LA CRIIRAD DÉNONCE LE PROJET D’EXTENSION DE LA CARRIÈRE

Publié le par Résistance verte

La carrière de granite des Gottes est située sur les communes de Saint Julien-Molin-Molette et de Colombier, dans le parc naturel régional du Pilat (Loire).

Malgré les nombreuses nuisances dénoncées depuis longtemps par les riverains, la société Delmonico-Dorel ne cesse d’obtenir des autorisations d’exploitation et d’extension du site. Dernier épisode en date : une demande d’extension et de prolongement de l’exploitation jusqu’en 2050, alors que la fermeture était prévue pour 2020. Une enquête publique s’est clôturée le 27 octobre dernier. La CRIIRAD a constaté que la question de la radioactivité naturelle des roches exploitées dans la carrière n’était pas traitée dans le dossier. De plus, celui-ci comporte des informations erronées sur la question essentielle du risque lié aux poussières.

En 2008, à la demande d’un riverain du site, quelques mesures préliminaires réalisées par le laboratoire de la CRIIRAD révélaient la radioactivité naturelle relativement élevée des roches du secteur. Les teneurs en radionucléides naturels (1) étaient de l’ordre de 4 à 8 fois supérieures à la moyenne de l’écorce terrestre. Ceci pouvait entraîner une exposition non négligeable pour les travailleurs du site, mais également pour les personnes amenées à fréquenter, ou pire à habiter, des bâtiments construits avec ces matériaux. La CRIIRAD avait transmis ces résultats au directeur de l’installation en lui indiquant que la « radioactivité non négligeable des roches naturelles » justifiait « une évaluation approfondie des risques pour les travailleurs et le public ». La réponse assurait qu’une évaluation du risque radiologique avait déjà été réalisée par un organisme agréé mais le rapport correspondant n’était pas communiqué. La CRIIRAD avait également informé la DRIRE (2) et rendu publics ses constats.

Cependant, faute de prescriptions réglementaires appropriées, les interventions de la CRIIRAD étaient restées sans effet. Depuis lors, les choses ont changé. Une directive européenne impose désormais de mesurer la radioactivité des matériaux de construction considérés comme « préoccupants sur le plan de la radioprotection », ce qui est le cas des matériaux d’origine magmatique tels que les granits (3).

La méthodologie consiste à calculer un indice I (4), basé sur les teneurs du matériau en radionucléides naturels. Lorsque cet indice dépasse 1, des restrictions particulières peuvent être envisagées par les autorités compétentes car le matériau est susceptible d’entraîner une exposition externe supérieure à 1 mSv/an (5). Pour l’échantillon analysé par le laboratoire de la CRIIRAD en 2008, la valeur d’indice est de 2,14. Une analyse préliminaire isolée ne saurait remplacer une étude de l’ensemble des matériaux et granulats produits par l’installation. Il n’en demeure pas moins que ce contrôle révèle une valeur plus de deux fois supérieure au seuil de dépistage fixé par la directive.

Compte tenu de ces éléments, constatés par la CRIIRAD et transmis à l’administration en 2008, le sujet des risques radiologiques aurait forcément dû être traité dans l’étude environnementale du dossier soumis à enquête publique en 2017. Or ce n’est pas du tout le cas. Le document ne comporte pas d’analyse de la radioactivité des produits déjà commercialisés et des roches situées dans le projet d’extension ; n’y figure pas non plus d’évaluation des risques radiologiques pour les différentes catégories de personnes concernées (personnel de la carrière, riverains de la carrière et de ses voies d’accès, usagers des matériaux).

Par ailleurs, la CRIIRAD a identifié de graves anomalies dans le dossier soumis à enquête publique sur la question du risque lié aux poussières. D’après la réglementation, l’exploitant est tenu de faire contrôler périodiquement l’exposition aux poussières des travailleurs du site, ainsi que les retombées de poussières dans l’environnement. Dans les deux cas (travailleurs et environnement), l’étude environnementale est très rassurante, alors que les mesures figurant en annexe nuancent fortement voire contredisent le rapport.

