naturelle est arrivée à cette notion d’écosystème qui englobe l’environnement physique (biotope) et l’ensemble des espèces vivantes (biocénose) dans un espace ou “niche” donnée.

L’ensemble des êtres vivants dans une “niche” constitue un système qui s’organise de lui-même. Il y a une combinaison des relations entre espèces différentes. Autrement dit, il y a un phénomène d’intégration naturelle entre végétaux, animaux, y compris humains, d’où résulte une sorte d’être vivant qui est l’écosystème.

Le caractère auto-réorganisateur spontané est la force de l’écosystème. Mais comme un être vivant, il peut être tué si on lui injecte du poison à des doses qui entraînent la mort en chaîne d’espèces liées les unes aux autres et si on altère les conditions élémentaires de la vie.
Le danger est dans le poison qui dégrade sans pouvoir être dégradé lui-même, déversé en des quantités telles qu’il dégrade l’organisation complexe des écosystèmes. Or, dégrader l’écosystème c’est dégrader l’homme.

Dans un milieu donné, les instances géologiques, géographiques, physiques, climatologiques (biotope) et les êtres vivants de toute sorte, unicellulaires, bactéries, végétaux, animaux (biocénose) inter-rétroagissent pour générer et régénérer sans cesse un système organisateur – ou écosystème – produit par ces inter-rétroactions mêmes.

Jusqu’à une époque récente, toutes les sciences découpaient arbitrairement leur objet dans le tissu complexe des phénomènes. L’écologie est la première qui traite du système globale. La connaissance écologique nécessite une polycompétence dans ces différents domaines et, surtout, une appréhension des interactions et de leur nature systémique.

L’organisme d’un être vivant (auto-éco-organisateur) travaille sans arrêt pour s’automaintenir, dégrade son énergie. Il a besoin de la trouver en puisant dans son environnement, et, par là même, il dépend de ce dernier. Ainsi nous avons besoin de la dépendance écologique pour pouvoir assurer notre indépendance. Pour être indépendant il faut être dépendant.

L’organisation du monde extérieur est inscrite à l’intérieur de notre propre organisation vivante. Ainsi le monde est en nous, en même temps que nous sommes dans le monde. Non seulement l’organisation biologique, animal se trouve dans la nature, à l’extérieur de nous, mais aussi dans notre nature, à l’intérieur de nous.

Nous sommes en quelque sorte commandés par un paradigme qui nous contraint à un vision segmentée des choses ; nous sommes habitués à penser l’individu séparé de son environnement et de son habitus, à enfermer les choses en elles-mêmes. L’observation des êtres dans leur environnement naturel a permis de découvrir leur nature propre, alors que la méthode d’isolement détruisait l’intelligibilité de leur vie. Tout ce qui isole un objet détruit sa réalité même.

On peut concevoir la Terre comme un être vivant non pas au sens biologique mais dans le sens auto-organisateur et autorégulateur d’un être qui a son histoire, c’est-à-dire qui se forme et se transforme tout en maintenant son identité.

Tout ce qui advient dans une partie du globe a une porté planétaire. Tout devenir local est en interétroaction, dans et avec le contexte global.
La société est un complexe dans le sens où le mot “complexus” signifie “ce qui est tissé ensemble”.Nous devons toujours considérer les données particulières en relation avec l’ensemble dont elles font partie, et de même considérer l’ensemble toujours en relation avec les parties.

Tout individu porte en lui à la fois une propension égocentrique et une propension communautaire. L’individualisme produit souvent solitude et égoïsme, et ses progrès se sont accompagnés de la régression des solidarités traditionnelles. Quand il y a désintégration du tissu social, la société apparait comme ennemie, et autrui devient antagoniste potentiel.

La primauté du calcul rend aveugle à la qualité même de la vie.

Le développement technique et matériel a produit un sous-développement psychique et moral, le bien-être a produit du mal-être, sans pour autant supprimer les zones d’anomie et de misère.
La difficulté à établir une relation authentique durable avec autrui et à s’insérer dans une communauté de destin relève d’un problème de civilisation.

Le problème est complexe puisque le mal-être mental et affectif est inclus dans notre bien-être matériel. Il s’agit de redécouvrir que la finalité de la vie est dans le bien-vivre et non dans le beaucoup avoir, dans la qualité des relations entre humains et non dans la quantité. Il s’agit d’épanouir l’individualité, en la complétant par la régénération des solidarités.

La chimère de la maîtrise totale du monde, encouragée par le prodigieux développement des sciences et des techniques, se heurte aujourd’hui à la prise de conscience de notre dépendance à l’égard de la biosphère et la prise de conscience des pouvoir destructeurs de la technoscience pour l’humanité elle-même.

Notre mode de pensée est fondé sur la disjonction absolue entre l’humain et le naturel. La compartimentation des disciplines et des catégories nous empêche de faire la relation entre les parties et le tout. La pensée occidentale ne sait opérer que par disjonction ou réduction.

L’éducation qui fragmente la connaissance conduit à plus d’aveuglement que d’élucidation. Nous avons un problème de vie en société. Regardez le nombre de psychotropes et d’anxiolytiques que nous absorbons. Les Français traitent de manière individuelle et personnelle un mal-être existentiel qui est aussi un malaise commun. Nous aspirons obscurément à fuir la vie du métro-boulot-dodo qui obéit à la logique déterministe, chronométrique, hyperspécialisée de la machine artificielle de nos usines et bureaux. Experts et « éconocrates » nous traitent comme des machines triviales c’est-à-dire strictement déterministes, alors que la part non triviale en nous, celle du vouloir vivre, aimer, communier, nous réaliser, échappe à cette logique.

Dans ce moment d’incertitude, l’espoir du futur s’est tari. Un système qui n’arrive pas à traiter ses problèmes vitaux, ou bien se désintègre, ou bien arrive à se métamorphoser en un métasystème plus riche, plus complexe, capable de traiter ces problèmes. Ce processus d’autodestruction est en même temps l’autoproduction et l’autocréation d’un être nouveau qui pourtant est le même.

La capacité génératrice ou régénératrice a besoin souvent d’une irruption, d’une éruption pour se manifester.

L'AN 1 DE L'ÈRE ÉCOLOGIQUE

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