SABRINA, ATHÉE, FÉMINISTE ET LAÏQUE

Publié le par Résistance verte

Sabrina, 47 ans, vit et travaille dans un quartier populaire de l’agglomération grenobloise. Athée, féministe et laïque revendiquée, elle subit harcèlement, insultes et rejet d’un entourage dominé par l’intégrisme musulman. Elle n’est évidemment qu’un cas parmi tant d’autres. Nous pensons à notre copine A*, d’origine algérienne également, cuisinière, mère divorcée, qui s’entête à vivre libre et à sortir « en cheveux », bravant l’ostracisme et les médisances des femmes voilées de sa cité. Nous pensons à H*, doctoresse et mère divorcée également, qui a longtemps dû repousser l’insistance de son père à la marier à un « gentil garçon », cousin ou non, mais musulman. Et puis à ces jeunes femmes splendides, brillantes, émancipées, qui forçaient le huis-clos des cités et des cellules familiales, de la fin des années 70 à celle des années 80 – on ne donnera pas de noms – jusqu’à ce que la répression machiste s’abatte sur elles, sous prétexte de race et de religion.

S’il est des « premières concernées », ce sont elles, abominablement trahies par ces organisations de gauche, tel le Planning familial de Grenoble, issues jadis des luttes pour l’émancipation et aujourd’hui infiltrées, retournées en organisations de soutien à l’oppression.
Cependant nous sommes tous également concernés, hommes et femmes, blancs, bruns et noirs. Nous ne sommes pas libres si une partie d’entre nous, de nos concitoyennes, reste asservie à la loi religieuse : charia, thora, droit catholique ou protestant.

Nous ne sommes pas égaux si une partie d’entre nous, au nom de sa religion, exige un traitement particulier. Nos concitoyens musulmans, comme ceux de toutes confessions et philosophies, doivent jouir de tous leurs droits civiques en tant qu’individus, et d’aucun privilège en tant que « communauté ».

Nous ne sommes pas frères si nous abandonnons celles et ceux qui, tels Sabrina et Naëm Bestandji (https://naembestandji.blogspot.com/), subissent à petite échelle, dans nos quartiers, les persécutions que laïques, féministes, démocrates, athées, etc., subissent à une échelle effroyable du Bangladesh à la Mauritanie.

Et nous serons punis par notre propre asservissement, nous le sommes déjà par des massacres, des pressions, des attaques contre nos libertés d’expression, de création, etc., si nous n’entendons pas ceux qui nous alertent en vain depuis des décennies.

Ecoutez Sabrina, écoutez Naëm.

 

PMO : Dans quel milieu as-tu grandi ?

Sabrina : Je suis née dans les années 1970 dans une famille musulmane d’origine algérienne, installée dans un quartier populaire près de Grenoble. Ma mère avait rejoint mon père par le regroupement familial. La vie du quartier était agréable, avec une bibliothèque, un parc, une piscine, parfois des fêtes. On vivait avec des Italiens, des Portugais, des Yougoslaves, de toutes religions, on n’avait pas conscience d’être différents. Les copains – garçons et filles – venaient manger à la maison.

Ta famille était-elle pratiquante ?

Mes parents étaient croyants et pratiquants. Ma mère pratique un islam bienveillant et modéré, hérité de son père qui était érudit et parlait de l’islam avec beaucoup de culture et d’ouverture. Elle n’a jamais porté le voile. Mon père était rigide. Pour lui les filles devaient être vite mariées sinon c’était des bombes. J’avais l’impression de vivre deux vies : à la maison j’avais une éducation musulmane, et à l’école j’apprenais la théorie de Darwin. A l’âge de 6 ou 7 ans, j’ai refusé de faire mes prières, j’ai fait mon « coming out » athée.

Comment cette rupture s’est-elle passée ?

Je me suis rebellée contre mon père. J’étais tout le temps fourrée avec les éducateurs du quartier, dans les associations. Au collège, je me suis intéressée au droit, j’ai découvert la laïcité et je me suis sentie protégée par ces valeurs. La laïcité, les droits, mais aussi les institutions, l’école républicaine, les éducateurs, c’était une armure contre ce qu’on attendait de moi comme musulmane. Je leur dois ma survie. Je me serais suicidée plutôt que de me marier pour me soumettre à la volonté d’un mari.

Tes frères et sœurs pensent-ils comme toi ?