S’agissant de l’exposition des travailleurs, l’étude environnementale affirme que les risques liés aux poussières alvéolaires siliceuses « sont très faibles pour le personnel travaillant sur le site ». Et si les risques sont très faibles pour les travailleurs, ils le sont a fortiori pour la population locale. Or les annexes de l’étude environnementale comportent un seul rapport d’interprétation réglementaire sur ce sujet, établi par la société ITGA, et qui conclut au contraire au dépassement des valeurs limites d’exposition professionnelle pour 3 des 4 paramètres contrôlés ! Le rapport ajoute : « des actions correctives sont à mettre en place, suivies de nouvelles mesures ».
S’agissant des retombées de poussières dans l’environnement, l’exploitant est tenu de réaliser des mesures en bordure de site, tous les 6 mois en 2005 puis tous les 2 ans depuis 2006. Dans l’évaluation environnementale, datée d’avril 2017, ne figure que le résultat de la campagne menée en été 2014. La technique de mesure employée (plaquettes de dépôt) a le défaut d’être sensible aux fortes pluies. Or la période de mesure (du 11 juillet au 14 août 2014) a été particulièrement pluvieuse, le mois de juillet 2014 ayant même été « le plus arrosé depuis 1959 » en Rhône-Alpes.

Signalons enfin l’absence de points de mesure dans les rues du bourg de Saint-Julien-Molin-Molette empruntée par les camions de la carrière. Selon l’étude environnementale, toutes les mesures seraient prises par l’exploitant pour que les effets potentiels des poussières sur les riverains ne se produisent pas. Pourtant, selon de nombreux témoignages des riverains, les camions ne sont pas toujours bâchés, si bien que les rues empruntées par les camions sont régulièrement empoussiérées. La photographie ci-dessous montre par exemple la remise en suspension des poussières lors des opérations de nettoyage de la rue Peyronnet par l’exploitant.

Pour la CRIIRAD, ces anomalies sont de nature à vicier les procédures de consultation du public et de prise de décision. C’est pourquoi elle a adressé, le 18 octobre 2017, un courrier au préfet de la Loire afin de lui demander la suspension de l’enquête publique, le temps nécessaire à la mise en conformité du dossier.
A ce jour (21 novembre 2017), cette lettre est restée sans réponse.

Selon l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique (6), le commissaire-enquêteur doit rendre son avis d’ici fin novembre. Quelle qu’en soit la teneur, ce dossier est loin d’être clos : en 2005, la préfecture était passée outre l’avis défavorable du rapport d’enquête publique en autorisant l’extension et en prolongeant de 15 ans l’extension de la carrière. Aujourd’hui, comme l’indique la CRIIRAD (7) : « si le dossier d’enquête publique n’est pas mis en conformité de façon à ce que chacun se prononce sur la base d’informations complètes et fiables, c’est la LÉGALITÉ même de la décision qui sera compromise et qui pourra être attaquée devant la juridiction administrative ».

Julien Syren


1. Radium 226 : 147 Bq/kg ; actinium 228 : 232 Bq/ kg ; potassium 40 : 1 470 Bq/kg.

2. Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement.

3. Il s’agit de la directive 2013/59/Euratom, entrée en vigueur le 6 février 2014 et qui fixe un délai de transposition
maximum de 4 ans, avec échéance au 6 février 2018. La publication du décret de transposition, annoncée à plusieurs reprises, est donc nécessairement imminente.

4. La formule de calcul de l’indice I est I = CRa226/300 Bq/kg + CTh232/200 Bq/kg + CK40/3 000 Bq/kg.

5. Il convient de souligner que cette référence de dose est particulièrement élevée puisqu’elle tolère, pour
l’impact des seuls matériaux de construction et pour la seule composante externe de cet impact, un niveau de dose équivalent à la limite maximale définie pour l’impact cumulé de toutes les activités nucléaires, incluant l’ensemble des radionucléides et des voies d’exposition.

6. Arrêté n° 2017 / 00259 du 31 août 2017 – ouverture d’une enquête publique préalable à la déclaration de projet, d’intérêt général, de l’extension de la carrière de Saint-Julien-Molin-Molette et emportant mise en compatibilité du plan local d’urbanisme.

7. Communiqué du 19 octobre 2017.

8. Source pour les éléments antérieurs à 2010 : Association « Bien vivre à Saint-Julien-Molin-Molette », http://bienvivre.pilat.free.fr/lettre-ouverte-2.pdf


 

REPÈRES CHRONOLOGIQUES (8)

1973 : la S.A. Delmonico Dorel reprend l’ancienne carrière des Gottes (1,5 Ha).

1974 : le Parc naturel régional du Pilat est créé.

1983 : un arrêté préfectoral autorise l’extension de la surface initiale d’exploitation pour 30 ans (+ 7 Ha).

1988 : l’exploitation passe de 50 000 à 150 000 tonnes par an.

2000 : un arrêté préfectoral autorise l’extension de la surface d’exploitation sur les communes de Saint-Julien-Molin-Molette et Colombier pour 5 ans (+ 3 Ha).

2001 : la Charte du Parc naturel régional du Pilat est renouvelée pour 10 ans. « Aucune extension ou création de carrière n’est envisageable dans cette zone ».

2004 : le rapport de l’enquête publique relative à la prolongation de l’activité de la carrière des Gottes émet un avis défavorable à l’extension, s’appuyant, entre autres, sur les conclusions négatives des services de l’Etat (Direction départementale de l’agriculture, de la forêt et de l’environnement ; Direction départementale de l’équipement ; direction régionale de l’industrie et de la recherche).

2005 : un arrêté préfectoral autorise l’extension de la carrière pour 15 ans et porte à 18 hectares la surface d’exploitation.

2007 : saisi par l’association « Bien vivre à St-Julien-Molin-Molette », le Tribunal administratif de Lyon casse l’arrêté préfectoral de 2005.2008 : le jugement du tribunal administratif est annulé en appel, au motif que la requête émane d’une association qui n’a pas qualité pour agir, tout en lui donnant raison sur le fond.

Juin 2016 : alors que le plan d’occupation des sols (POS) de la commune de Saint-Julien-Molin-Molette ne permet pas à la carrière de s’étendre, la préfecture ouvre une procédure de déclaration d’intérêt général permettant de modifier le POS d’autorité. Le Parc naturel régional du Pilat et le conseil municipal de Saint-Julien-Molin-Molette se prononcent contre le projet.

Février 2017 : le conseil municipal de Saint-JulienMolin-Molette adopte un plan local d’urbanisme (PLU) remplaçant le POS et interdisant également toute activité d’extraction en dehors du périmètre actuellement autorisé, et donc tout projet d’extension. L’adoption du PLU rend caduque la procédure de déclaration d’intérêt général en cours visant à modifier le POS.

Août 2017 : pour passer outre la décision de la municipalité, l’autorité préfectorale ouvre une nouvelle procédure de déclaration d’intérêt général afin d’entraîner la mise en compatibilité du PLU et d’autoriser le projet d’extension. Dans ce cadre, une enquête publique est ouverte du 26 septembre au 27 octobre 2017.

CRIIRAD -Trait d’Union n°76 - décembre 2017

 

Des mesures effectuées par la CRIIRAD en octobre 2016 au contact des granulats et rochers de la carrière des Gottes au moyen d’un scintillomètre DG5 dépassent 500 chocs par seconde (c/s) alors que le bruit de fond typique est de l’ordre de 50 c/s sur sol calcaire à 250 c/s sur sol granitique.
Des mesures effectuées par la CRIIRAD en octobre 2016 au contact des granulats et rochers de la carrière des Gottes au moyen d’un scintillomètre DG5 dépassent 500 chocs par seconde (c/s) alors que le bruit de fond typique est de l’ordre de 50 c/s sur sol calcaire à 250 c/s sur sol granitique.

Des mesures effectuées par la CRIIRAD en octobre 2016 au contact des granulats et rochers de la carrière des Gottes au moyen d’un scintillomètre DG5 dépassent 500 chocs par seconde (c/s) alors que le bruit de fond typique est de l’ordre de 50 c/s sur sol calcaire à 250 c/s sur sol granitique.

Publié dans Environnement, Nucléaire

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