Il y a une coupure générationnelle entre les aînés et les plus jeunes qui ont la trentaine. Les aînés, on est français sans complexe, on a grandi dans les années 1970 avec leur côté baba cool, mes frères m’emmenaient en bringue, sans que la question religieuse ne se pose. Nos cadets nous traitent maintenant de mécréants, moi je suis une « collabeur » ou une « Bounty » (blanche à l’intérieur) parce que je défends la laïcité. Nous avons reçu la même éducation, ils ont fait de bonnes études, gagnent bien leur vie et pourtant ils sont convaincus d’être traités comme des sous-citoyens et pensent que la laïcité ne s’impose qu’aux musulmans. Ils se présentent comme des victimes, et à ce titre, exigent plus de droits que les autres. C’est un mystère pour moi.

Et tes amis d’enfance ?

J’ai quitté le quartier pendant vingt ans et quand je suis revenue il y a six ans, j’ai trouvé de plus en plus de femmes voilées, dont certaines que j’ai connues enfants qui portent le voile salafiste. Certaines filles ont eu des vies chaotiques, jusqu’à la prostitution, et soudain mettent le voile. L’une m’a dit : « Sans le voile, je ne peux pas retrouver de mari après mon divorce. » J’ai vu une ancienne copine reprocher à sa mère, très moderne, de sortir en jupe. Cette fille porte le voile salafiste et me reproche mon coiffeur, au motif que je laisse un chrétien toucher mes cheveux. Des gens avec qui j’ai grandi me disent que je vaux « moins qu’un juif ». Ils parlent comme ça. Les autres n’osent pas s’exprimer. Finalement, je n’ai plus de contacts avec les copines d’enfance.

Quand et comment les choses ont-elles changé ?

Dans les années 1990, j’avais un job étudiant d’animatrice dans le quartier, et j’ai constaté des changements. Les filles ne voulaient plus partir en colo mixte avec leurs copains d’enfance. La pression des mères s’est installée, certaines me demandaient de veiller à ce que leurs filles « reviennent vierges », alors qu’elles n’avaient que 14 ans !
A cette époque, certains maghrébins voyant que les femmes s’étaient occidentalisées, sont allés chercher des épouses plus soumises dans des villages d’Algérie. L’arrivée de cette génération de mères a coïncidé avec l’influence du FIS dans nos quartiers.
Le comble, c’est qu’aujourd’hui quand je vais à Oran, je vois des femmes sans voile qui portent des pantalons slim.
Aujourd’hui, la génération des trentenaires mélange l’intégrisme religieux avec le consumérisme, les réseaux sociaux – alors que la religion devrait demander de la profondeur, de l’introspection. Mais ils n’ont aucune culture. Ils pratiquent un islam interprété par des imams cinglés et manipulateurs. Beaucoup parmi eux, notamment chez les convertis, sont fans de Dieudonné et Soral, et s’inspirent d’eux. Quand je les interroge, ils ne connaissent rien aux religions monothéistes et à leur histoire.

Quelle est ta situation actuelle ?

Je travaille dans une école où je dois rappeler les principes de laïcité à des parents d’élèves qui essaient de m’amadouer, comme maghrébine. Un jour, une maman s’est plaint qu’un homme remplace l’institutrice malade et m’a suppliée devant tout le monde, à l’école, de ne pas le laisser approcher de sa fille : « Je vous le demande en tant que mère et musulmane ». J’étais morte de honte.
Une autre fois une mère a refusé qu’on prépare comme c’est l’usage un gâteau pour l’anniversaire de son fils, parce que le salafisme l’interdit. Ou bien des mamans m’expliquent qu’elles n’ont pas le droit de gronder leurs petits garçons de 4 ou 5 ans parce qu’ils sont les hommes de la maison et que leur mari le leur interdit.
Une collègue musulmane me traite de pute quand je rappelle la règle commune, parce que je porte des jupes et que je fume pendant ma pause. Selon elle, je « renie ma race », je me prends « pour une française ». Des pères d’élèves m’ont fait des avances sexuelles explicites parce que je suis censée avoir la cuisse légère. Comme féministe et athée, je suis une pute. On me menace de représailles parce que je ne mange pas hallal et ne fais pas le ramadan.

Qu’en disent tes employeurs ?

Je ne suis soutenue ni par ma hiérarchie, ni par les élus de la collectivité qui m’embauche, bien plus préoccupés par leur chasse aux voix pour les prochaines municipales. Les élus de ma ville, sont pro-islamistes par opportunisme électoral. On m’a dit : « On tolère bien que les malades du cancer portent un foulard ! » ou alors « La laïcité, c’est un vieux truc ! » La gauche a abandonné ce terrain, et d’ailleurs ses électeurs votent maintenant à l’extrême-droite au niveau national.

Comment vis-tu dans ton quartier aujourd’hui ?

Je ne vais que de chez moi à mon travail. Quand je marche dans le quartier, si je croise un barbu je jette ma cigarette et je suis mal à l’aise avec ma mini-jupe. Comme athée, je suis un danger, parce que j’ose m’exprimer – y compris pour les élus. On ne doit rien dire car ce serait encore « stigmatiser » ces pauvres gens. Beaucoup de gens n’osent pas parler.
Des femmes du quartier font du prosélytisme et relaient la parole des imams, le vendredi, ou à l’occasion de fêtes, d’enterrements. Dans certains ateliers de la MJC, il n’y a que des femmes voilées – ce n’est pas en non-mixité officiellement, c’est interdit, mais de fait elles se retrouvent entre elles.
Je me sens en insécurité. Je me barricade chez moi. Si je pouvais, je partirais, peut-être même à l’étranger. On porte atteinte à ma liberté individuelle. Quand je vois que ni Macron, ni le PS, ni la gauche ne s’exprime, je suis très pessimiste. Des entreprises ne recrutent que des musulmans, on est en train de se diviser. Sans réaction des politiques, dans 50 ans l’islam sera religion d’Etat en France, j’en suis persuadée. Alors que la beauté de la laïcité, c’est de nous permettre de rester unis.

Que réponds-tu à ceux qui défendent le choix des femmes de porter le voile ?

Le voile n’est pas un symbole religieux, mais culturel. Il est imposé par les Frères musulmans et l’extrême-droite musulmane. Il faut rappeler que les Frères musulmans sont liés historiquement au grand mufti de Jérusalem qui avait fait alliance avec Hitler. On oublie qu’il y avait une division SS musulmane. Au Maghreb, les femmes voilées ont un certain âge, c’est le signe qu’elles ont fait leur pèlerinage – qu’elles ne font qu’après avoir éduqué leurs enfants
et acquis une certaine sagesse. Ça n’a rien à voir avec les jeunes filles voilées, voire les fillettes.
Ici dans mon quartier, les filles de 15 ou 20 ans mettent le voile pour être tranquilles, « sinon, on n’est pas des filles bien », disent-elles. On peut bien sûr affirmer que le port du voile est un choix, mais on oublie la pression sociale, qui prépare les filles dès 10 ou 12 ans à se voiler. Ce n’est pas un libre choix. On voit bien la différence avec l’Algérie, au moins dans les villes où cette pression n’existe pas : les femmes ne sont pas voilées !
Je pense aussi aux femmes des pays musulmans qui veulent enlever le voile : pour elles on est un phare, un espoir. Le voile enferme les femmes. Toutes ces petites françaises qui « défendent le droit de se voiler » et qui ne sont pas confrontées à la pression de nos quartiers, elles ne risquent rien, elles.

Tu es féministe, que penses-tu du soutien du Planning familial de l’Isère au burkini dans les piscines ?

Dès l’âge de 15 ans je me suis rapprochée d’un mouvement qui s’appelait Femmes solidaires. Dans ma jeunesse, le Planning familial, c’était mes idoles, je les vénérais. Quand on vit dans une famille où on ne parle pas de sexualité – ni même des règles – c’est un lieu très important. Leur prise de position sur le burkini est une honte, elle est dangereuse. Ils sont devenus intersectionnalistes, pour eux chaque femme soit mener son combat de son côté, selon son ethnie, sa religion, son rang social ; mais la question du féminisme doit être commune ! Pour moi le Planning familial a perdu sa vocation. Il est évident que le voile et le burkini sont faits pour maintenir les femmes dans une position inférieure, ce n’est pas une question de pudeur. Si leur problème est vraiment la « pudeur », alors elles ne devraient même pas de baigner dans une piscine avec des hommes – et d’ailleurs le prochain stade sera une demande d’horaires réservés aux femmes.
Et qu’est-ce que ce paternalisme de dames patronesses ? Les musulmanes sont des sous- citoyennes qu’il faut mettre sous leur tutelle ? Je leur demande de s’expliquer d’un point de vue idéologique.
Il est faux de dire que s’opposer au burkini va accentuer les discriminations contre les maghrébins. 95 % d’entre eux sont contre le burkini, mais BFM et les médias préfèrent donner la parole à celles qui prennent une posture de victimes. Quelques personnes minoritaires font énormément de mal. Normalement, c’est le boulot du défenseur des Droits de rappeler la loi. Et celui du maire, premier magistrat de la ville, de faire respecter le règlement.
Même si certains points nous titillent, la laïcité nous protège : tu as le droit de croire ou de ne pas croire. Moi je ne comprends pas le port du voile, mais je le tolère car la loi et la laïcité m’y obligent. Même si je l’ai mauvaise, je sais que le respect de la loi garantit nos libertés individuelles.

Propos recueillis par Pièces et main d’œuvre
Grenoble, le 16 juillet 2019


http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1157

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